Les sites disparaissent, les domaines changent, mais leurs noms survivent. Dans le sillage de Fmovies, Cuevana ou 123movies, une économie parallèle s’est construite, fondée sur la notoriété de marques pirates devenues intemporelles.

Alors que la MPA vient de cibler 46 nouveaux domaines "zombies" liés à des marques pirates bien connues comme Fmovies, Cuevana ou Aniwave, la bataille contre le piratage entre dans une nouvelle ère. Derrière chaque fermeture officielle, des clones renaissent aussitôt, alimentés par la publicité et la notoriété de leurs prédécesseurs. Ce combat n’est plus seulement judiciaire : il est devenu économique, opposant une industrie du cinéma aux fantômes d’un business numérique qui refuse de mourir.
Offre partenaire
Proton VPN propose un large choix de serveurs dans plus de 115 pays vous permettant d'accéder à vos émissions et films en 4K, sans mise en mémoire tampon, ralentissement ni limitation.
Offre partenaire
L'éternel retour, version "zombie"
Cette semaine, la Motion Picture Association (MPA), via son bras armé ACE (Alliance for Creativity and Entertainment), a déposé deux nouvelles demandes d'assignation judiciaire DMCA devant un tribunal californien. Ces "subpoenas" (c'est le nom de l'outil prévu par la loi américaine) visent à obliger Cloudflare et le registre .to à livrer les données d’identification de 46 domaines liés à des marques pirates connues, comme le relatent nos confrères de Torrent Freak.
Dans la liste, on retrouve des domaines bien connus comme Fmovies, Cuevana, Aniwave, 123movies ou encore Nunflix, autant de noms déjà visés par des actions passées, parfois plusieurs fois.
Le problème, c’est que ces sites qui sont devenues de véritables marques ne meurent jamais vraiment. Chaque fermeture officielle donne naissance à une série de clones : des copies souvent sans lien avec les créateurs d’origine, mais qui exploitent la même identité visuelle afin de surfer sur la réputation du site d'origine. Ce sont les « zombie brands » du streaming : des fantômes numériques qui continuent d’attirer les internautes… comme les annonceurs.
Derrière les clones, un business bien réel
Derrière l’apparente anarchie des sites pirates se cache un écosystème parfaitement organisé. Quand un domaine tombe, un autre prend le relais… parfois dans la minute ! Le contenu, souvent copié d’un ancien site, est monétisé à travers un réseau opaque de publicités, de redirections et de malvertising.
Pour les administrateurs de ces sites "zombies", la publicité reste la principale source de revenus. Des plateformes publicitaires peu scrupuleuses achètent du trafic sur ces sites à fort potentiel, sans se soucier de l’origine des contenus et de la légalité du domaine. Et puisque les internautes se retrouvent sur ces sites parfois sans même avoir souhaité délibérement trouver un contenu illicite, nous avons tous déjà vu au moins une fois ces bannières frauduleuses, pop-ups déguisés en lecteurs vidéo, et autres fausses offres d'abonnement qui pullulent.
Certaines versions de Fmovies, par exemple, redirigent automatiquement vers des pages d’abonnement "premium" ou des extensions de navigateur piégées. D’autres jouent sur la notoriété du nom pour revendre du trafic vers des agrégateurs d’annonces ou des campagnes d’affiliation. Une forme de recyclage numérique qui transforme chaque fermeture en opportunité commerciale.
Le pouvoir du nom
Ce que ces "zombies" exploitent avant tout, c’est la confiance du public pirate. Un nom comme Fmovies agit comme un sceau de fiabilité, avec l'assurance de retrouver du contenu gratuit et facilement accessible, sans inscription. Peu importe que le site d’origine ait disparu depuis longtemps,l’internaute cherche la marque, pas l’URL.
Dans le monde hispanophone, Cuevana est devenue presque mythique. Le site original a été démantelé plusieurs fois, mais des dizaines de clones (cuevana3, cuevana.is, cuevana.io) continuent de fleurir. Même logique pour Fmovies, dont les créateurs vietnamiens ont été condamnés en 2024 : la marque, elle, n’a jamais cessé d’être utilisée.
Comme The Pirate Bay en son temps, ou T411 pour les utilisateurs francophones, ces noms sont devenus des repères culturels. Parfois, une simple recherche sur Google ou Telegram suffit à retrouver un clone actif, et l’utilisateur ne se soucie pas de savoir qui en tire profit.
Pour tenter d’endiguer ce phénomène, la MPA et d'autres ciblent désormais les intermédiaires. Les subpoenas déposées cette semaine visent Cloudflare, un acteur clé de la protection DDoS et de la distribution de contenus, ainsi que Tonic, gestionnaire du registre .to, une extension de prédilection des sites pirates.
Asphyxier plutôt que fermer
La lutte contre le piratage vit actuellement un tournant car, en Europe comme aux États-Unis, les autorités et les ayants droit ont bien compris que faire fermer des sites ne suffit plus. Tant que les clones continueront de générer du trafic et de l’argent, le phénomène perdurera. Les solutions les plus prometteuses passent désormais par l’assèchement des revenus publicitaires.
Certaines initiatives, comme TAG (Trustworthy Accountability Group), visent à certifier les régies publicitaires et à interdire la diffusion d’annonces sur des sites à contenu illégal. Mais les réseaux frauduleux se réinventent sans cesse, exploitant la lenteur de la régulation et la fragmentation du marché mondial.
L’autre levier, plus difficile à actionner, consiste à cibler les infrastructures techniques (CDN, registrars, hébergeurs) en leur imposant davantage de transparence. Là encore, la frontière entre neutralité et complicité reste floue.
Derrière ces marques zombies se joue donc une partie bien plus large que celle du piratage classique. Le fait est qu'elles ne sont pas seulement le symptôme d’une lutte inefficace, mais le signe d’une économie autonome, organisée, capable de renaître indéfiniment grâce à la notoriété, aux revenus publicitaires et à la demande toujours présente du public.
La MPA peut faire tomber des sites, saisir des domaines et obtenir des condamnations. Mais tant qu’un nom pirate aura une valeur marchande, il y aura toujours quelqu’un pour le faire revivre. Et dans ce cimetière numérique où chaque tombe est un portail monétisé, les fantômes du streaming ont encore de beaux jours devant eux.