Quelques mois après son départ soudain, l'ancien P.-D.G. d'Intel, Pat Gelsinger, a confirmé les rumeurs qui circulaient : son départ n'était pas volontaire. Il a clairement laissé entendre que le conseil d'administration lui a forcé la main, l'empêchant de mener à terme sa coûteuse stratégie de reconquête.

« Je n'ai pas eu l'occasion de finir » - © AFP
« Je n'ai pas eu l'occasion de finir » - © AFP
L'info en 3 points
  • Pat Gelsinger a confirmé que son départ d'Intel n'était pas volontaire, mais imposé par le conseil d'administration.
  • La stratégie IDM 2.0 de Gelsinger, visant à transformer Intel en fondeur majeur, a été jugée trop coûteuse.
  • Intel, sous la direction de Lip-Bu Tan, se concentre désormais sur l'IA et une restructuration des fonderies.

Le départ de Pat Gelsinger en décembre dernier avait pris de court l'industrie technologique, alimentant de nombreuses spéculations. Lors d'une conférence à Tokyo, il a mis fin au suspense en déclarant avoir voulu « finir ce qu'il avait commencé ». Ces propos confirment les informations selon lesquelles le conseil d'administration lui aurait posé un ultimatum : démissionner ou être démis de ses fonctions.

Un départ qui n'était pas volontaire

La phrase est lourde de sens et sonne comme un aveu. « La décision de quitter Intel a été extrêmement difficile. Je voulais finir ce que j'avais commencé, mais comme vous le savez, on ne m'en a pas donné l'occasion », a confié Pat Gelsinger, confirmant ainsi avoir été évincé. Cette déclaration met un terme aux doutes qui planaient sur les circonstances réelles de son départ précipité.

La raison de cette éviction est la lenteur des résultats de son plan de redressement, jugé trop ambitieux et coûteux par le conseil d'administration. Malgré des avancées technologiques notables, la performance boursière de l'entreprise s'est effondrée de plus de 60% sous son mandat, une situation intenable pour les actionnaires.

Cette révélation vient jeter une lumière crue sur les tensions internes qui agitaient le géant de Santa Clara. Alors que les premières communications officielles laissaient entrevoir une succession en douceur, la réalité était tout autre. Cette décision abrupte avait d'ailleurs suscité de vives réactions, y compris celle d'un autre ancien P.-D.G. d'Intel qui n'avait pas hésité à prendre publiquement sa défense.

IDM 2.0 : le pari de la fonderie face à la réalité du marché

Au cœur de la discorde se trouve la stratégie IDM 2.0 (Integrated Device Manufacturing) portée par Pat Gelsinger. Son objectif était de transformer Intel en un fondeur de premier plan, capable de produire des puces pour des clients externes tout en continuant à sous-traiter une partie de sa propre production. L'ambition était claire : concurrencer directement les mastodontes asiatiques que sont TSMC et Samsung.

Pat Gelsinger -  © AFP
Pat Gelsinger - © AFP

Cependant, malgré le plan audacieux « 5 nœuds de gravure en 4 ans », les revenus n'ont pas suivi. La transition s'est avérée plus complexe et onéreuse que prévu, et le géant américain a peiné à convaincre de nouveaux clients majeurs, face à un TSMC qui domine outrageusement le marché avec plus de 60% des parts. Le fondeur taïwanais a même lancé sa propre contre-offensive avec son modèle Foundry 2.0, une offre de services complète incluant l'assemblage et le test des puces.

Le futur nœud de gravure Intel 18A, qui intègre les technologies PowerVia (alimentation par l'arrière de la puce) et RibbonFET (transistors de type Gate-All-Around), est certes prometteur sur le papier. Toutefois, il risque de perdre son avantage compétitif face au N2P de TSMC, dont la production en volume est prévue pour la seconde moitié de 2026, potentiellement avant qu'Intel ne puisse déployer massivement sa propre technologie.

L'héritage de Gelsinger et le futur d'Intel

Pat Gelsinger quitte donc l'entreprise avec un héritage contrasté et un confortable parachute doré, estimé entre 10 et 25 millions de dollars selon les sources. Il laisse derrière lui une entreprise en pleine mutation, mais dont la trajectoire est encore incertaine.

Le nouveau dirigeant, Lip-Bu Tan, semble vouloir opérer des changements significatifs. Sa vision pour Intel inclut une restructuration des activités de fonderie, un allègement des strates managériales jugées trop lentes et une concentration accrue sur l'intelligence artificielle, notamment avec les futures puces du projet Panther Lake.

Intel se trouve à un carrefour critique. L'avenir dira si la décision du conseil d'administration d'écarter Pat Gelsinger était une correction de cap nécessaire ou un pari hasardeux qui a privé l'entreprise d'une vision à long terme, au moment même où la compétition dans le secteur des semi-conducteurs atteint son paroxysme.