Il serait plus juste de parler de tissu cérébral fonctionnel plutôt que d'un « cerveau », mais ce minuscule labyrinthe de polymère n'en demeure pas moins un bouleversement pour la recherche biomédicale. Grâce à cette avancée, nous pourrions, à terme, mettre fin à l'expérimentation animale et créer de véritables modèles personnalisés des maladies affectant le cerveau : des tissus reproduisant l’activité neuronale propre à un individu, et offrant un terrain d’essai bien plus fidèle pour les traitements ciblés.

C'est dans les laboratoires de l’Université de Californie à Riverside que cette équipe de bio-ingénieurs a réussi à lui donner naissance, sans avoir à utiliser la moindre molécule organique. Aucune des substances typiquement nécessaires pour ce genre de projet n'a été utilisée : collagène, laminine, gélatine ou revêtements biologiques à base de protéines animales. Sa structure est synthétique de A à Z et a été conçu pour imiter, à petite échelle, l'organisation du cortex (couche externe mince et plissée présente à la surface du cerveau humain et des mammifères).
L'idée derrière ce projet est de créer un environnement d'expérimentation complètement contrôlable afin de permettre de modéliser fidèlement certaines maladies neurologiques (maladie d'Alzheimer, Parkinson, cancers cérébraux, etc.) ou de prédire les effets de certains traitements thérapeutiques. Ce, sans avoir recours aux modèles animaux, qui restent encore aujourd'hui majoritaires dans ce domaine.
Aujourd’hui encore, nombre d’études reposent sur des modèles animaux (dits murins), alors que leurs cerveaux diffèrent profondément du nôtre. Alignés sur les efforts de la FDA américaine qui encourage ce genre d'alternatives, ces chercheurs espèrent un jour délaisser ce protocole de recherche, standardisé depuis le début des années 1900. Quatre années de travail ont été nécessaires pour aboutir à ce « mini-cerveau », qui a fait l'objet d'une publication le 1er octobre dans la revue Advanced Functional Materials.
Un matériau totalement synthétique transformé en matrice « habitable » pour neurones
Le matériau premier de ce tissu est un polymère très peu cher à produire, dont nous faisons déjà de multiples usages : le polyéthylène glycol, ou PEG. Un matériau chimiquement neutre, que les cellules ne reconnaissent normalement pas du tout ; elles n'arrivent normalement pas à y adhérer ou à s'y reproduire. Quelques modifications lui ont ainsi été apportées pour qu'il devienne biocompatible.
Le PEG, d’abord sous forme liquide, a été mis en mouvement dans des capillaires de verre où ses différentes phases commencent à se séparer. Une impulsion lumineuse l'a alors solidifié instantanément, créant un réseau de pores reliés entre eux ; une structure dans laquelle les neurones peuvent s’installer. Une fois reliée à ce PEG modifié, les neurons ont pu croître et former des réseaux neuronaux vivants.
« Le matériau garantit que les cellules reçoivent tout ce dont elles ont besoin pour grandir, s’organiser et communiquer en structures proches du cerveau », explique Iman Noshadi professeur en bioingénierie et directeur du projet.
Une fois installées dans cette matrice synthétique, les cellules cérébrales humaines peuvent produire une activité électrique, semblable à celle des caractéristiques biologiques du donneur. Cette similarité est le facteur le plus important, car le tissu devient donc un modèle représentatif du patient, et les chercheurs pourraient alors observer l’effet d’un médicament sur une activité neuronale simulée, qui reproduit, à petite échelle, les particularités de son propre cerveau.

Construire un corps en laboratoire : le prochain chantier des chercheurs
Ce tissu n'est qu'un petit début (la structure atteint à peine deux mm de large), mais il prouve que les travaux de Noshadi et son équipe ont été dirigés dans la bonne direction. En ingénierie tissulaire, l'échelle millimétrique est considérée comme optimale pour tester la viabilité d'un organe synthétique, c'est avant tout un choix méthodologique. Une telle dimension est déjà considérable et jamais la biomédecine n'y était parvenue, encore moins concernant un tissu cérébral.
Ils ne veulent pas s'arrêter en si bon chemin et sont déjà lancés dans un autre projet, et adapter cette même technique à d'autres tissus, notamment le foie. Un organe, lui aussi, très complexe à imiter synthétiquement notamment parce qu’il faut recréer la circulation sinusoïdale qui permet aux cellules hépatiques de filtrer et métaboliser efficacement les molécules.
L'équipe voit encore plus loin, puisqu'elle voudrait développer plusieurs tissus synthétiques capables d’échanger des molécules entre eux, comme le feraient de vrais organes. Une plateforme dotée de plusieurs organes synthétiques, reliés entre eux comme ils le sont dans un réel organisme, avec laquelle ils pourraient simuler des processus biologiques complexes : métabolisme d'un médicament, transmission d'une inflammation inter-organes, communication hormonale, perturbation du cycle de détoxification, etc.
Un mini-organisme 100 % synthétique qui aiderait grandement la recherche préclinique, puisqu'il serait possible de développer des tests plus éthiques et en phase avec la physiologie humaine. Nous n'en sommes pas encore là, et on imagine sans peine le temps nécessaire à l'élaboration d'une telle plateforme. Si deux milimètres de tissu leur a demandé quatre ans de recherches et d'essais, il faudra sans doute envisager des cycles de développement de dix à quinze ans pour obtenir un résultat viable.
Sources : Futurity, UC Riverside