Très loin de la Terre, trois galaxies ont décidé de s'unir dans un carambolage cosmique d'une rare violence. Clou du spectacle : leurs trois trous noirs supermassifs sont entrés en phase d'accrétion simultanée. Un festin d'une rare intensité, permettant d'observer, en temps réel, la croissance synchronisée de ces monstres cosmiques.

La libération d'énergie potentielle lors de la collisions des trois galaxies équivaut à l'explosion simultanée de milliards de supernovas. © NASA images / Shutterstock
La libération d'énergie potentielle lors de la collisions des trois galaxies équivaut à l'explosion simultanée de milliards de supernovas. © NASA images / Shutterstock

Si les fusions de paires de galaxies sont monnaie courante dans l'histoire de l'Univers (notre propre Voie lactée en porte encore certains stigmates comme la galaxie Gaïa-Encelade ou les courants stellaires comme celui du Sagittaire), les triples collisions sont une rareté statistique absolue. C'est pourtant ce qu'a relevé une équipe de l'US Naval Research Laboratory, ainsi que plusieurs autres institutions, en analysant des relevés infrarouges du télescope WISE (Wide-field Infrared Survey Explorer).

Après épluchement des données, ils ont repéré un signal inhabituel émanant d'une région lointaine de l'espace, à 1,2 milliard d'années-lumière de notre planète. Au premier regard, l'objet, baptisé J1218/1219+1035, ne semblait être qu'un duo de deux galaxies dont les bords se chevauchaient déjà, chacune abritant son propre trou noir supermassif. Néanmoins, des observations de suivi ont révélé un invité surprise : une troisième galaxie située à environ 316 000 années-lumière du centre. Elle avait laissé derrière elle une immense traînée de gaz, arrachée par les forces de marée gravitationnelle, qui reliait physiquement ce troisième larron aux deux autres.

Des triples-fusions ont déjà été observés par le passé, mais en revanche, ce qui ne l'avait jamais été c'est, que les trois trous noirs au centre de ce chaos soient tous en train de dévorer de la matière au même moment. En temps normal, ces monstres galactiques ne sont visibles qu'à ce moment là, car ils expulsent de gigantesques jets de plasma. C'est en les détectant que l'équipe a réussi à prouver qu'ils étaient tous actifs simultanément ; un phénomène inédit, qui a fait l'objet d'une publication le 15 décembre dans la revue The Astrophysical Journal Letters.

Un banquet cosmique démasqué par les ondes radio

Pour comprendre comment le système J1218/1219+1035 a pu tromper les astronomes, il faut saisir d'abord que voir une galaxie ne signifie pas automatiquement que l'on voit son trou noir. Dans les relevés optiques, la lumière des milliards d'étoiles et les denses nuages de poussière masquent totalement ce qui se passe au centre. On voyait bien des galaxies s'entremêler, mais leurs cœurs restaient complètement silencieux : impossible donc de distinguer si les deux galaxies se rapprochaient ou si elles rentraient en fusion.

En astronomie, deux galaxies peuvent paraître proches sur une image alors qu'elles sont séparées par des millions d'années-lumière de profondeur (un simple effet de perspective). Ce qui a induit les chercheurs en erreur, c'est que les relevés infrarouges de WISE ne montraient que deux sources lumineuses distinctes. La troisième galaxie était si proche de ses voisines et si enveloppée de poussière qu'elle se fondait dans la masse, passant pour une simple extension du duo.

Pour passer outre ce camouflage, l'équipe a utilisé les ondes radio, qui contrairement à la lumière visible ou à l'infrarouge, peuvent traverser la matière sans difficulté. En braquant des radiotélescopes sur cette zone, les chercheurs ont détecté trois sources d'énergie : un trio de noyaux actifs de galaxies.

Chaque galaxie possède son propre moteur, un trou noir supermassif. Lors d'une collision, d'énormes quantités de gaz sont précipités vers son centre et il se met à dévorer la matière si vite qu'il finit par en recracher une partie sous la forme de jets de matière brûlante projetés à des vitesses phénoménales.

Ce sont précisément ces jets qui ont émis les ondes radio captées par les chercheurs, un surplus de matière tellement dense que le monstre déborde et trahit sa présence dans les ondes radio. Il devient alors une balise très puissante, qu'aucun nuage de poussière ne peut occulter.

En voyant trois de ces balises s'allumer simultanément dans un périmètre aussi réduit, l'équipe a pu confirmer que les trois cœurs galactiques étaient tous actifs en même temps. La preuve irréfutable que ces trois galaxies étaient en pleine fusion, nourrissant leurs propres trous noirs de concert.

« Les systèmes de triples galaxies actives sont d'une rareté exceptionnelle. En débusquer un en pleine collision nous permet d'observer en direct comment les galaxies géantes et leurs trous noirs grandissent main dans la main », explique Emma Schwartzman, autrice principale de l'étude.

Trois ogres cosmiques dans un seul cliché : bienvenue au cœur d'une collision triple ultra-rare. Les cercles mettent en évidence les trois noyaux galactiques actifs. © Schwartzman et al., ApJL, 2025
Trois ogres cosmiques dans un seul cliché : bienvenue au cœur d'une collision triple ultra-rare. Les cercles mettent en évidence les trois noyaux galactiques actifs. © Schwartzman et al., ApJL, 2025

Le chaînon manquant de la croissance cosmique

Ce trio galactique peut apporter quelques éléments de réponse à une grande question qui taraude l'astrophysique depuis les années 1960, avec la découverte des quasars : comment les trous noirs supermassifs parviennent-ils à devenir aussi gigantesques ? Une énigme très difficile à percer, mais qui pourrait tenir son explication dans les immenses filaments de gaz que l'équipe a identifiés entre les trois galaxies. Ce sont de véritables « autoroutes » nourricières pour les trous noirs : sous l'effet d'une gravité déchaînée, le gaz est canalisé vers les centres galactiques, servant ainsi une quantité colossale de matière aux trois ogres.

Grâce à l'observation de ce système, les chercheurs ont également pu s'attaquer à un blocage théorique : normalement, lorsque deux galaxies fusionnent, leurs trous noirs respectifs finissent par orbiter l'un autour de l'autre sans jamais réussir à se percuter. Arrivés à une certaine distance, ils n'ont plus assez de gaz ou d'étoiles autour d'eux pour freiner leur course : ils restent alors coincés dans un face-à-face éternel.

En identifiant ce troisième trou noir qui s'est invité dans la collision, les scientifiques ont en réalité mis le doigt sur le déclencheur de la fusion. Par sa simple présence, sa force de gravité est si puissante qu'elle vient perturber l'orbite du premier duo. En bousculant ce face-à-face, il force par conséquent les deux premiers trous noirs à se percuter beaucoup plus rapidement pour n'en former qu'un seul.

Voilà pourquoi on peut parler de « chaînon manquant » : sans cette triple interaction, les modèles de formation galactiques peinent à expliquer l'existence de trous noirs aussi massifs dès les premières époques de l'Univers. En capturant ce moment unique, l'équipe d'Emma Schwartzman a démontré que ces types de fusions sont indispensables pour que, dans notre Univers, se forment les corps célestes les plus massifs. Le rôle du troisième trou noir dans ce processus n'était, jusqu'à maintenant, qu'une hypothèse mathématique remontant aux années 1970 avec les travaux de Sverre Aarseth. Cette nouvelle étude nous fait comprendre physiquement, que, sans ce chaos à trois, les plus grands trous noirs du cosmos ne pourraient tout simplement pas exister.

Source : Science Alert