Des mini-réacteurs nucléaires sans eau, installables n'importe où, dans un conteneur : la solution française Naarea

Alexandre Boero
Par Alexandre Boero, Journaliste-reporter, chargé de l'actu.
Publié le 27 mai 2024 à 09h02
Maquette du mini-réacteur nucléaire de Naarea, ici à VivaTech © Alexandre Boero / Clubic
Maquette du mini-réacteur nucléaire de Naarea, ici à VivaTech © Alexandre Boero / Clubic

La start-up française Naarea promet de fournir une chaleur très haute température et une électricité pilotable, sans émissions de CO2. Sa solution ? Un mini-réacteur nucléaire de 4ème génération ultra-compact, d'une capacité de 40 mégawatts électrique.

Dans la course ô combien indispensable pour décarboner notre production d'énergie, une entreprise française pourrait bien bouleverser les règles du jeu. Fondée en 2020, Naarea développe une technologie de rupture : des mini-réacteurs nucléaires de quatrième génération, capables de produire une chaleur extrême de 700°C et de l'électricité sur demande.

L'idée ? Recycler comme carburant les déchets nucléaires très longue durée issus des centrales actuelles. Ces réacteurs à sels fondus, dépourvus d'eau, peuvent être installés partout sans risque d'explosion. Et leur taille ultra-compacte, équivalente à un semi-remorque, permet de les implanter au plus près des besoins industriels. Une commercialisation est attendue dès 2030. À VivaTech, nous avons pu discuter de tout cela avec le fondateur de l'entreprise, Jean-Luc Alexandre.

Un réacteur nucléaire de poche et modulable, qui doit le rendre irrésistible

Naarea a développé, avec Dassault Systèmes et Assystem, le jumeau numérique d'une centrale nucléaire de quatrième génération, centrale nucléaire qui présente de multiples avantages. Le premier d'entre eux : c'est la taille. Le petit îlot nucléaire, qui est tellement compact qu'il tient dans un conteneur, mesure 12 mètres de long sur 3 mètres de large. Il ne nécessite qu'un périmètre de sécurité de 100 mètres sur 100 mètres, suffisant pour empêcher des activistes ou des terroristes de le franchir, avec ensuite les mêmes exigences sécuritaires qu'une centrale nucléaire.

La taille de la petite centrale lui permet de s'installer pratiquement dans n'importe quelle surface, par exemple un bâtiment, en extérieur ou dans un souterrain. L'installation est tout de suite à disposition de l'industriel, à qui elle peut fournir directement de la chaleur, puisqu'il n'y a pas le fameux problème du transport. « En plus, il n'y a pas besoin de génie civil, car le seul utilisé, c'est pour la dalle antisismique en béton, sur laquelle on pose le conteneur », nous explique Jean-Luc Alexandre, le président et fondateur de Naarea, à la tête d'une équipe déjà constituée de 250 personnes.

La petite taille est un argument pour l'installation, mais aussi pour la déconstruction. « Lorsqu'on démantèlera, on pourra tout enlever, il ne restera rien. On peut aussi rajouter des modules, comme on le ferait avec des Lego, si la structure grandit ». Vous l'avez compris, on a donc affaire ici à un outil modulaire, capable de générer autant de puissance que possible.

Un plan plus large du mini-réacteur de Naarea © Alexandre Boero / Clubic
Un plan plus large du mini-réacteur de Naarea © Alexandre Boero / Clubic

Le fonctionnement du petit réacteur détaillé

Le cœur du réacteur est la partie la plus importante de l'installation : c'est ici que se passe la réaction nucléaire. On y extrait la chaleur avec différents étages d'échangeurs de chaleur, et on sort du conteneur à 700°C en phase liquide. De l'autre côté, on aspire tous les gaz de fission produits, pour ne pas polluer la réaction neutronique à l'intérieur, ni pour avoir de pression dans le réacteur, « donc vous extrayez les gaz, vous les traitez et les stockez en phase solide », ajoute Jean-Luc Alexandre.

Le cœur est constitué d'un matériau, une céramique, qui est très importante. Elle permet de fabriquer des éléments à l'aide de l'impression 3D. « Il n'y a plus de soudure, c'est le grand défi du nucléaire de demain. On évite les soudures autant que faire se peut ».

La mini-centrale n'a pas besoin d'eau pour fonctionner, du pain béni pour l'environnement

Outre l'avantage de sa petite taille, le petit réacteur de Naarea possède une autre propriétaire salvatrice, un argument écologique majeur. « L'eau est sacrée, c'est une ressource qu'il faut préserver », nous rappelle Jean-Luc Alexandre. « L'ensemble des réacteurs dans le monde est refroidi avec de l'eau majoritairement, car ils ont besoin d'être refroidis en continu, mais aussi en cas de perte de l'ensemble des équipements qui sont autour, ce que l'on appelle la "puissance résiduelle" ».

Ici, le réacteur est tellement petit que Naarea a réussi à montrer que l'eau n'était tout simplement pas nécessaire à son fonctionnement. Au lieu de ça, la start-up évacue la puissance résiduelle avec un échange thermique avec l'air, « ce qu'on appelle la "convection naturelle", qui change la donne ». La petite taille rend cela possible. « Si le réacteur devient plus grand, on atteint alors une limite, qui nous pousse à rebasculer sur de l'eau », ce qui n'est absolument pas le but recherché, dit Jean-Luc Alexandre.

Une partie du cœur du réacteur © Alexandre Boero / Clubic

Naarea a d'ailleurs fait la même chose sur le deuxième conteneur, qui transforme la chaleur en électricité. « Ce n'est pas une turbine vapeur, c'est une turbine au CO2 supercritique. Cela tombe bien, il y en a plein dans l'air ». Le fonctionnement en circuit fermé permet de ne pas dégager de CO2. Bilan des courses : Naarea utilise un gaz à profusion dans l'atmosphère, tout en préservant l'eau, ressource appelée à se rarifier toujours plus.

Puissance, autonomie et maintenance, le mini-réacteur nucléaire de Naarea ne fait pas semblant

La centrale de Naarea est dotée d'une capacité de 80 mégawatts (MW) thermique (pour dégager de la chaleur), ou de 40 MW électrique. « C'est la puissance électrique des besoins résidentiels d'une ville de 250 000 habitants, comme Bordeaux par exemple », illustre Jean-Luc Alexandre, ancien directeur des nouvelles technologies (CTO) du géant Suez, pour les infrastructures. C'est aussi la puissance des plus gros îlots industriels. Un îlot nucléaire, rappelons-le, est l'ensemble qui comprend la chaudière nucléaire, les installations liées au combustible, et les équipements nécessaires au fonctionnement et à la sécurité du tout.

Concernant l'autonomie, la charge devrait tenir autour de 5 ans en moyenne. Les conteneurs, eux, ont été dessinés pour une période de 100 ans, avec une période de fonctionnement de 50 ans. Tous les 10 ans, comme pour les avions, chaque mini-réacteur sera renvoyé en usine pour être remis en état.

S'agissant de la maintenance, Naarea nous explique que la partie nucléaire sera pilotée à distance. Pendant les cinq 5 premières années, il n'y aura pas de maintenance justement sur l'îlot nucléaire. Sur la partie externe, avec la turbine, une maintenance régulière est prévue, sans interruption. « Tout a été conçu en système plug-and-play », résume Jean-Luc Alexandre. 5 000 capteurs doivent permettre de monitorer l'état d'avancement de maintenance du réacteur en temps réel.

Naarea ne s'arrête pas en si bon chemin et développe, avec une start-up issue du CEA (Commissariat à l'Énergie atomique), un laser qui va permettre de mesurer, en temps réel, l'inventaire des éléments qu'il y a dans les sels fondus. « Quand vous faites de la fission, vous créez des éléments en permanence, mais vous ne savez pas lesquels, il y a une statistique de répartition. Là, l'instrument va prendre la mesure et vous dire "voilà l'inventaire à l'instant T" ».

Calendrier, prix, intérêt pour le mini-réacteur : les précisions de Naarea

Complément idéal des énergies renouvelables, « dont l'intermittence est le talon d'Achille », le petit réacteur, qui ne nécessite plus de stocker l'énergie, va aboutir à la construction d'un jumeau physique, avec un premier prototype espéré en 2027. Suivra un prototype nucléaire en 2028, puis un prototype commercial, le premier de série, espéré en 2029-2030.

Naarea va œuvrer en se qualité de concepteur, fabricant et opérateur-mainteneur du réacteur, dont la start-up fabriquera des pièces et commandera celles restantes auprès de fournisseurs européens. Comme ça, l'entité française n'est dépendante d'aucune chaîne d'approvisionnement et peut réduire ses coûts.

D'ailleurs, l'entreprise promet de fournir une énergie à des tarifs compétitifs. « On garantit un prix de l'électricité décarbonnée inférieur à tout ce qui existe aujourd'hui, en non-intermittent, j'insiste. Si on veut décarboner, il faut être compétitif », complète Jean-Luc Alexandre. Le dirigeant affirme avoir déjà vendu 20% de la production sur 20 ans, auprès des clients venus de tous les secteurs. ACC et sa gigafactory de batteries du Nord en font partie. L'histoire ne fait que commencer pour Naarea.

Par Alexandre Boero
Journaliste-reporter, chargé de l'actu

Journaliste, chargé de l'actualité de Clubic. En soutien direct du rédacteur en chef, je suis aussi le reporter et le vidéaste de la bande. Journaliste de formation, j'ai fait mes gammes à l'EJCAM, école reconnue par la profession, où j'ai bouclé mon Master avec une mention « Bien » et un mémoire sur les médias en poche.

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Commentaires (10)
g-jack

J’ai toujours été étonné de voir que depuis des 10aines d’année on était capable de faire tourner des réacteurs nucléaires dans des sous marins à quelques mètres du personnel de bord pendant des mois sans aucun problème et que sur terre ça ne se faisait pas…
Je pense que plutôt que de dépenser des 10aines de milliards dans des centrales immense (EPR) cette solution semble plus adaptée, surtout qu’on évite l’énorme perte dans les réseaux des centrales actuelles vu que là on utilise la ressource au plus près du besoin, et à moindre risque.
Reste à voir si ça va aboutir rapidement et les inconvénients à venir

Baxter_X

Ca à l’air pas mal sur le papier. Par contre attention, les réacteurs au sel fondu ne sont pas encore au point. Il y a bien eu de prototypes mais maintenir le sel sous forme de liquide est le plus grand défis. Et ce point la n’a pas encore été réglé.

twist_oliver

Espérons qu’ils ne soient pas rachetés et le concept enterré !

MattS32

La principale raison est sans doute la sécurité : avoir des centaines de petits réacteurs disséminés à travers tout le pays augmente grandement le risque que des personnes malveillantes réussissent à mettre la main sur des matières radioactives, qui pourraient par exemple être utilisées pour fabriquer une bombe sale.

Et la perte dans les réseaux n’est pas si énorme que ça, en France elle est de l’ordre de 3% sur le réseau de transport, et autant sur le réseau de distribution (qui n’est pas forcément évité avec des petites centrales, sauf dans le cas où elles sont dédiées à un site industriel particulier). Et je me demande si ça ne serait pas en partie, si ce n’est même totalement, compensé par un meilleur rendement des gros réacteurs par rapport aux plus petits (le rendement augmente notamment avec la hausse de la pression du circuit secondaire, comme ça a été fait sur l’EPR, et je ne pense pas que sur des mini réacteurs ont puisse monter aussi haut en pression…).

Thierry_Arttek

périmètre de sécurité de 100 mètres sur 100 mètres
Et si il était en sous-sol ? estce que ce périmetre serait aussi necessaire ?
en sous-sol c’est deja plus en sécurité avec acces blindé par exemple…

iL me semble que les dechets nucleaire tres long terme sont hautement radioactif
Comment s’en protegent ils ? lors du fonctionnement et création de ce combustible avec des sels ?
On nous dit pas aussi la durée de vie de ce nouveau combustible, en utilisant les fûts de dechets radioactif je suppose
Mais en général cette solution est interessante, vu la demande en electricité qui va exploser d’ici une a deux décénnies.
Ca à l’air d’être une solution des plus rapide dans le temps, de plus que cette energie est dispo 24/24
Les grandes centrales sont cheres et il faut des decennies pour en faire une , securité, maintenantce cout etc…

" vous extrayez les gaz, vous les traitez et les stockez en phase solide
la aussi il nous faudrait des eclaircissement sur ce sujet :slight_smile:

Thierry_Arttek

La aussi dans les sous marins en effet les gens sont treeees proches;…
le type d’uranium utilisé est-il le même que dans les centrales ?
on manque d’infos la pour comprendre , sûrement secret défense…

xavz78

Les risques concernant la sécurité de ces réacteurs mobiles sont en realité faibles et il restera plus facile de mettre la main sur des explosifs conventionels et/ou des armes. Maintenant où je vous rejoins, c’est sur l’aspect emotionel autrement plus dévastateur. Tout comme le terrorisme qui statistiquement à moins tué que les accidents de la route par exemple, le traumatisme a été très largement partagé. Idem pour le Covid qui a sensiblement fragmenté nos sociétés au point que le sujet des vaccins n’est toujours pas digéré par certains, des années après.
Du coup peut être qu’un compromis intermédiaire serait de construite de plus grosses centrales qui resteront largement plus petites que nos centrales actuelles et ainsi mieux assurer la sécurité ce ces nouveaux réacteurs.
En tout cas, ravi de voir la technologie de ces nouvelles générations être activement developpée pour se rapprocher d’une production et d’une démocratisation dans un avenir relativement proche.

_Reg24

Intéressant sur le palier pour palier à une grosse coupure suite à un grave accident nucléaire / rupture d’un barrage ou je ne sais quel cataclysme.

danioul

J’ai vu dans un reportage il y a plusieurs années que la solution ‹ sel fondu › était la plus sûre en nucléaire, mais qu’elle na pas eu le soutient des gouvernements d’alors (1950 - 1990) du fait qu’elle ne permettait pas de produire d’uranium enrichi et plutonium pour faire les bombes.
Dommage, mais il semble que l’on y arrive gentiment. En tout cas, la chine y est également dessus depuis plusieurs années, me semble t’il.

gounzor

L’article n’en parle pas, mais cette solution a été abandonnée un peu partout dans le monde (aux usa récemment) à cause des coûts : ça n’est pas plus avantageux d’avoir plein de petits réacteurs chacun avec l’infrastructure énorme juste à côté de distribution, de sécurité et de refroidissement qu’ils nécessitent plutôt qu’un très gros réacteur qui centralise tout et baisse les coûts.

Il y a aussi plusieurs études qui ont montré que le développement de ces solutions étaient trop tardives pour concurrencer le renouvellable (2050 +2 degrés anticipés).

Mais voilà ça fait plaisir à l’opinion, aux dirigeants, et aux ingénieurs du nucléaire en France (ainsi qu’à leurs influenceurs qui paient des articles), donc ça continue d’être developpé et surtout financé pour un résultat déjà anticipé comme médiocre partout ailleurs sauf en France.