Pour éviter "un nouveau Napster", un rapport européen préconise de forcer l’accès des modèles d’IA à toutes les œuvres publiées, sans possibilité de refus pour les créateurs. Une recommandation qui relance un débat brûlant : faut-il sacrifier une part du droit d’auteur pour protéger l’innovation ?

Votre art pourrait servir à entraîner une IA… même si vous refusez. © Andrey Popov / Shutterstock
Votre art pourrait servir à entraîner une IA… même si vous refusez. © Andrey Popov / Shutterstock

Avant même de proposer une nouvelle régulation, le rapport part d’un constat simple : l’IA s’entraîne déjà sur des œuvres protégées, parce que le cadre légal actuel est flou. La plupart des modèles collectent massivement des textes, images ou musiques publiés en ligne, souvent sans autorisation individuelle. Certaines entreprises invoquent des exceptions de data mining, d’autres la "fair use" américaine. Pendant ce temps, les ayants droit multiplient les recours judiciaires, sans que la situation ne soit vraiment clarifiée.

Un rapport qui bouscule un droit fondamental

C’est justement cette zone grise que l’auteur du rapport souhaite dépasser. Commandé par la commission des affaires juridiques du Parlement européen, le document affirme que permettre aux artistes ou journalistes d’exclure leurs œuvres de l’entraînement IA serait une erreur. Selon lui, permettre aux créateurs d’exclure leurs œuvres provoquerait des manques dans les données d’entraînement : certains styles, genres ou voix disparaîtraient, ce qui rendrait les modèles moins fiables, moins complets et donc moins utiles pour la société.

La comparaison avec Napster occupe un rôle central dans le rapport. Selon l’auteur, l’Europe a commis une erreur en pensant qu’une stratégie purement judiciaire suffirait à freiner ou maîtriser l’évolution des usages numériques. Ce même réflexe (bloquer avant de comprendre) serait, selon l’auteur, en train de se répéter avec l’IA.

La piste d’une licence obligatoire… sans aucun opt-out

Pour éviter que l’IA ne devienne un champ de bataille juridique permanent, le rapport propose une solution radicale : instaurer une licence obligatoire, fixée par une autorité indépendante, qui autoriserait automatiquement l’utilisation de toutes les œuvres publiées. Les créateurs seraient rémunérés, mais ne pourraient plus refuser l’usage de leurs contenus pour l’entraînement des modèles.

L’argument avancé se veut pragmatique, puisqu'il est impossible pour les entreprises d’IA, et encore moins pour les plus petites d'entre elles, de négocier des millions de licences individuelles, et impossible de développer des modèles compétitifs avec des datasets incomplets. Un système centralisé éviterait donc une "fracture" de l’IA européenne et garantirait l’accès à un corpus suffisamment large pour rester dans la course mondiale.

Derrière cette vision d’efficacité économique, une question demeure : peut-on priver les artistes du droit de refuser l’exploitation de leur œuvre, même au nom de l’intérêt général ? Le rapport n’a aucune valeur législative, mais il ouvre clairement une porte. Une porte qui, si elle est franchie, redéfinirait en profondeur la relation entre création, technologie et droit d’auteur.