En France, la lutte contre le piratage a franchi un cap décisif ces derniers mois. Après des années à cibler les sites illégaux, Canal+ a choisi de s’en prendre aux infrastructures qui leur permettent d’exister : les résolveurs DNS publics de Cloudflare et Google.

Sous l’impulsion de Canal+, la lutte contre le piratage a franchi un nouveau cap en France. © hyotographics / Shutterstock
Sous l’impulsion de Canal+, la lutte contre le piratage a franchi un nouveau cap en France. © hyotographics / Shutterstock

Fin 2024, la chaîne cryptée a obtenu d’un tribunal français une ordonnance inédite contraignant ces acteurs mondiaux à bloquer des domaines de streaming pirates. Une décision saluée par les ayants droit, mais qui soulève une question bien plus vaste : celle de la souveraineté numérique européenne face aux géants américains du cloud.

Derrière ce jugement, une bataille politique s'est enclenchée. Alors que l’Europe veut imposer aux intermédiaires numériques une responsabilité accrue, les États-Unis y voient une menace pour la liberté d’expression et le modèle ouvert du web.

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Canal+, l’ARCOM et la stratégie du blocage à la source

Pendant longtemps, les blocages français passaient uniquement par les fournisseurs d’accès à Internet. Mais la riposte des internautes, passant par des DNS alternatifs ou des VPN, rendait ces mesures peu efficaces. Canal+ a donc décidé d'agir. En s’appuyant sur la législation française, et avec le soutien de l’ARCOM, l’entreprise a obtenu le droit de forcer Google et Cloudflare à restreindre l’accès à certains sites pirates. Sous la menace d’amendes, OpenDNS a même préféré retirer ses services du marché français.

Ce jugement, vu comme un tournant en France, ouvre la voie à un modèle de régulation dit "infrastructurel". Au lieu de s’en prendre uniquement aux plateformes illégales, les ayants droit remontent désormais à la couche technique du réseau, celle qui assure la circulation des données. Grâce à un système d’injonctions dynamiques, validé par les tribunaux et actualisé directement par l’ARCOM, de nouveaux sites et miroirs peuvent être ajoutés à la liste noire sans repasser devant la justice.

Selon l’avocat Richard Willemant, représentant Canal+, cette approche commence à porter ses fruits. Les chiffres communiqués par l’ARCOM feraient état d’une baisse globale de 15 % du piratage en France, combinant le blocage des DNS tiers (–8 %) et des VPN commerciaux (–7 %). Une victoire relative, mais qui témoigne d’un changement d’échelle dans la stratégie anti-piratage.

Pour la première fois, la lutte contre le piratage ne se limite plus aux contenus : elle s’attaque aux outils de contournement eux-mêmes. Et c’est précisément ce qui dérange les acteurs du web, à commencer par Cloudflare, qui aurait décidé de bloquer certains sites "à sa discrétion", suscitant l’incompréhension des tribunaux et du régulateur français.

Quand la souveraineté numérique devient un enjeu géopolitique

Cette nouvelle offensive s’inscrit aussi dans la volonté européenne de reprendre le contrôle sur le numérique.

Avec le Digital Services Act (DSA), Bruxelles entend forcer les grandes plateformes et les prestataires d’infrastructure à coopérer activement avec les autorités pour lutter contre les contenus illégaux… Qu'il s’agisse de désinformation (avec beaucoup de sites russes en ligne de mire), d'IPTV pirate et autres contenus illicites. Sans abolir la responsabilité limitée des intermédiaires, le DSA en redéfinit les contours : les plateformes et prestataires d’infrastructure ne peuvent plus se contenter de la neutralité technique. Ils ont désormais un devoir d’action et de transparence face aux contenus illégaux.

Pour autant, cette vision régulatrice ne fait pas l’unanimité à Washington.
Selon plusieurs sources, le gouvernement américain a demandé à ses diplomates de s’opposer à certaines dispositions du DSA, jugées contraires à la liberté d’expression. Selon un document interne révélé par Reuters, les États-Unis invitent même leurs ambassades à convaincre les gouvernements européens "d’amender ou d’abroger" ces lois.

Pour Washington, le DSA serait une "menace étrangère de censure", risquant de restreindre les débats politiques et la liberté d’opinion sur Internet.

Derrière cette opposition idéologique se cache un enjeu économique évident. La régulation européenne du cloud remet en cause la domination des acteurs américains (Google, Meta, Amazon, Cloudflare, etc.) sur les infrastructures d’Internet. En posant ses propres règles, l’Europe cherche à concilier souveraineté numérique et protection de la création audiovisuelle, face à un web dominé par les géants américains.

En ciblant les DNS et les VPN, la France a ouvert une nouvelle ère dans la lutte contre le piratage et, plus largement, dans la régulation du web. Ce bras de fer entre Paris, Bruxelles et Washington dépasse désormais la question du streaming : il interroge la place que l’Europe veut occuper dans un Internet dominé par les infrastructures américaines.

Source : Torrent Freak