De milliers de patients meurent chaque année, car ils n'ont pu recevoir une greffe d'organes à temps. La faute à deux problématiques : la pénurie de greffons, qui touche toute la planète, et le fait que ces derniers sont extrêmement fragiles. En effet, un organe ne survit en moyenne que 48 heures en dehors du corps du donneur, ce qui complique grandement la logistique du transport et de la greffe. Pour s'attaquer de front à cette contrainte, une équipe de l’Université Texas A&M vient de proposer une méthode améliorée d'un procédé déjà utilisé : la vitrification.

 Contrairement à la congélation lente qui forme des cristaux de glace, la vitrification empêche la formation de cristaux de glace ; un phénomène qui serait fatal pour le greffon. © David Tadevosian / Shutterstock
Contrairement à la congélation lente qui forme des cristaux de glace, la vitrification empêche la formation de cristaux de glace ; un phénomène qui serait fatal pour le greffon. © David Tadevosian / Shutterstock

La pénurie de greffons est un problème de santé publique mondiale, touchant aussi bien les pays à faibles ressources que les pays développés. Rien qu'au mois de mai 2025, plus de 103 000 Américains étaient en attente d'une transplantation vitale. En France, selon la banque d'organes Greffe Plus, 852 patients sont morts en 2024, car ils n'avaient pas reçu leurs greffons.

Beaucoup décèdent avant d’être transplantés, non seulement parce que les donneurs manquent, mais aussi parce qu’un greffon viable est très fragile. La technique de conservation statique par le froid, développée dans les années 1960, atteint aujourd'hui ses limites car les besoins en greffes explosent.

Voilà pourquoi la médecine moderne se tourne d'autres techniques comme l'impression 3D ou la cryopréservation, en figeant les organes à des températures extrêmement basses. Quand l’eau des cellules gèle lentement, elle se transforme en cristaux qui percent les membranes et détruisent les tissus de l'organe, ce qui le rend inutilisable.

Une autre méthode, beaucoup plus récente, a été développée après les années 2000 : la vitrification, qui solidifie l'organe dans un état homogène, proche du verre. Déjà utilisée pour conserver des ovocytes, du sperme ou des cellules souches, elle reste encore dangereuse pour un organe plus gros (foie, rein, etc.), car le processus peut le fissurer. C'est pour résoudre ce problème qu'une équipe de chercheurs américains a justement prouvé qu’il était possible de jouer sur la physique du verre pour protéger les tissus biologiques, dans un article publié en juillet dans Scientific Report.

Repousser la limite fatale des deux jours

Pour cela, l'équipe a concentré son attention sur les solutions de vitrification ; des mélanges complexes de substances perfusés dans les tissus pour remplacer l’eau et protéger les cellules. Ils en ont conclu que les températures de transition vitreuse [NDLR : phénomène physique par lequel un liquide visqueux se solidifie en un état amorphe, semblable à du verre, sans formation de cristaux] étaient un facteur déterminant dans la préservation d'un tissu vivant.

« Nous avons appris que des températures de transition vitreuse plus élevées réduisent le risque de fissuration », explique Matthew Powell-Palm, professeur adjoint en génie mécanique et co-auteur de l'étude. Si la solution se solidifie à une température plus élevée dans l'organe au sein duquel elle est injectée, celui-ci subira moins de contraintes mécaniques et le risque qu'il se craquèle est donc considérablement réduit.

En 2023, une équipe du Minnesota avait déjà réussi à transplanter un rein de rat vitrifié avec succès. Toutefois, les organes humains étant plus volumineux et fragiles, il serait impossible de transposer exactement le mode opératoire utilisé il y a deux ans. Même l'équipe à laquelle appartient Powell-Palm a fait un grand pas en avant avec cette découverte, le scientifique préfère tempérer : « La fissuration n’est qu’une partie du problème. Les solutions doivent aussi être biocompatibles avec le tissu. »

Cela signifie qu'en plus de résister aux fissurations, le greffon doit être capable de reprendre ses fonctions physiologiques après le réchauffement. Ses tissus doivent rester viables, leur intégrité cellulaire intacte et, in fine, pouvoir être ensuite revascularisé. Les solutions cryoprotectrices doivent donc prévenir la formation de cristaux grâce à leurs températures et être tolérées par les cellules de l'organe perfusé.

En abaissant la température d'un futur organe greffé, on réduit drastiquement son métabolisme cellulaire, ce qui lui permet de mieux supporter la période d'ischémie (moment où il ne reçoit plus de sang et d'oxygène) et ainsi de prolonger sa viabilité. © True Touch Lifestyle / Shutterstock
En abaissant la température d'un futur organe greffé, on réduit drastiquement son métabolisme cellulaire, ce qui lui permet de mieux supporter la période d'ischémie (moment où il ne reçoit plus de sang et d'oxygène) et ainsi de prolonger sa viabilité. © True Touch Lifestyle / Shutterstock

Un outil de conservation universel ?

Pour Guillermo Aguilar, lui aussi co-auteur de l'étude, ces travaux ont au moins permis de démontrer qu'il était possible d'agir sur la physique des propriétés mécaniques des organes vitrifiés. Un blocage, qui était considéré comme insurmontable. « Je m’attends à voir émerger des résultats de plus en plus encourageants, qui permettront de prolonger la survie de structures biologiques de toutes tailles, de la plus simple cellule à l’organe entier », explique-t-il.

Si la médecine de la greffe continue avec succès sur cette voie, l'étude de cette équipe de Texas A&M aura été l'une des premières à fiabiliser, pour l'homme, la technique de vitrification.

Elle pourrait peut-être aussi être utilisée un jour pour venir au secours d'autres problématiques : stockage de vaccins ou de molécules pharmaceutiques, maintien de matériel génétique d'espèces animales en danger, lutte contre le gaspillage alimentaire, etc.

Techniquement, comme la vitrification peut s'appliquer à l'ensemble du vivant et des structures biologiques, il serait éventuellement possible un jour d'ériger une « chaîne du froid biologique » à l'échelle mondiale, selon les mots des chercheurs. C'est une projection théorique certes, mais nous n'en avons jamais été aussi proches, bien qu'il faille sans doute de longues années avant de voir émerger les premières applications émanant de ce cadre expérimental.