La guerre contre le piratage en ligne vient peut-être de franchir un cap historique ! L’Inde, devenue l’un des laboratoires juridiques les plus actifs du monde en matière de lutte contre le streaming illégal, a autorisé une mesure d’une ampleur sans précédent : la suspension mondiale de centaines de domaines liés à des sites pirates. Un dispositif capable, pour la première fois, de neutraliser “l’Hydre du streaming” à la source.

Couper la tête de l'Hydre du streaming ne suffit pas selon la Motion Picture Association (MPA) et l'Alliance for Creativity and Entertainment (ACE) qui représentent les intérêts de grands studios hollywoodiens et de plateformes comme Netflix et Prime Video. Accompagnés par la Copyright Overseas Promotion Association (COA) l'organisme coréen de lutte contre le piratage, les trois entités viennent sans doute de mettre en place l'arme antipiratage la plus puissante jamais déployée.
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Une injonction d'un nouveau genre
Fin septembre, la Haute Cour de Delhi a donné raison à un groupe d’ayants droit comprenant Universal City Studios, Disney-Star India, Toho Co. Ltd. et le collectif coréen COA. Ensemble, ils ont obtenu une injonction permanente visant 106 sites pirates répartis sur 248 noms de domaine.
Cette décision, portée par la MPA et l’ACE, marque un véritable tournant dans la lutte contre le piratage. Pour la première fois, une cour autorise à la fois le blocage local des sites et la suspension de leurs domaines à l’échelle internationale.
Dans les faits, les fournisseurs d’accès indiens doivent couper immédiatement l’accès aux sites concernés, tandis que les registrars étrangers, notamment basés aux États-Unis, sont sommés de désactiver les noms de domaine.
Et le dispositif fonctionne déjà : des plateformes comme NameCheap, NameSilo, Spaceship ou Porkbun ont commencé à exécuter les ordres, plaçant un verrou numérique qui les rend tout simplement inaccessibles dans le monde entier.
Une portée mondiale sans précédent
Cette décision vise directement plusieurs plateformes majeures telles que Vidsrc, HydraHD et Cineby, connues pour proposer des milliers de films et séries sans abonnement, souvent avec une ergonomie proche des services légaux.
Ces sites incarnent parfaitement l’“Hydre du streaming” décrite par la MPA : un écosystème tentaculaire qui se régénère à chaque tentative de blocage. Lorsqu’un domaine est fermé, un autre réapparaît quelques heures plus tard. Mais cette fois, l’injonction va plus loin. Elle permet de cibler tous les sites miroirs, clones, redirections et proxies associés à un nom, un opérateur ou une source de contenu identique. Autrement dit, si une plateforme réapparaît sous un autre domaine ou un alias, elle peut être suspendue sans nouvelle procédure judiciaire. Une approche “dynamique” redoutable, pensée pour couper la tête de l’hydre avant même qu’elle ne repousse.
Le véritable changement d’échelle se situe là : une décision rendue en Inde est désormais exécutée par des acteurs basés aux États-Unis. Les registrars n’ont d’autre choix que d’obéir aux ordonnances indiennes, sous peine de voir leur responsabilité engagée. Ils doivent aussi transmettre les informations personnelles (KYC) des propriétaires de domaines (coordonnées, numéro de téléphone, données de paiement) aux ayants droit dans un délai de 72 heures.
En pratique, cela transforme une injonction locale en instrument de censure mondiale, capable de rendre un site totalement inopérant, même s’il est hébergé à l’étranger. Les effets sont d'ailleurs immédiats puisque plus de quarante domaines ont déjà disparu du réseau, tandis que plusieurs centaines d’autres pourraient suivre dans les semaines à venir.
Une stratégie de contournement du droit américain
Ce dispositif tire profit d’une faille juridique : aux États-Unis, les ayants droit peuvent déjà demander la saisie de domaines pirates, mais le processus est long et coûteux. En passant par la justice indienne, la MPA et ses partenaires obtiennent les mêmes effets, mais en quelques jours seulement. L’Inde devient ainsi une plateforme d’exécution internationale pour les décisions anti-piratage, soutenue par des tribunaux particulièrement réactifs et favorables aux détenteurs de droits.
Cette efficacité repose aussi sur l’héritage des “super-injonctions” obtenues par Disney plus tôt cette année. Ces ordonnances, à la fois locales et globales, autorisent le blocage instantané de domaines, sans nouvelle saisine de la cour.
Universal et ses alliés n’ont fait qu’étendre cette mécanique à l’échelle planétaire.
D’un point de vue stratégique, cette injonction représente l’arme antipiratage la plus puissante jamais déployée. Elle combine les forces du droit, de la technique et de la coopération internationale pour atteindre ce que les simples blocages DNS ne pouvaient pas faire : éteindre les sites à la racine.
Pour les ayants droit, c’est une victoire majeure dans la guerre contre le piratage, longtemps jugée perdue d’avance. Pour les défenseurs de la neutralité du Net, c’est une zone grise inquiétante, car elle crée un précédent… une juridiction nationale capable d’imposer une censure globale, sans contradiction, hors de ses frontières.
Mais dans les faits, cette offensive pourrait remodeler durablement la lutte contre le piratage. Jusqu’ici, les blocages restaient locaux, les suspensions isolées, et les sites pirates avaient toujours un pas d’avance. En mutualisant les moyens juridiques et techniques, l’industrie du cinéma vient peut-être de trouver la formule capable d’enrayer le cycle infini du “couper et repousser”.
Toujours est-il que l’Inde, en s’imposant comme le bras armé d’Hollywood, vient de prouver qu’une juridiction seule pouvait faire vaciller l’architecture mondiale du piratage. Une arme redoutable, capable d’abattre l’hydre… du moins, jusqu’à sa prochaine mutation.
Sources : Torrent Freak, Storyboard 18