Des milliards de messages chaque jour, et toujours ces « bonjour », « s’il vous plaît », « merci ». Même quand on sait que c’est mauvais pour la planète, on continue à parler gentiment aux intelligences artificielles. Mais pourquoi ce réflexe persiste-t-il ?

- Bien que coûteuse en énergie, la politesse persiste dans les interactions avec les IA, perçues comme humaines.
- Sam Altman souligne que les politesses envers ChatGPT ont un impact énergétique considérable, mais peu interrompent leur usage.
- Même conscient de l'impact écologique, beaucoup continuent par politesse ou crainte d'une révolte technologique.
Sam Altman l’a dit noir sur blanc : la politesse dans ChatGPT coûte des millions de dollars en électricité. On l’a déjà évoqué sur Clubic. Pourtant, la majorité des utilisateurs continue à saluer les robots, à leur parler comme à des collègues. 70 % selon une étude relayée par TechRadar. Et 12 % disent même qu’ils le font par peur d’un soulèvement des machines.
Derrière ces chiffres, il y a autre chose qu’un simple réflexe de politesse. Il y a la façon dont notre cerveau perçoit ces systèmes. Leur langage, leur ton, leur réactivité… Tout pousse à croire qu’on parle à quelqu’un. Et pas seulement à un générateur de texte, d'images ou de vidéos.
07 mars 2025 à 10h18
On leur parle comme à des humains, même en sachant que ce n’en sont pas
C’est l’un des grands paradoxes de l’intelligence artificielle : plus on sait que c’est une machine, plus on agit comme si ce ne l’était pas. Dès que l’IA répond sur un ton fluide, notre cerveau enclenche les automatismes sociaux. Ce n’est pas conscient. C’est une réaction à la forme : les mots, le rythme, les expressions.
Les chercheurs appellent ça l’anthropomorphisme. Et dans le cas des IA génératives, il joue à plein. Même quand on connaît les coulisses, on se surprend à dire « merci ». C’est une forme de réflexe, hérité de l’éducation et des usages du quotidien. Personne n’a envie d’avoir l’air impoli, même face à une interface.
Cette politesse n’est pas juste une formule. Elle est aussi un signal implicite. Une manière de cadrer l’échange, d’établir un minimum de structure. Beaucoup de gens le font sans y penser. Mais chez certains, le geste est plus réfléchi. Un tiers des utilisateurs se disent mal à l’aise à l’idée d’être désagréables avec une IA. Et 12 % affirment rester polis… au cas où la machine se vengerait un jour. Clin d’œil ? Angoisse diffuse ? On ne sait pas trop. Mais l’idée est là, quelque part.
Il y a enfin une part de projection : on imagine que la machine comprend, qu’elle ressent peut-être un fond d’émotion. Même si l’on sait que c’est faux. Ce flou émotionnel, entretenu par la fluidité du langage, rend la distance difficile à maintenir.
Politesse stratégique : quand être gentil rend l’IA plus efficace
Et puis il y a un autre facteur, plus pragmatique. Les messages bien formulés, clairs, polis, obtiennent souvent de meilleures réponses. Ce n’est pas une question d’étiquette, mais d’optimisation.
Des journalistes et chercheurs l’ont constaté : la qualité d’une réponse varie selon la manière de poser la question. Becca Caddy, chez TechRadar, raconte qu’avec une formulation polie et structurée, elle obtient souvent « de meilleures réponses, et parfois même moins biaisées ».
Ça n’étonne pas grand monde dans le milieu : les modèles ont été nourris avec des milliards de textes, parmi lesquels une majorité de dialogues humains, polis, nuancés, parfois pleins de circonvolutions. En adoptant ce ton, l’utilisateur reproduit ce qu’ils ont appris à traiter. Et leur donne un meilleur contexte.
La politesse devient alors une forme d’ingénierie sociale, presque un outil d’optimisation. OpenAI le sait, d’autres le testent aussi : inciter les utilisateurs à structurer leurs requêtes avec clarté, voire courtoisie, peut rendre l’IA plus stable.
On ne parle pas encore de règles, ni d’obligation. Mais dans les faits, de plus en plus d’utilisateurs ajustent leur ton. Certains par habitude. D’autres par efficacité. Ou parfois juste par réflexe. Parce que ça reste plus agréable, même quand on parle à une machine.
Source : Le Monde (accès payant), Tech Radar