L'administration Trump veut faire de l'autorisation ESTA un véritable passeport numérique. Pour voyager sur leurs terres, les États-Unis pourraient très bientôt exiger de dévoiler un historique élargi de ses réseaux sociaux. Derrière l'emballement, il convient de tempérer.

L'entrée sur le territoire américain pourrait pousser les voyageurs à fournir encore plus d'informations à l'immigration locale. © Alexandre Boero / Clubic
L'entrée sur le territoire américain pourrait pousser les voyageurs à fournir encore plus d'informations à l'immigration locale. © Alexandre Boero / Clubic

ÉDITO. Bienvenue dans l'ère de la transparence forcée. Oups, mais en fait, c'était déjà un peu le cas, à vrai dire. Si vous avez suivi l'actualité, vous avez peut-être entendu parler de l'avis publié mercredi par le Federal Register américain, qui est l'équivalent de notre Journal officiel tricolore, largement relayé dans les médias. Ce dernier fait paniquer les voyageurs, déjà historiquement obligés de compléter une demande ESTA de plus en plus coûteuse (40 dollars) pour se rendre aux États-Unis. Voilà qu'il y est mentionné que les touristes « devront fournir leurs profils sur les réseaux sociaux des cinq dernières années ».

La France, comme les 42 pays qui ne sont pas obligés de fournir de visa s'ils passent moins de 90 jours dans le pays, doit s'y astreindre. Il semble qu'à ce stade, l'opinion et les médias s'emballent légèrement.

Les États-Unis demandent déjà vos comptes de réseaux sociaux, même si c'est optionnel

Il ne s'agit pas pour moi de vous dire si tout cela est bien, pas bien, juste ou injuste. Essayons de rester factuel, et de comprendre ensemble. La formulation que j'ai pu lire, à droite et à gauche, tend à nous faire croire que nous devrons fournir l'historique total de tout ce que nous avons pu faire sur les réseaux sociaux au cours des cinq dernières années, et que donc nos vies seront scrutées jusqu'à l'os. Heureusement, ce n'est pas tout à fait ça, ce serait bien trop difficile et compliqué, même en mettant hypothétiquement les géants du numérique à contribution.

La formulation exacte de l'avis publié au Journal officiel américain est la suivante, je la repose ici. « Afin de se conformer au décret présidentiel 14161 de janvier 2025 (Protection des États-Unis contre le terrorisme étranger et autres menaces à la sécurité nationale et à la sécurité publique), le CBP (Ndlr : les douanes américaines) ajoute les réseaux sociaux comme donnée obligatoire pour une demande d’ESTA. Les demandeurs d’ESTA devront fournir leurs profils sur les réseaux sociaux des cinq dernières années. »

Si vous avez voyagé aux USA ces dernières années, vous allez vite savoir de quoi je parle. La demande d'ESTA que vous avez rempli ces dernières semaines, ces derniers mois et années, demandait déjà d'indiquer ses comptes de réseaux sociaux à l'immigration américaine. Non, cela n'est pas nouveau ! Rien ne nous obligeait à le faire par contre, puisqu'à côté de la partie « Social Media » (réseaux sociaux) était écrite la mention « optional », donc optionnel.

Ce qui va changer désormais, si l'administration Trump parvient à aller au bout de son idée, ce qui n'est ni fait ni certain, c'est que vous devrez obligatoirement, en théorie, montrer patte blanche, et indiquer tous vos comptes utilisés au cours des cinq dernières années : LinkedIn, X/Twitter ; Facebook ; Instagram ; YouTube et compagnie.

Bienvenue à l'aéroport de Chicago ! © Alexandre Boero / Clubic
Bienvenue à l'aéroport de Chicago ! © Alexandre Boero / Clubic

Plus que les réseaux sociaux, l'immigration américaine veut tout savoir de votre famille

On ne peut pas parler, ici, de scandale ou de nouveauté, ce serait intellectuellement faux. On peut en revanche parler de durcissement certain de cette partie de l'ESTA, qui vient un peu plus encore empiéter sur notre vie privée, c'est évident.

Autre élément très commenté dans les médias depuis hier : l'obligation de donner des renseignements sur ses parents. Là aussi, ce n'est pas une nouveauté. Il est, déjà aujourd'hui, obligatoire de donner le nom et le prénom de votre papa, et de votre maman. N'ayant plus mon papa depuis longtemps, je suis évidemment étonné à chaque fois que je dois remplir son nom juste pour me rendre de l'autre côté de l'Atlantique. Et attention, cette formalité est déjà obligatoire, contrairement aux réseaux sociaux. Je vais même vous dire que sous le précédent mandat de Donald Trump, c'était encore pire, puisqu'il fallait donner les dates de naissance de ses parents, et si je me souviens bien, les lieux de naissance ! L'administration Biden avait un peu assoupli cela.

Ce que propose aujourd'hui le gouvernement américain, c'est un retour à cette période-là, retour doublé d'un très gros durcissement. Car si adoptée, la prochaine version de l'ESTA pourrait demander aussi des informations sur votre conjoint, vos frères, sœurs et enfants. Et outre leurs noms, l'administration voudra avoir tout ce qui est date de naissance, lieu de naissance et résidence des membres de la famille. Là, je dois reconnaître que ça commence à faire beaucoup, mais ce n'est pas tout !

Contrôle de passeport (en France). © Alexandre Boero / Clubic

Beaucoup plus d'informations à fournir, mais rien d'encore définitif

Là où, de notre point de vue d'Européens très à cheval sur les questions de vie privée, on peut être un peu plus gênés, c'est sur les nouveautés qui pourraient être associées à l'ESTA. Dans le JO américain, apparaissent les numéros de téléphone utilisés au cours des cinq dernières années, les adresses électroniques utilisées au cours des dix dernières années, et même les adresses IP et métadonnées des photos soumises électroniquement. La transparence, on nous dit. Ajoutons à cela les numéros de téléphone professionnels des cinq dernières années, et les adresses électroniques pro cette fois des dix dernières années.

Les auteurs de cet avis qui fait débat expliquent également que les demandes d'ESTA devront obligatoirement être faites via l'application mobile ESTA, plus gourmande en données personnelles que le site internet. Cela « renforcera la sécurité et améliorera l'efficacité », précise l'immigration, qui ajoute que « le téléchargement d'images de mauvaise qualité sur le site web ESTA a permis à certains demandeurs de contourner le contrôle de reconnaissance faciale ». Le nombre de photos de passeport invalides est estimé à 8 000 par la douane de l'oncle Sam. Le site internet ne sera donc plus qu'un portail d'informations.

Alors pourquoi vous dis-je qu'il ne faut pas s'emballer ? Car d'abord, rien n'est définitif. Une période de commentaires de 60 jours vient de s'ouvrir. On y verra plus clair à son terme. Ce n'est, en plus, pas la première fois que l'administration Trump propose quelque chose, et que, soit elle fait machine arrière, soit elle édulcore un peu les choses. Ce sera peut-être encore le cas ici. Sans doute pas sur le 100% ESTA mobile, mais peut-être sur la collecte d'informations obligatoires. Surtout qu'après avoir vu le nombre de touristes plonger cette année, les dirigeants américains n'ont pas intérêt à être trop contraignants en 2026, année d'une Coupe du monde de foot que la FIFA espère comme la plus grande de l'histoire. Alors wait and see (attendons, et voyons) comme on dit.