Uber dans la tourmente pour de prétendues pratiques illégales, Emmanuel Macron a-t-il joué un rôle ?

Alexandre Boero
Chargé de l'actualité de Clubic
11 juillet 2022 à 12h20
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© ICIJ
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Le géant mondial des VTC, Uber, est accusé de s'être livré à des méthodes brutales, voire illégales, pour s'imposer à ses débuts. Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie et du Numérique, aurait facilité l'implantation de la firme en France.

Une enquête internationale menée par de nombreux médias internationaux affiliés au Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) révèle que l'entreprise Uber a, pendant plusieurs années, utilisé des outils et des méthodes visant à se protéger d'enquêtes gouvernementales d'un côté, et utilisant la puissance du lobbying pour se faire une place dans certains pays comme la France, d'un autre. On parle ainsi des « Uber Files ».

Le « coupe-circuit », infaillible moyen de ralentir des enquêtes

L'enquête de l'ICIJ rassemble pas moins de 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, qui comprennent aussi bien des e-mails, des SMS, des appels et autres issus de dirigeants d'Uber de l'époque, contenant des factures, notes et présentations, constituant les Uber Files.

Parmi les pratiques pointées du doigt, le consortium de 42 médias évoque celle du « coupe-circuit ». Lors d'une visite par exemple d'inspecteurs, elle permet de déconnecter très rapidement les ordinateurs Uber des serveurs de l'entreprise, « ce qui empêcherait les autorités de saisir des documents sensibles de la société », nous explique-t-on. Ce fameux kill switch aurait été utilisé lors de descentes d'inspecteurs dans les bureaux Uber situés en France, mais aussi aux Pays-Bas, en Belgique, en Roumanie, en Hongrie et en Inde. Des courriels font état de demandes expresses de coupure des ordinateurs, d'autres évoquant des « mises à jour en temps réel ». Un moyen plutôt efficace pour faire barrage aux enquêtes diligentées, sans avoir à mettre en cause les employés de l'entreprise.

Le coupe-circuit n'est pas la seule méthode dénoncée dans l'enquête. Uber aurait aussi repéré des policiers, enquêteurs ou responsables gouvernementaux qui commandaient des voitures Uber pour essayer de recueillir des preuves. À Bruxelles, les autorités locales ont même sous-traité le recrutement de clients mystères contre Uber. À chaque fois, l'entreprise aurait pris des mesures pour s'en protéger. Les tactiques visant à lutter contre l'application auraient même été compilées dans une sorte de manuel pour être connues de tout le personnel.

Le rôle d'Emmanuel Macron dans la percée d'Uber en France

Beaucoup ont en mémoire la gronde historique des taxis à Marseille, en 2015, qui avaient vigoureusement protesté contre Uber qui, d'après eux, enfreignait les lois et menaçait leur profession. Le 20 octobre 2015, le service fut alors provisoirement suspendu. C'est là qu'Emmanuel Macron entre en scène.

À l'époque, le fringant ministre de l'Économie et du Numérique échange à diverses reprises avec plusieurs hauts représentants d'Uber, faisant alors face à de multiples enquêtes. Au travers de documents révélés par l'ICIJ, on apprend que le géant américain a reçu le soutien d'Emmanuel Macron en France, mais aussi celui du Premier ministre israélien de l'époque Benjamin Netanyahu. Cela, outre des rencontres avec le Premier ministre irlandais alors en fonction Enda Kenny, le président estonien de l'époque Toomas Hendrik Ilves, et d'autres. Même Joe Biden, vice-président américain en 2016, fut charmé par le fondateur d'Uber Travis Kalanick, qui l'a convaincu à Davos de vanter les bienfaits de l'application en plein Forum économique mondial.

© Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock.com
© Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock.com

Uber réfute un quelconque traitement de faveur de l'entreprise auprès d'Emmanuel Macron ou de son cabinet, et ce, malgré la douzaine de communications documentée par Le Monde faisant état de SMS, réunions, e-mails et appels entre Macron ou ses collaborateurs et Uber, entre septembre 2014 et 2016.

S'en serait suivi un couac entre celui qui a aujourd'hui été réélu à la présidence de la France et le ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, qui dit n'avoir pas eu connaissance d'un quelconque accord entre le gouvernement français et Uber. Pourtant, la société annonçait dans la foulée la suspension du service UberPOP en France. En échange, l'entreprise aurait obtenu la garantie d'un assouplissement réglementaire qui lui serait favorable, faciliterait son implantation et consoliderait ensuite sa position dans le pays.

L'intense lobbying d'Uber, qui répond à l'ICIJ et ne cherche pas d'excuses

Le lobbying, donc, constitue un peu le bras armé d'Uber, qui a bâti un mastodonte d'influence dont le budget était, en 2016, de 90 millions de dollars. « L'entreprise a emprunté des stratégies qu'elle avait perfectionnées aux États-Unis », explique l'ICIJ. Par exemple, pour s'installer dans une ville, Uber avait besoin de force politique, et quoi de mieux que de recruter d'anciens responsables gouvernementaux pour faire pression sur d'anciens collègues ? L'enquête va encore plus loin, évoquant même la proximité avec certains universitaires, payés pour produire des recherches favorables à l'entreprise, ou la sollicitation de clients pour signer des pétitions.

L'entreprise a aussi fait appel à des investisseurs dits stratégiques, pour les encourager à mettre un peu d'argent dans l'application et ainsi influencer l'arsenal législatif dans divers pays, pour justement surmonter les obstacles réglementaires. Xavier Niel a investi 10 millions de dollars dans Uber, Bernard Arnault 5 millions. « Nous n'avons pas besoin de leur argent en soi, mais nous pourrions être des alliés utiles pour gagner la France », écrivait par exemple le lobbyiste en chef d'Uber Mark MacGann au sujet d'Arnault. Et la liste des lobbyistes est impressionnante, certains s'étant même vu offrir des parts dans l'entreprise, ou des honoraires de réussite après des résultats favorables. En parallèle, les mercenaires offraient divers avantages (réductions sur des trajets Uber, contributions à la campagne, etc.) à des représentants de gouvernements.

Dans un billet de blog, la porte-parole d'Uber Jill Hazelbaker range ces nombreux éléments accablants dans le livre des histoires anciennes. « C'est la raison pour laquelle Uber a engagé un nouveau P.-D.G., Dara Khosrowshahi, qui a été chargé de transformer chaque aspect du fonctionnement d'Uber », explique-t-elle, en rappelant qu'il y a eu un avant et un après, « 90 % des employés actuels d'Uber ayant rejoint l'entreprise après l'arrivée de Dara ».

« Nous n'avons pas justifié et ne cherchons pas d'excuses pour des comportements qui ne sont pas conformes à nos valeurs actuelles en tant qu'entreprise », ajoute la porte-parole, qui demande au public de juger Uber sur ce qui a été plutôt fait ces cinq dernières années. Aujourd'hui, les activités d'Uber sont réglementées dans plus de 10 000 villes du globe.

Sources : ICIJ, Uber

Alexandre Boero

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Journaliste, chargé de l'actualité de CLUBIC. Reporter, vidéaste, animateur et même imitateur-chanteur, j'ai écrit mon premier article en 6ème. J'ai fait de cette vocation mon métier (diplômé de l'EJC...

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Journaliste, chargé de l'actualité de CLUBIC. Reporter, vidéaste, animateur et même imitateur-chanteur, j'ai écrit mon premier article en 6ème. J'ai fait de cette vocation mon métier (diplômé de l'EJCAM), pour écrire, interroger, filmer, monter et produire au quotidien. Des atomes crochus avec la Tech, certes, mais aussi avec l'univers des médias, du sport et du voyage. Outre le journalisme, la prod' vidéo et l'animation, je possède une chaîne YouTube (à mon nom) qui devrait piquer votre curiosité si vous aimez les belles balades à travers le monde, les nouvelles technologies et Koh-Lanta :)

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Commentaires (12)

Judah
Macron et les lobbys, une grande histoire d’amour… et ce n’est pas big pharma qui me contredira.
guile
Encore une fois Macron défend les intérêts de sociétés américaines, aux détriments de ses propres concitoyens.
Popoulo
« Macron défend les intérêts de sociétés américaines »<br /> Le pire, ce sont les gens qui s’en aperçoivent que maintenant.
juju251
Même si vu le sujet cela ne sera pas évident, mais on va éviter la propagande politique (entre autres) et les « votre lui, il est moeux que bien », Merci (des messages ont été supprimés)
ccvman
de toutes manières avant Uber c’était g7 qui se goinfrait, les taxis avec leur prix exorbitants, j’ai payé une fois 100€ pour un paris-creteil en taxi, le taxi m’a remercié et m’a dit qu’il avait fait sa journée, avec Uber ça m’aurait coûté 30€ max<br /> Donc l’implémentation d’uber en France ce n’est que du bénéfice
gothax
La source est france inter et les preuves sont là ! Ce titre est mous désolé de le dire au rédacteur.<br /> Radio France – 10 Jul 22<br /> Uber Files : Quand Emmanuel Macron jouait les lobbyistes pour Uber<br /> Des documents internes à Uber montrent comment Emmanuel Macron, lorsqu’il était à Bercy, s’est employé à aider l’entreprise américaine lorsqu’elle était confrontée à l’hostilité du pouvoir politique et de la justice.<br /> Attention 15 min de lecture … D’autres choses arrivent
carinae
Ha bon pourquoi ? Ca ne se faisait déjà pas avant ?<br /> J’ai en tête quelques entreprises bien françaises qui ont profité des largesses des élus locaux sans vraiment sans plaindre…et accessoirement délocaliser a l’étranger quand ça les a arrangé.,.<br /> Le lobbying est vieux comme le monde
raymondp
Je trouve ce débat assez hypocrite. Qui n’a jamais utilisé Uber et consorts ? Et de toute façon s’ils se sont développés, c’est bien que le service des taxis était exécrable : les taxis qui passent sans te voir, qui refusent les CB, qui te disent « c’est pas sur mon chemin », quand tu montes dans la voiture il y a déjà 10 euros au compteur, c’est super cher etc… c’est curieux comme depuis Uber ils sont plus sympas !<br /> Par contre, je reconnais que les taxis en province n’ont rien à voir avec les taxis parisiens, ils sont beaucoup plus sympas.<br /> Enfin, il faut reconnaître que Uber donne un boulot à beaucoup de personnes qui sans cela n’en auraient pas.<br /> Moi ce qui me gêne aussi, c’est le vol de ces documents et conversations, comment se les sont-ils procurés ? Des hackers ont-t-ils été payés ? c’est louche. Et puis il y a une part de vie privée là-dedans. Je serais choqué que des documents à moi, même professionnels, se retrouvent balancés à tous les vents.
bennukem
Je n’ai jamais utilisé uber et consorts et j’ai pris le taxi en France une fois dans ma vie, ça m’a vacciné (impoli, crade, essaye de ne pas rendre la monnaie, et évidemment le coup du lecteur CB qui marche pas malgré l’obligation de signalement). Je comprends très bien qu’on veuille éviter la mafia des taxis qui n’est qu’arnaque. J’insiste bien sur le mot arnaque.<br /> Bah, comme on ne sait pas comment ils se sont procurés les documents, dire que c’est du vol, c’est vite dit. Hackers payés ou non, ça ne change pas les faits.<br /> Sur ton principe, tu serais protégé d’avoir des photos pédos (évidemment j’extrapole) sous prétexte que c’est privé ou fait parti de ton « travail » ?
Robinton
Nous sommes effectivement en pleine hypocrisie, sachant que tout est à prendre dans certains milieux pour abattre Macron. Tout le monde fait mine d’oublier comment les taxis avaient tout verrouillé pour empêcher la moindre concurrence (quitte à faire usage de violence si nécessaire), y compris la réglementation. La France allait-elle être le dernier pays à renoncer à ces nouvelles offres de service (personne n’est par ailleurs forcé d’être client Uber)? Enfin, tous les ministres de tous les gouvernements travaillent avec les lobbyistes sur les sujets réglementaires ou industriels. Tout cela ressemble donc à un beau bal des hypocrites, et bien entendu certains journalistes s’embarquent dans la brèche sans aucune prise de recul ni esprit critique. C’est du papier à audience, coco, ça va se vendre… Bientôt ce seront la libéralisation du voyage par autocar, puis ensuite la libéralisation de l’ouverture des offices notariaux, etc… Toutes choses que l’on doit au « vilain pas beau tout pourri » Macron.
julla0
Parce qu’il existe un concurrent français à Uber?
Thamien
E‌t gnagnagna… ils ont un « kill switch » chez Uber en cas de contrôle de l’administration…<br /> Ben oui et puis quoi encore, ils ne vont pas payer des gens à remplir des CERFA à longueur de journée pour notre administration poussiéreuse non plus.<br /> Et gnagnagna…ils ont mis en œuvre le projet « cheetah » pour faire entrer au capital d’Uber X. Niel et son beau père B. Arnaud pour profiter de leur influence.<br /> Ben oui c’est pas les chauffeurs de VTC qui sont invités à la Garden Party de l’Elysée mais en même temps qui en invite chez lui?<br /> Et gnagnagna…Le nouveau ministre du numérique et le frère de la directrice de la communication d’Uber France.<br /> Ben oui y’a des parents qui poussent leur enfants à faire de bonnes études.<br /> Qui ne préfère pas Uber aux dealers? comme dirait notre suprême leader.‌<br /> De toutes façons il est intouchable et sa lumière divine guide les pas de notre glorieuse nation!
Palou
raymondp:<br /> Qui n’a jamais utilisé Uber et consorts ?<br /> Moi par exemple, et ce n’est pas prévu à l’avenir
raymondp
Il y en avait un, chauffeur privé, je l’ai un peu utilisé, mais il était plus cher que Uber, que je n’ai personnellement peu utilisé.
raymondp
Oui, mais tu n’as sans doute jamais eu à rentrer dans ta banlieue, après avoir fini tard le soir, que par les transports ça met 1h30 alors qu’en Uber ça met 30 min et qu’il est là dans les 5 min ?<br /> Je ne suis pas fan des uber, mais je reconnais que ça rend service, et que les taxis l’ont un peu cherché
Palou
raymondp:<br /> et que les taxis l’ont un peu cherché<br /> Tu connais le tarif d’une plaque de taxi ? c’est un très gros investissement, aussi cher qu’une maison, et le nombre de plaques est limité dans Paris
julla0
Et qui existait avant Uber bien sûr ?
juju251
raymondp:<br /> Je trouve ce débat assez hypocrite. Qui n’a jamais utilisé Uber et consorts ?<br /> Tout le monde s’en moque, mais moi.<br /> Que ce soit Uber tout court ou Uber Eat et consors.<br /> Déjà pris le taxi (pas à Paris) en revanche et le service était très bon.
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