Paul Amsellem, Nokia France : "on ne peut pas se permettre d'échouer !"

15 novembre 2011 à 18h40
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Officiellement lancé cette semaine en France, le Lumia 800 sous Windows Phone 7.5 doit incarner le grand retour de Nokia sur le terrain des smartphones. Pour le fabricant finlandais, l'instant est stratégique, même s'il reste le premier vendeur de mobiles au monde. Paul Amsellem, directeur général de Nokia France depuis l'été 2011, n'hésite pas à parler d'une seconde chance... qu'il convient de ne surtout pas manquer. Entretien.


Paul Amsellem, bonjour. Tous les représentants de Nokia s'accordent à parler de véritable renaissance à l'occasion du lancement de la gamme Lumia sous Windows Phone 7. On est donc bien dans un véritable constat d'échec quant à la stratégie de Nokia sur le segment des smartphones ces dernières années ?

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Soit c'est un constat d'échec, soit c'est un acte de lucidité. Il faut savoir si on laisse le bateau couler ou si on a envie de le faire remonter. Bien sûr, il y a eu des échecs, sinon nous n'en serions pas là. Mais la réalité, c'est qu'il y a eu des échecs dans bon nombre d'industries, malheureusement les gens n'ont pas toujours une deuxième chance. Nous, Nokia, nous avons cette deuxième chance, par l'intermédiaire de ce partenariat avec Microsoft, et nous allons la saisir. Il faut se regarder dans une glace : nous avons perdu des parts de marché, nous n'avons pas anticipé suffisamment le développement du marché des smartphones. C'est là où nous péchons.

Sur l'entrée de gamme et le moyen de gamme, nous restons par contre le leader mondial incontesté des ventes de téléphones mobiles. Là nous avons su développer à la fois nos produits, nos compétences et notre réseau, notamment dans les pays émergents. Ça c'est un actif, qu'on a parfois tendance à sous évaluer, parce que dans les pays plus développés, on considère que le seul marché qui vaille est celui du smartphone. Aujourd'hui en France, le marché du smartphone représente 25 ou 30% des gens. Il faut faire attention à ne pas adopter un prisme trop restrictif, en ne pensant qu'à Paris XVIe ou à Neuilly : ça ne représente pas tout le monde.

Alors oui, on a raté un virage, mais on est en train de se rétablir, et ça me parait plutôt une bonne chose.

On imagine volontiers qu'il y a eu chez Nokia un intense effort d'introspection autour de cet échec, d'autant plus frustrant qu'avec un terminal comme le N95, vous teniez déjà les prémices de ce qu'allaient devenir les smartphones. Même si vous n'étiez pas encore chez Nokia à l'époque, quel est selon le vous le point d'inflexion, la raison de la sortie de route ?

De mon point de vue, avec un regard un peu externe puisque je n'étais effectivement pas là à l'époque, il y a deux choses. La première, c'est le tactile, on est passé à côté, clairement. La seconde, c'est qu'il nous a sans doute fallu trop longtemps pour comprendre l'importance qu'il y avait à surinvestir dans le logiciel. A l'époque, Symbian s'est laissé distancer par d'autres OS, qui se sont développés avec une meilleure qualité d'exécution et un meilleur écosystème. D'ailleurs si vous comparez les dernières versions de Symbian, comme Belle, à un Android, aujourd'hui on est au niveau, mais ça ne suffisait pas à notre sens pour attaquer le segment des smartphones haut de gamme... d'où le partenariat avec Microsoft.

Vous avez sans doute vu passer les déclarations d'Andy Rubin, de Google, selon qui il pouvait se révéler dangereux pour une société comme Nokia de s'engager dans une telle voie, parce que Microsoft ne laissait pas assez de marge de manoeuvre à ses partenaires, aussi bien sur le hardware que sur la personnalisation du software, pour créer des offres permettant de vraiment se différencier.

Il a peut-être raison ? Après, est-ce que Google va laisser beaucoup de marge de manoeuvre à ses partenaires après le rachat de Motorola, je ne sais pas. Ce que je sais aujourd'hui, c'est qu'on a une vraie marge de manoeuvre. Microsoft a eu "la chance" de se planter partiellement lors du lancement de sa dernière version, et du coup nous écoute vraiment. Il y a une vraie alliance, nos équipes de R&D travaillent ensemble et Nokia apporte des contenus, des services et un savoir-faire supplémentaires, qui lui sont propres. Très sincèrement, le partenariat se passe bien. La France est d'ailleurs en Europe l'un des pays où les choses se déroulent le mieux, avec un partenariat sensible à différents niveaux, que ce soit R&D, marketing ou commercial.

Venons au Lumia 800. Sans rentrer dans le détail des caractéristiques, longuement détaillées dans notre test, quels sont selon vous les éléments clé qui en feront un succès par rapport à la concurrence équipée de Windows Phone 7.5 ?

Le premier point, celui auquel je crois sans doute le plus, c'est le design. C'est un produit qu'on peut poser sur une table, dont l'utilisateur peut être fier. On en avait un peu marre des smartphones noirs et tristes. Là, on a de la couleur, et un design vraiment réussi. On a une optique Carl Zeiss, associée à une capacité de traitement de l'image vraiment géniale. On a bien sûr Nokia Drive, la solution de navigation GPS complète qui vous évite d'avoir à acheter un logiciel à 50 ou 90 euros chez la concurrence, mais aussi toute l'expertise télécoms et réseau de Nokia. On a un produit qui est abouti. Je ne dis pas que les autres ne le sont pas, mais là je crois qu'on reconnaît le créateur du N95 dont vous parliez tout à l'heure !

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A qui s'adresse en priorité le Lumia 800 ?

Nous avons deux cibles principales. La première est celle des utilisateurs Android qui voudraient changer de smartphone. La seconde, c'est celle des primo-accédants à l'univers des smartphones. En termes de tranche d'âge, on est sur du 15 - 35 ans, une population peut être un peu geek, qui a envie d'avoir un produit un peu différent ce qu'on trouve sur le marché, et qui a envie de le faire savoir. Des profils connectés, Facebook, Twitter, etc.

Au lancement de Windows Phone 7, le suivi opérateur n'était pas exceptionnel en France. Comment s'annoncent les choses de ce côté pour le Lumia 800 ?

Là, nous avons les trois opérateurs qui ont suivi et le proposent immédiatement. The Phone House joue le jeu aussi, ce qui nous garantit une grosse couverture. Nous sommes donc vraiment contents. Nous avons formé plus de 35 000 personnes qui se chargeront de présenter le produit et de le faire essayer au public. Plus de 2 000 appareils ont été mis à disposition des magasins. Ce produit, on pense qu'il faut l'avoir en main. Quand c'est le cas, il ne vous laisse pas indifférent. Peut-être n'aimerez-vous pas, mais si vous aimez, vous allez l'adopter rapidement. Il y a un aspect affectif qui me parait vraiment bon ici, j'en avais un peu marre du produit qui plait à tout le monde et qui finalement ne plait à personne... Et vous allez voir qu'à ce niveau, la gamme de produits va rapidement s'étoffer ! On a déjà annoncé le Lumia 710, dispo début 2012 en France, et il y en aura d'autres avec des formes et des design différents.

On peut imaginer le retour de séries comme le E71, avec des formes vraiment différentes de celles qu'impose le tout tactile ?

Exactement, on est dans cette logique là ! Le design un peu innovant du Lumia 800 restera sans doute en trame de fonds, mais on se laisse la possibilité d'aller vers d'autres familles de produit, pour vraiment développer notre marque.

Pour ce lancement, un important plan de communication va être engagé ?

Oui, bien sûr. On a commencé la semaine dernière avec Amazing calls, une campagne en ligne décalée avec des cadeaux complètement dingues, comme être invité à l'anniversaire de Joey Starr, ou acheter tout ce que vous voulez à la Fnac en dix minutes. La campagne TV a commencé la semaine dernière, et va durer quatre semaines. A côté de ça, on aura de l'affichage, du 4 par 3, des relations presse bien sûr et beaucoup d'autres choses. C'est le plus important plan de com' jamais lancé par Nokia France, avec un budget de 20 millions d'euros.

Au niveau des ventes, quels sont vos objectifs ou à défaut, à partir de quand considérerez-vous que le lancement est un succès ?

Quand nos partenaires opérateurs nous appelleront pour nous dire "on n'en a plus, vite, il faut nous livrer" ? On serait content d'arriver à ce seuil de rupture rapidement, bien sûr. Après, à moyen terme, notre ambition c'est de parvenir à un équilibre entre iOS, Android et Windows Phone (un tiers chacun) et que Nokia représente deux tiers de la portion Windows Phone, soit environ 22% du marché des smartphones en valeur. Mais ça c'est l'objectif que j'ai fixé pour 2015. Si on fait un succès de Lumia, on aura encore plus de moyens pour investir et réussir des lancements suivants. On va pas se mentir : il n'y a pas de plan B, il faut que ça fonctionne !

Récemment, un de nos lecteurs évoquait cet aspect « retour de la dernière chance », évoquant deux sociétés qui jusqu'ici avaient magistralement raté le coche des smartphones et qui du coup se réunissaient pour mieux rebondir...

Ça n'est pas forcément une question de dernière chance, mais il faut être lucide : une boite aussi importante que Nokia peut choisir d'abandonner le marché des smartphones, ou d'y aller. Si elle y va, ce qu'on fait avec Microsoft, on ne peut pas se permettre d'échouer et d'être coupé de ce marché. C'est l'alliance de ceux qui ont une deuxième chance. Souvenez-vous en 97, la Une de de Time Magazine (en réalité, c'était Wired, ndlr), avec une Pomme entourée de barbelés, qui évoquait la mort d'Apple. C'était il y a quatorze ans, et aujourd'hui Apple frise la première capitalisation mondiale. On est dans une économie où les choses vont extrêmement vite, où aucune position n'est définitivement ancrée. Quand on associe le leader mondial du logiciel au leader mondial des ventes de terminaux, soit on accouche d'une souris, soit on réalise une bombe atomique. A ce niveau, je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide.

Alexandre Laurent

Alex, responsable des rédactions. Venu au hardware par goût pour les composants qui fument quand on les maltraite, passé depuis par tout ce qu'on peut de près ou de loin ranger dans la case high-tech,...

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Alex, responsable des rédactions. Venu au hardware par goût pour les composants qui fument quand on les maltraite, passé depuis par tout ce qu'on peut de près ou de loin ranger dans la case high-tech, que ça concerne le grand public, l'entreprise, l'informatique ou Internet. Milite pour la réhabilitation de Après que + indicatif à l'écrit comme à l'oral, grand amateur de loutres devant l'éternel, littéraire pour cause de vocation scientifique contrariée, fan de RTS qui le lui rendent bien mal.

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