Pour la première fois, une équipe de chercheurs a réécrit le code génétique d’un être vivant de A à Z, et l’a fait fonctionner avec un « alphabet de l’ADN » à la fois simplifié, mais complètement fonctionnel. De son petit nom Syn57, elle vit, de ce fait, dans un monde biologique à part, sans lien avec l'évolution naturelle du vivant.

 Le début d'un nouveau chapitre pour l'évolution ? © FOTOGRIN / Shutterstock
Le début d'un nouveau chapitre pour l'évolution ? © FOTOGRIN / Shutterstock

La première question qu'il est indispensable de se poser avant de comprendre pleinement cette avancée : qu'est-ce que nous appelons « la vie » ? En biologie, une cellule vivante est avant tout un système capable de se maintenir (l'homéostasie), de se reproduire et de transformer la matière en énergie et en structures fonctionnelles (le métabolisme). Pour cela, tous les êtres vivants (plantes, animaux ou champignons) utilisent le même langage de base : un code génétique composé de 64 codons. Des triplets de lettres qui indiquent aux cellules comment assembler les briques élémentaires des protéines (les acides aminés).

Le 31 juillet, des chercheurs britanniques du MRC Laboratory of Molecular Biology (Cambridge) ont prouvé, dans cette étude de la revue Science, qu'il était possible que ce langage soit réécrit. En fabriquant un génome entier dans lequel sept codons redondants ont été remplacés par des codons synonymes, ils ont donné naissance à une bactérie vivante.

Syn57 est capable de vivre, de croître et de se diviser comme toutes les autres bactéries, à la différence qu'elle suit un plan biologique minimaliste, sans équivalent dans le monde naturel.

Syn57 : un être vivant au langage inventé par l’humain

Syn57 a été bâtie sur la base d'une autre bactérie, assez connu du grand public pour les maladies qu'elle peut provoquer : Escherichia coli. Elle est très utilisée en biologie comme cobaye de laboratoire, car elle résiste bien aux modifications et conserve une stabilité génétique élevée.

Dans le cas de Syn57, son ADN (Acide désoxyribonucléique ) entier a été reconstruit par ordinateur, séparés en blocs de 100 ko, puis assemblé pièce par pièce en remplaçant sept des 64 codons naturellement présents par leurs codons synonymes.

Une simplification, qui aura demandé à l'équipe plus de 100 000 modifications de son génome, en remplaçant sept codons : quatre utilisés pour produire la sérine (un acide aminé impliqué dans les réactions enzymatiques), deux pour l’alanine (présente dans quasiment toutes les protéines), et un codon dit « stop », signalant la fin de la lecture de l’ADN lors de la synthèse d’une protéine, qui a été réaffecté.

Chaque modification a d’abord été testée sur des morceaux isolés de génome, insérés un à un dans des bactéries vivantes, afin de s’assurer qu’elles ne perturbaient pas le fonctionnement cellulaire. Une fois cette vérification accomplie, les chercheurs ont lentement assemblé l’ensemble du génome modifié, jusqu’à obtenir une version complète et synthétique, entièrement codée avec 57 codons.

Syn57, ainsi reconstruite, a pris vie, s'est divisée et s'est montrée tout aussi stable qu'une autre bactérie ; preuve que son code génétique tronqué est donc suffisant pour supporter les fonctions essentielles du vivant.

 Un codon (ici encadrés en bas de l'image) est une séquence de trois nucléotides sur l'ARN messager (ARNm). © National Human Genome Research Institute
Un codon (ici encadrés en bas de l'image) est une séquence de trois nucléotides sur l'ARN messager (ARNm). © National Human Genome Research Institute

Un organisme génétiquement isolé

La grande particularité de Syn57, c'est que son code génétique est complètement illisible par les virus. En temps normal, ces derniers infectent les cellules en s’appropriant leur machinerie interne : ils y injectent leur propre matériel génétique, que la cellule prend alors pour des instructions valides. Elle commence ensuite à produire des protéines virales à la place des siennes.

Comme le code génétique de Syn57 a été entièrement modifié, les virus ne peuvent plus le reconnaître, il leur est parfaitement illisible. Ils ne peuvent donc ps s'en servir pour le « pirater » à leur profit. Même s’ils parviennent à injecter leur ADN, celui-ci n’est plus compris par la cellule, qui est incapable de le traduire en protéines virales ; l’infection échoue donc dès la première étape.

Pourquoi avoir voulu créer une telle cellule ? C'est tout d'abord un moyen d'ouvrir un plus large champ de réalisations en biologie synthétique, tout en renforçant la sécurité des manipulations génétiques. Pour chaque codon libéré, c'est un nouvel espace qui s'ouvre ; chacun pourrait être réassigné à de nouveaux rôles, par exemple pour intégrer des acides aminés artificiels, qui n’existent pas dans la nature.

« Cela permettra aux chercheurs de concevoir des polymères synthétiques ou des macrocycles innovants [NDLR : grandes molécules en forme d’anneau, fréquemment utilisées en chimie pharmaceutique pour leurs propriétés biologiques particulières, comme leur capacité à se lier très précisément à certaines cibles moléculaires] », a expliqué l'équipe de recherche dans ce communiqué de presse.

Ces molécules pourraient, à terme, servir à fabriquer des enzymes inédites, des biomatériaux plus performants, voire des médicaments sur mesure. À cet égard, on peut considérer Syn57 comme une espèce de plateforme vivante et programmable que les biologistes pourraient utiliser à des fins thérapeutiques ou industrielles.

Elle pourrait aider à résoudre un problème assez récurrent dans le secteur pharmaceutique : les infections virales qui détruisent des cultures entières de bactéries utilisées pour produire des protéines ou des enzymes. Le coût de la culture industrielle de celles-ci pourraient par conséquent être tirés vers le bas.

« Ce travail illustre comment la synthèse de génomes peut déplacer les séquences d’organismes vers de nouvelles zones du paysage génétique, qui n’avaient probablement jamais été accessibles à la vie naturelle », concluent les chercheurs dans leur étude.

Charles Darwin, en son temps, voyait dans chaque organisme un compromis évolutif. Syn57 est tout le contraire : une cellule débarrassée de certaines de ses redondances, reconstruite selon un projet répondant à ses propres objectifs. Cela ne contredit en rien sa théorie, mais les chercheurs du MRC viennent de démontrer que l'évolution naturelle n'était pas le seul chemin existant. Il y en avait un autre, tracé par l'intelligence et l'ingénierie humaine. Aucune raison donc, pour que le naturaliste britannique ne se retourne dans sa tombe !