Phobos-Grunt : le départ raté vers les lunes de Mars

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
11 juin 2021 à 18h36
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La sonde Phobos-Grunt avec son étage de transfert (en bas en blanc) amplement repris de l'étage Fregat. Crédits Wikipedia/Mirecki
La sonde Phobos-Grunt avec son étage de transfert (en bas en blanc) amplement repris de l'étage Fregat. Crédits Wikipedia/Mirecki

Pour renouer avec l'exploration du système solaire, la Russie avait choisi une mission aux objectifs extrêmement ambitieux : ramener des échantillons de Phobos, l'une des deux lunes de Mars, sur Terre. Un plan complexe qui aurait peut-être pu réussir… si le véhicule avait pu quitter l'orbite terrestre.

Une catastrophe assez internationale.

Il faut bien penser à Phobos

Après un florilège de missions durant les années 60, 70 et 80, l'éclatement de l'Union soviétique et la santé budgétaire de la jeune Russie ne lui permet pas de grandes ambitions dans le domaine de l'exploration planétaire. Pire, la mission Mars 96, sans doute la plus ambitieuse de sa décennie, échoue avant de quitter l'orbite terrestre pour se rendre vers la planète rouge. Mais au tournant des années 2000, les ambitions peuvent à nouveau se concrétiser. Et tandis qu'on aurait pu attendre une mission aux ambitions peut-être un peu plus mesurées, la Russie annonce en 2005 la mission Phobos-Grunt. Objectif ? Rien de moins qu'aller étudier Phobos, se poser à sa surface, collecter des échantillons puis les ramener sur Terre ! Même si le concept est déjà à l'étude depuis plusieurs années chez NPO Lavochkine, qui sera chargé de concevoir et assembler la sonde, la mission est extrêmement complexe. Au moment de cette décision, les seuls échantillons ramenés sur Terre sont ceux prélevés sur la Lune…

Le plus imposant des deux satellites de Mars est l'objet d'un grand nombre de questions de la part des astrophysiciens et planétologues. S'agit-il d'un astéroïde capturé ? D'un morceau de Mars éjecté ? D'une protoplanète ratée ? Les informations sur sa surface et sa densité sont d'autant plus intéressantes qu'un jour (lointain, rassurez-vous) Phobos, qui n'est en orbite « qu'à » 6 000 km d'altitude au-dessus de Mars, se désintégrera sous l'influence de cette dernière ! L'URSS, en son temps, avait déjà envoyé deux missions vers cette lune d'environ 23 km de diamètre, sans succès déterminant.

Phobos, photographiée par la sonde américaine Mars Odyssey. Crédits NASA/JPL-Caltech/University of Arizona
Phobos, photographiée par la sonde américaine Mars Odyssey. Crédits NASA/JPL-Caltech/University of Arizona

Reste que l'étude n'est pas facile : les paramètres de Mars et Phobos rendent l'approche complexe (pratiquement impossible de l'orbiter). Phobos-Grunt, dans l'agenda très chargé de la mission, doit d'abord entrer en orbite elliptique autour de Mars, puis étudier Mars et Phobos avant de « suivre » la lune et s'y poser. Le tout avec les contraintes liées à la distance : approche et atterrissage entièrement automatisés, puisque les échanges de communication prendraient trop de temps.

Phobos-Grunt, en théorie

La surface de Phobos n'est pas non plus un environnement particulièrement accueillant. Lorsqu'elle aurait touché le sol, Phobos-Grunt aurait dû allumer des propulseurs pour ne pas rebondir : la gravité y est absolument minimale… Par contre, comme on ne connaît pas la teneur du sol, elle aurait aussi pu s'y enfoncer ! Et ce n'est pas tout. La mission aurait alors tenté de remplir un petit boitier cylindrique avec environ 200 grammes de matière, placé ensuite sur le centre de la plateforme d'atterrissage, dans un petit véhicule qui deviendrait autonome. Décollant à l'aide de ressorts (pour ne pas « griller » le reste de la mission), ce dernier aurait ensuite pris le chemin de la Terre, pour y larguer une capsule de 11 kg essentiellement constituée d'un bouclier de rentrée atmosphérique et d'un parachute.

Vue d'artiste de la partie atterrisseur de la mission. crédits Lavochkin Association
Vue d'artiste de la partie atterrisseur de la mission. crédits Lavochkin Association

Atterrissant dans le désert kazakhe un peu moins de 3 ans après son départ, la mission Phobos-Grunt aurait alors représenté un incroyable retour de la Russie au premier plan de l'exploration interplanétaire. Mais pour cela, chaque étape de la mission était cruciale et ne supportait pas la moindre erreur.

De l'équipement et une sonde chinoise

Phobos-Grunt est équipé d'un étage de croisière directement issu de Fregat, le « standard » d'étage supérieur russe : équipé d'ergols stockables, ce dernier dispose d'un moteur capable de se rallumer à de nombreuses reprises. Pour la mission vers la lune de Mars, son rôle est capital… Non seulement il faut qu'il termine la mise en orbite terrestre juste après le lancement, mais aussi le départ pour Mars, les corrections de trajectoire sur le chemin et, dernière tâche mais non des moindres, l'entrée en orbite autour de la planète rouge ! Phobos-Grunt elle-même pèse environ 1 650 kg, est alimentée grâce à ses panneaux solaires et transporte 50 kg d'équipements scientifiques, dont des participations internationales allemandes, biélorusses, italiennes, polonaises et françaises. Caméras, spectromètres, chromatographes pour l'analyse des gaz, radar, la mission est bien équipée !

En plein développement de Phobos-Grunt, la nouvelle fait grand bruit en mars 2007 : la Russie signe un accord avec la Chine pour emmener le petit orbiteur Yinghuo-1 vers Mars sur la plateforme de Phobos-Grunt. Grand « cube » de 75 cm de côté, la sonde chinoise se serait séparée en orbite de Mars, devenant la première mission interplanétaire chinoise. Elle était chichement équipée, avec une petite caméra et de quoi étudier l'environnement magnétique extérieur de Mars, mais l'opportunité était trop belle pour ne pas profiter du voyage pour un véhicule de 115 kg.

La fusée Zenit lors de l'arrivée sur son pas de tir. Crédits Roscosmos/TsENKI
La fusée Zenit lors de l'arrivée sur son pas de tir. Crédits Roscosmos/TsENKI

Décollage réussi ! Par contre après…

S'il fut impossible de viser la « fenêtre » de tir pour Mars de 2009, les équipes russes réussissent à boucler le projet pour celle de fin 2011. De l'autre côté de l'Atlantique, aux Etats-Unis, la NASA prépare aussi sa propre mission ambitieuse… Curiosity. Mais le lancement de Phobos-Grunt interviendra plus tôt, le 8 novembre. Le lanceur Zenit décolle dans la nuit de Baïkonour, et envoie après quelques minutes de vol l'ensemble sur une orbite de « parking » autour de la Terre, entre 207 et 347 kilomètres d'altitude. Jusque-là, tout se passe bien, et Phobos-Grunt, équipé de son étage de croisière, est correctement déployé. Malheureusement, la mission tourne court dès l'étape suivante. Car son moteur devait être allumé deux fois pour former tout d'abord une orbite elliptique autour de la Terre, puis quitter son orbite et entamer son trajet pour Mars. Comble de difficulté, les manœuvres devaient être réalisées hors de portée des antennes de réception russes. Aussi, lorsque la sonde n'est pas à l'endroit où elle devait être, les équipes ne peuvent réagir tout de suite.

Enchaînement de problèmes

Bien vite, la Russie arrive tout de même à déterminer que le moteur de l'étage Fregat modifié pour la mission ne s'est pas allumé. Problème supplémentaire, même si Phobos-Grunt semble avoir effectivement étendu ses panneaux solaires, les équipes ne peuvent établir un contact avec la sonde dans les deux sens. Différents plans sont établis pour communiquer avec la sonde, pour envoyer la commande nécessaire à l'allumage des moteurs… Sans succès. Occasionnellement, et grâce à de nombreuses tentatives de l'ESA, quelques paquets de données sont transférés vers le sol jusqu'au 24 novembre, mais rien qui permette de débloquer la situation. Phobos-Grunt se désintègre dans l'atmosphère terrestre le 15 janvier 2012. La cause exacte de ce terrible échec semble établie, la commission d'enquête concluant à une erreur de programmation générant un redémarrage de l'ordinateur de bord… Mais au cours du temps, responsables et politiciens russes ont évoqué des hypothèses plus exotiques.

Assemblage d'un étage supérieur Fregat. Notez qu'on voit bien ici l'assemblage de réservoirs sphériques. Crédits GK Launch Services.
Assemblage d'un étage supérieur Fregat. Notez qu'on voit bien ici l'assemblage de réservoirs sphériques. Crédits GK Launch Services.

Phobos-Grunt restera un retentissant revers pour le programme d'exploration planétaire russe. L'administration ne s'engagera vers un autre projet vers la planète rouge qu'en s'associant à l'agence spatiale européenne pour le projet ExoMars, tandis que les missions « en solo » sont repoussées à plus tard. A ce jour, la mission d'exploration Luna-25, qui est censée atterrir sur la Lune, devrait décoller soit en octobre 2021 soit au printemps 2022. En Chine aussi, cet échec résonnera puissamment. Le pays attendra d'avoir beaucoup plus de moyens et d'ambitions pour tenter à nouveau d'aller autour de Mars… Avec l'énorme succès qu'on connait de la mission Tianwen-1, et son rover Zhurong qui s'est posé à la surface.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (6)

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Mais pourquoi les sondes Soviétiques/Russes sont-elles toujours si moche ?
kanda
Super intéressant, merci pour l’article
BossRreynolds
non encore un échec, donc un débris spatial de combien de milliards de dollars, à chaque fois, à chaque lancement, c’est la faute à quelqu’un comme là un programmeur, qui plus est en équipe, c’est du sabotage en ce sens, et puis depuis la station mir ils nous en envoie des satellite dit increvable, foutaise… C’est rageant de constater qu’un pays aussi grand que la Russie, puisse faire autant de dégâts, cela vas pas plaire du tout à la communauté européenne, c’est fort bien d’explorer l’espace mais en équipe internationale, pourquoi voyager seul, et puis c’est le design?? qu’est ce que c’est en fait… un turbo réacteur on dirait… pièce de musée obligé. Non il faut qu’ils arrête franchement et qu’ils arborent d’autre ambition… conquérir la lune avant tout et explorer la Terre en fond marins par exemple… là ils auraient du succès… ou alors ce module mais pour les profondeur océanique. et insonorisé l’océan par exemple… et mieux écouter les profondeur au delà de la zone des requins géant (et trouver le requins géant (Mégalodons) ou les calamars géant ou d’autres géant des profondeurs… et d’autres géants pour la science mondiale) ç’est une invention mais possible. ah là là.<br /> Mais bon, bonjour Clubic et tous et toutes<br /> Quand à Mars : c’est de l’argent de perdu… autant habiter sur Jupiter… c’est aussi respirable. Car la question scientifique ne se pose pas de problème pour l’oxygene, il y a que les machines qui peuvent y être et encore avec le souffre et les métaux oxydant je donne pas une mauvaise nouvelle mais soyons logique qui approvisionnera l’astronaute en oxygène. on peut tout entendre mais que croire. et quel extra en tant que Terrestre, de voir que vous laisser faire autant d’ânerie scientifique. depuis les années soixante.<br /> So. you (Z) et sans mépriser qui que ce soit… de nos jours, hein !
ebottlaender
Honnêtement je n’ai pas compris grand chose (peut être quelques phrases plus courtes mais sur un sujet unique ?).<br /> Cela dit pas de débris spatial ici, comme on le précise dans l’article Phobos Grunt est rentré dans l’atmosphère quelques mois après son tir raté. C’est rageant, sans doute, mais le spatial c’est difficile. Ca l’a toujours été et la physique ne pardonne pas grand chose.
BossRreynolds
ok après tout je vais faire comme tous, plus rien dire, et dire bien bonne article… après tout, c’est plus cohérant… donc je m’en tiens à cela dans les futurs article. Merci
PaowZ
et quel extra en tant que Terrestre, de voir que vous laisser faire autant d’ânerie scientifique. depuis les années soixante.<br /> C’est pas très clair, tout ça… C’est une réponse, tout calembours et sans ponctuation. Et en quoi sommes-nous responsables de ces prétendues âneries ? J’ai pas compris…<br /> Pour revenir à la cause du souci logiciel, je suis à moitié étonné qu’une erreur logicielle se soit glissée dans le code à une époque oú les parties softs étaient encore plus «&nbsp;artisanales&nbsp;» que maintenant et oú les procédures de test commençaient juste à pointer le bout de leur nez…
ebottlaender
2011 c’est pas le Pérou quand même, les USA lançaient Curiosity et niveau soft, c’est quand même du costaud (même si ça reste de la programmation très économique en ressources) ! Bon parfois quand ça veut pas…
ebottlaender
Personne ne vous empêche d’écrire le fond de votre pensée, c’est juste qu’on a pas compris le propos.
PaowZ
Je suis spécialisé dans les systèmes embarqués critiques, je participais à la conception d’automates d’analyses sanguines et quand je suis arrivé dans cette boîte, j’ai découvert que les tests étaient exécutés directement par un service spécialisé et non par des procédures automatiques telles qu’on les voit, aujourd’hui. En gros, le fonctionnel était testé en même temps que l’unitaire. Mais si un humain dans la chaîne, manquait un test ou sautait une ligne dans la procédure de test, il pouvait passer à côté d’un effet de bord ou une régression… Même les tests étaient à la limite de l’artisanal, ça n’est pas une science exacte même si les recherches en la matière tendent à les rendre exhaustifs, autant que faire, se peut… Le testing, dans le monde aéro et spatial m’impressionne encore plus que le code à tester
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