Des chercheurs ont détecté la fusion de deux trous noirs d’une taille inattendue. Le résultat dépasse largement ce que les modèles astrophysiques autorisent aujourd’hui.

 Une simulation informatique de la collision de deux trous noirs publiée après l'événement a été détectée pour la première fois par Ligo en 2016 - ©Laboratoire LIGO/Reuters
Une simulation informatique de la collision de deux trous noirs publiée après l'événement a été détectée pour la première fois par Ligo en 2016 - ©Laboratoire LIGO/Reuters
L'info en 3 points
  • Les chercheurs ont détecté une fusion de trous noirs d'une taille inédite, défiant les modèles astrophysiques actuels.
  • La fusion a produit un trou noir de 225 masses solaires, bien au-delà des prévisions théoriques existantes.
  • Les détecteurs d'ondes gravitationnelles ont gagné en sensibilité, permettant d'observer des événements plus complexes et éloignés.

En novembre dernier, les collaborations LIGO, Virgo et KAGRA ont capté le signal GW231123 lors d’une nouvelle campagne d’observation. Ce signal correspond à la fusion de deux trous noirs d’une masse inédite, environ 103 et 137 fois celle du Soleil. L’événement a donné naissance à un trou noir final encore plus imposant, 225 fois plus massif que notre étoile. Jamais les instruments d’astronomie gravitationnelle n’avaient enregistré un tel phénomène.

GW231123 dépasse de loin les fusions précédentes. Jusqu’ici, le record était détenu par un événement baptisé GW190521, avec un objet final de « seulement » 140 masses solaires. Mais ici, ce n’est pas seulement la masse qui interpelle. Les deux trous noirs tournaient à une vitesse proche des limites définies par la relativité générale, ce qui complique l’analyse du signal. Il a fallu plusieurs mois pour réussir à le décrypter correctement.

Les modèles d’évolution stellaire ne permettent pas d’expliquer cette masse

Ils fascinent autant qu'ils interrogent et font douter les plus sachants d'entre nous. Après qu'un prix Nobel a remis en question la photo d'un trou noir réalisée à l'aide d'une IA, c'est au tour d'un autre de créer l'étonnement. Les astrophysiciens n’avaient pas prévu un tel cas de figure. Un trou noir de cette taille ne peut pas être le produit direct de l’effondrement d’une étoile. « En réalité, les modèles actuels d’évolution stellaire ne permettent pas l’existence de trous noirs aussi massifs », précise Ed Porter, chercheur au laboratoire Astroparticules et Cosmologie (APC) du CNRS à Paris. En creux, le phénomène ne devrait même pas exister.

L’une des pistes envisagées renvoie à un scénario plus complexe, dans lequel chaque trou noir proviendrait lui-même d’une fusion antérieure. Les chercheurs parlent alors de fusion hiérarchique. Cette hypothèse pourrait expliquer la masse finale observée, mais elle implique une longue série d’événements rares, tous suffisamment proches dans le temps et l’espace pour se produire en chaîne.

Il reste difficile de détecter ce type de configurations. Les objets concernés tournent vite, très vite. Cela brouille leur signal et complique les calculs. À Glasgow, lors de la conférence Edoardo Amaldi, plusieurs membres de la collaboration LIGO/Virgo/KAGRA ont insisté sur cette complexité. La vitesse de rotation rend l’analyse plus longue, plus délicate, plus sujette à l’erreur.

Il est tellement énorme, ce trou noir, qu'il ne devrait pas exister - ©Mohd. Afuza / Shutterstock
Il est tellement énorme, ce trou noir, qu'il ne devrait pas exister - ©Mohd. Afuza / Shutterstock

Les détecteurs atteignent un nouveau seuil et révèlent des signaux inédits

Ce nouveau signal montre aussi les progrès réalisés par les détecteurs d’ondes gravitationnelles. La campagne d’observation O4 a démarré en mai 2023. L’instrumentation a gagné en sensibilité, ce qui permet désormais de capter des signaux plus lointains et plus fins que les précédents. GW231123 témoigne de cette amélioration. Les instruments ont tenu une cadence d’observation record, tout en gagnant en précision.

« Cet événement repousse les limites de nos capacités d'instrumentation et d'analyse de données », confirme Sophie Bini, post-doctorante à Caltech. Il a fallu mobiliser des modèles théoriques prenant en compte la dynamique complexe des objets à rotation élevée. Pour la collaboration, l’objectif consiste désormais à mieux cerner ces systèmes rares, et à anticiper de futures observations du même type.

Les données issues de cette quatrième campagne seront rendues publiques au fil de l’été. Elles permettront à d’autres équipes de mener leurs propres analyses. D’autres résultats sont également attendus dans les mois qui viennent. Ce nouveau trou noir n’est peut-être qu’un début.

La collaboration LIGO/Virgo/KAGRA réunit plus de 3 000 chercheurs à travers le monde. Elle utilise des détecteurs installés aux États-Unis, en Italie et au Japon. Un nouveau site est en construction en Inde. Depuis 2015, ces instruments ont permis de capter des dizaines de fusions, dont certaines entre étoiles à neutrons. Mais des objets de masse intermédiaire, entre 100 et 200 fois celle du Soleil, restent rares.