Deux ans après la loi sur les frais de port obligatoires sur les livres, Amazon publie ce lundi matin une tribune, dans laquelle il déplore un bilan catastrophique. Ces derniers auraient coûté, selon le géant, plus de 100 millions d'euros aux Français.

Le gouvernement semble avoir raté son pari avec la taxation des livres en-dessous d'un certain seuil. © Alexandre Boero / Clubic
Le gouvernement semble avoir raté son pari avec la taxation des livres en-dessous d'un certain seuil. © Alexandre Boero / Clubic

La loi devait sauver les petites librairies, et selon Amazon, elle a failli, car elle enrichit surtout les hypermarchés et vide les poches des lecteurs. Amazon dévoile ce lundi 8 décembre, dans une tribune publiée par l'AFP que Clubic a également pu consulter, les chiffres assez impressionnants de la taxation de la lecture. En deux ans, ce sont 100 millions d'euros qui ont été payés en frais de port, tandis que les ventes s'effondrent et que les librairies indépendantes n'en profitent même pas. Face à l'impasse dans laquelle l'e-commerçant se trouve avec le gouvernement, l'heure de la mise au point est arrivée.

Les Français ont payé 100 millions en frais de port pour lire moins de livres

Cela fait deux ans maintenant qu'un Français qui commande pour moins de 35 euros de livres doit régler 3 euros comme frais de port obligatoires. Résultat, après deux ans, plus de 100 millions d'euros ont été collectivement dépensés par les consommateurs en frais de livraison, auprès des vendeurs en ligne. Pas chez les libraires, attention, mais bien dans les caisses d'Amazon, Fnac.com et consorts pour... livrer des livres. C'est l'équivalent de 12 millions de livres de poche qui n'ont jamais été achetés.

Pour Frédéric Duval, le patron d'Amazon France, l'impact sur les lecteurs est important. « Selon l'Ifop, plus de la moitié des lecteurs français ont réduit leurs achats de livres neufs en raison de ces frais obligatoires », déplore-t-il. Il faut dire que lorsqu'un livre de poche à 7,50 euros que vous souhaitez commander vous coûte finalement 10,50 euros avec ces fameux 3 euros, ça refroidit les ardeurs.

L'an dernier, si l'on se réfère aux chiffres avancés par le cabinet GFK, le nombre de livres vendus en France a chuté de 3% pour la deuxième année consécutive. Pire encore, le nombre d'acheteurs a reculé de 10% en seulement un an. Frédéric Duval nous dit qu'il s'agit de « la pire performance dans l'UE ». Pour une loi censée sauver le livre français, le résultat est donc à l'opposé de l'objectif, du point de vue de la firme de Jeff Bezos.

Amazon ne lâche pas le marché du livre en France, bien au contraire. © Clubic
Amazon ne lâche pas le marché du livre en France, bien au contraire. © Clubic

Comment la loi anti-Amazon a surtout profité à Leclerc et aux grandes surfaces culturelles

Le paradoxe est assez cruel. L'arrêté du 4 avril 2023 devait sauver les petites librairies en taxant Amazon. Mais quand les lecteurs se déplacent en magasin pour éviter les 3 euros de frais, où vont-ils réellement ? Seulement 26% choisissent une librairie indépendante. Les 70% restants se tournent vers Leclerc, Fnac ou Cultura. Au final, ce sont les hypermarchés et grandes chaînes qui profitent de cette mesure qui vise surtout Amazon.

L'élan du secteur a tendance à s'essouffler. Après ces deux années fastes de créations de librairies (un record en 2024, première année sous le régime Darcos ) cette année « marque un net fléchissement de cette dynamique positive ». Les ventes en librairie ne cessent de baisser. Du côté d'Amazon, on cherche toujours les bénéficiaires de cette mesure.

Frédéric Duval dénonce une injustice territoriale. Cette mesure « taxe la lecture et affecte de façon disproportionnée les Français qui font déjà face à des barrières géographiques et financières d'accès à la culture », constate-t-il. Concrètement, les 22 millions de Français qui vivent en zones rurales sont doublement pénalisés. Ils habitent dans les 90% de communes dépourvues de librairie et doivent en plus payer 3 euros de frais pour commander des livres en ligne. Tout le monde est perdant, ici.

Pourquoi Amazon mise sur l'Espagne pour démontrer l'échec de la loi française

Cette tribune de Frédéric Duval ne tombe évidemment pas par hasard. D'abord, sur le plan juridique, l'entreprise a déposé en juin 2023 un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État pour contester la légalité de cette mesure. Elle s'appuie notamment sur les « fortes réserves » émises par la Commission européenne, qui dénonce de « multiples entorses au droit et à l'intérêt des consommateurs ». Ce recours devrait progresser en 2026, avec l'Union européenne en arbitre.

Sur le plan commercial ensuite, Amazon a réagi en octobre 2025 avec une offre alternative, proposant 5% de réduction sur les livres retirés en points relais, avec livraison gratuite. L'entreprise a déployé 3 000 points de retrait, dont 70% sont situés en zones rurales. Cela lui permet de contourner certes partiellement mais surtout légalement les frais de port à domicile, tout en renforçant son discours sur l'accessibilité du livre dans les territoires isolés.

Enfin, cette tribune de Frédéric Duval symbolise le volet médiatique de la contre-offensive. Le dirigeant y appelle à « explorer les alternatives qui permettent de concilier l'objectif de soutenir un vaste réseau de librairies indépendantes et d'assurer l'égalité d'accès à la culture ». Il cite l'Espagne, qui a instauré des tarifs postaux préférentiels pour les livres et où « les ventes de livres ont progressé de 6% en un an ». Amazon aimerait ainsi que la France change de méthode, pour réinstaurer un certain équilibre. Pour le mastodonte américain, « il est temps de trouver une meilleure voie pour soutenir l'avenir de la lecture de la France ».