Entre le Soleil et la Terre, des tourbillons de plasma se forment, se dissipent et échappent trop souvent à nos systèmes d'alertes actuels. Même si elles sont complètement invisibles à l'œil nu, ils peuvent gravement perturber nos réseaux électriques et nos satellites. Des chercheurs de l'Université du Michigan ont proposé de les traquer grâce à une constellation de sondes, avant qu'elles n'affectent notre planète.

Ces tornades sont un effet direct de l'activité bouillonnante de notre Soleil. © CeltStudio / Shutterstock
Ces tornades sont un effet direct de l'activité bouillonnante de notre Soleil. © CeltStudio / Shutterstock

On les appelle plus volontiers « tornades solaires » (ou « flux ropes »), car leur dynamique interne mime celle d’une tornade terrestre, à une échelle et une vitesse hors d’atteinte de notre atmosphère. Elles ne produisent pas de vent, mais leur rotation est si puissante qu'elles peuvent engendrer des champs magnétiques assez intenses pour déclencher une tempête géomagnétique.

Ces tourbillons libèrent d'immenses vagues de particules très chargées qui se propagent à travers le Système solaire. Une fois qu'elles frappent notre magnétosphère, elles peuvent parfois provoquer des surtensions électriques, endommager nos satellites ; et autres équipements essentiels (câbles sous-marins, systèmes de navigation, avions de ligne, etc.).

Très difficiles à anticiper, il est quasiment impossible de les observer lorsqu'elles traversent la zone qui nous sépare de notre astre. C'est pourquoi cette équipe de chercheurs de l'Université du Michigan a développé une double stratégie pour localiser ces phénomènes. Premièrement, une simulation numérique capable de reproduire la formation de ces tourbillons de plasma, et un projet visant à les suivre grâce à une constellation de sondes, dont l'une utilisera une voile solaire. Leur étude a été publiée le 6 octobre dans la revue The Astrophysical Journal.

Les tornades solaires : la nouvelle priorité de la NASA pour protéger la Terre

Le Soleil émet en continu un flux de plasma, le vent solaire, dans lequel se forment ces fameuses tornades. De taille intermédiaire (elles varient de près de 5 000 à 9,6 millions de kilomètres de large), elles sont trop petites pour être capturées par les modèles simulant les grandes éjections de masse coronale. Inversement, elles sont trop grandes pour les simulations dédiées à la dynamique du vent solaire ; un casse-tête pour les astrophysiciens. La tempête géomagnétique de mai 2024 ayant causé d'importants dommages, elle a convaincu la NASA et la National Science Foundation de financer cette étude et de nouveaux projets pour détecter ces vortex.

Leur champ magnétique, s'il est mal anticipé, peut se révéler redoutable : « Notre simulation montre que le champ magnétique dans ces vortex peut être suffisamment intense pour déclencher une tempête géomagnétique et causer de vrais problèmes », souligne Chip Manchester, professeur à l’Université du Michigan et co-auteur de l’étude.

Son équipe est parvenue, pour la première fois, à reproduire la formation de ces tourbillons dans une simulation numérique à très grande échelle, couvrant des structures allant jusqu'à trois fois le diamètre de la Terre et descendant à quelques milliers de kilomètres seulement. Elles apparaissent quand une éjection de masse coronale traverse un vent solaire plus lent : le flux rapide « repousse » la matière, créant des spirales de plasma et de champ magnétique. « C’est un peu comme la neige qu’un chasse-neige expulse sur le côté », illustre Chip Manchester. Si certaines disparaissent aussitôt, d’autres, plus durables, se forment suite à la collision de courants de vent solaire soufflant à des vitesses différentes.

Le principal obstacle reste leur observation. Aujourd’hui, la plupart des sondes solaires sont placées au point de Lagrange L1, entre la Terre et le Soleil, et ne mesurent le vent solaire qu’à un seul endroit à la fois. Impossible, dans ces conditions, de reconstituer la structure complète d’un phénomène aussi étendu et mouvant.

« C’est un peu comme vouloir suivre un ouragan avec un seul anémomètre », ironise Chip Manchester. Un ouragan est surveillé par une flotte entière d’instruments capables de suivre sa formation et son déplacement, sinon on ignorerait totalement sa dynamique interne. Dans l'espace, un tel maillage n'existe pas, un vide que cette équipe souhaite donc combler.

 Vue conceptuelle : le vent solaire, les flux de plasma et la voile de la sonde hub du projet SWIFT. © Steve Alvey /Université du Michigan
Vue conceptuelle : le vent solaire, les flux de plasma et la voile de la sonde hub du projet SWIFT. © Steve Alvey /Université du Michigan

Le projet SWIFT : notre nouvelle sentinelle face à la colère du Soleil

De ce constat est né le projet SWIFT (Space Weather Investigation Frontier), imaginé par l'équipe, une constellation de quatre sondes spatiales, disposées en formation tétraédrique. Trois orbiteraient autour du point de Lagrange L1, où se trouvent déjà plusieurs observatoires solaires. La quatrième, appelée le « hub », se placerait légèrement plus près du Soleil. Ensemble, elles formeraient une structure pyramidale d’environ 300 000 km d'envergure, permettant d’observer le vent solaire sous plusieurs angles et de reconstituer ses variations en trois dimensions.

Il serait ainsi possible de mesurer trois paramètres du champ magnétique et du plasma (la vitesse, l'orientation et la densité) dans différentes régions de l’espace, pour en déduire la forme tridimensionnelle et l’évolution des vortex magnétiques.

Une condition indispensable pour améliorer nos prévisions en météo spatiale, note Mojtaba Akhavan-Tafti, également co-auteur de l'étude. « Si des structures dangereuses se forment entre le Soleil et la Terre, on ne peut pas se contenter de regarder le Soleil. Il faut les repérer en amont pour prévenir les opérateurs de satellites, les compagnies aériennes et même les agriculteurs », souligne-t-il.

Pour stabiliser cette constellation, l’équipe prévoit d’utiliser une sonde propulsée par la lumière solaire, inspirée du projet Solar Cruiser de la NASA : le « hub ». Équipée d'une gigantesque voile en aluminium (environ le tiers de la taille d'un terrain de football), elle générera une poussée qui compensera l’attraction gravitationnelle solaire.

Elle pourra ainsi se maintenir légèrement en amont du point de Lagrange L1, dans une zone où aucune autre sonde ne pourrait se stabiliser. Placée 200 000 km plus près du Soleil que les sondes actuelles, elle permettrait de détecter les perturbations du vent solaire près d’une demi-heure plus tôt, soit une avance temporelle d’approximativement 40 % sur les instruments orbitant déjà autour du point L1.

Pour l’heure, SWIFT n’en est qu’au stade d’étude au sein de la NASA, sans calendrier officiel de mise en œuvre. S'il voit le jour, l'humanité sera dotée, pour la première fois de son histoire, d'un outil capable de mieux « dompter » les caprices de notre étoile. Même si les prévoir à 100 % restera encore hors de notre portée, nous aurons les moyens de surveiller l'espace qui nous sépare du Soleil ; un indicateur bien plus fiable que sa seule observation.