Sous son épaisse carapace de glace, Encelade cache un gigantesque océan, au centre de l'attention des astrobiologistes depuis près de vingt ans. Aujourd'hui, une nouvelle analyse des données de la sonde Cassini vient d’identifier des molécules organiques complexes, comparables à celles que l’on retrouve près des évents hydrothermaux sur Terre. De quoi renforcer l’idée que ce satellite glacé est, à ce jour, l’un des meilleurs candidats à l'existence de la vie extraterrestre dans tout le Système solaire.

Plusieurs dizaines de lunes orbitent autour de Saturne, dont Encelade, l'une des plus importantes, qui abrite un vaste océan d'eau liquide sous sa surface. © Frame Stock Footage / Shutterstock
Plusieurs dizaines de lunes orbitent autour de Saturne, dont Encelade, l'une des plus importantes, qui abrite un vaste océan d'eau liquide sous sa surface. © Frame Stock Footage / Shutterstock

Lorsque William Herschel découvrit Encelade en 1789, la communauté scientifique la considéra comme une simple boule de glace inerte, vide de tout intérêt biologique. Cette perception persista jusqu'au début des années 2000, moment où tout a changé. Entre 2005 et 2015, les données de la sonde Cassini ont révélé l'incroyable activité de cette lune, lorsqu'elle plongea à travers ses panaches de glace et de vapeur d’eau.

Depuis, Encelade, petit monde de 500 km de diamètre, est plus que jamais un objectif prioritaire de l'astrobiologie, car il représente l'un des environnements les plus prometteurs pour la recherche de vie dans tout notre Système solaire.

Le 1ᵉʳ octobre, une équipe dirigée par l’astrobiologiste Nozair Khawaja (Université de Stuttgart) a publié dans la revue Nature Astronomy une nouvelle analyse des grains de glace expulsés des geysers qui percent l’écorce de glace d’Encelade. Des données vieilles de 20 ans, prouvant qu’il existe, sous sa surface gelée, une chimie organique comparable à celle des abysses terrestres.

 Les panaches d'Encelade en action, photographiés par Cassini en 2010. © NASA / JPL-Caltech/Space Science Institut
Les panaches d'Encelade en action, photographiés par Cassini en 2010. © NASA / JPL-Caltech/Space Science Institut

Sous les glaces d'Encelade : la signature biochimique d’un océan vivant

Pour percer l'opacité de ces données brutes, l'équipe de recherche a mobilisé des méthodes modernes d'analyse spectrale, qu'ils ont croisé avec des bases de données chimiques. Cette approche leur a permis d'extraire des signatures chimiques extrêmement faibles du Cosmic Dust Analyzer (CDA) de Cassini, puis de les identifier en les confrontant à des spectres de référence obtenus en laboratoire.

En 2008, la sonde a traversé l'un des panaches d'Encelade à 17,7 km/s (63 720 km/h), livrant des mesures difficiles à décrypter, mais essentielles pour comprendre son océan interne. L'équipe de Khawaja, en les réanalysant, est tombée sur un véritable trésor : des aromatiques, des aldéhydes, des esters, des éthers et des alcènes, ainsi que des traces possibles de molécules contenant azote et oxygène.

« À faible vitesse, l’eau domine le spectre et masque les autres molécules. Mais à très grande vitesse [NDLR : la vitesse à laquelle les grains de glace ont heurté l’instrument de Cassini], ces regroupements se fragmentent et des signaux cachés apparaissent », explique Khawaja. Ce passage à vitesse maximale s'est donc avéré déterminant : sans cet impact énergétique, les chercheurs n’auraient jamais pu décrypter et identifier ces nouvelles molécules organiques.

Elles sont, de ce fait, à ajouter à la liste des substances que l'on savait déjà présentes dans l'océan d'Encelade : sels, hydrogène et phosphates, ainsi que cinq des six éléments dits CHOPS (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore, soufre). Les briques élémentaires de la vie telle que nous la connaissons actuellement.

Il n'en reste qu'un, qui manque encore à l'appel : le soufre. « Les molécules organiques que nous avons identifiées peuvent emprunter de nombreuses voies chimiques menant à des composés essentiels au vivant, ce qui renforce l’hypothèse d’une habitabilité d’Encelade », précise Khawaja. Un manque qui reste, pour le moment, secondaire au regard du nombre d'indices déjà accumulés depuis la première mission de Cassini.

Schéma illustrant le fonctionnement supposé de l’activité hydrothermale sur Encelade. © ESA

L’océan d’Encelade, un cousin lointain de nos abysses ?

La proximité entre les signatures chimiques détectées dans les panaches d’Encelade et celles des fonds marins terrestres est, pour les chercheurs, l’indice le plus probant de conditions propices à la vie.

Sur Terre, loin de la lumière du Soleil, des écosystèmes entiers prospèrent dans les abysses autour des évents hydrothermaux : des fissures qui libèrent de l’eau chauffée au contact des roches du plancher océanique. Ce mélange d’eau et de minéraux produit l’énergie nécessaire à de nombreuses formes de vie qui vivent dans l’obscurité totale, uniquement grâce à la chimiosynthèse.

Les composés identifiés laissent penser que le plancher océanique d’Encelade est animé de réactions hydrothermales du même ordre que celles qui favorisent, sur Terre, l’apparition de composés organiques essentiels.

« Même si nous ne trouvions aucune trace de vie sur Encelade, ce serait une découverte majeure : pourquoi la vie n’est-elle pas apparue dans un environnement dans lequel toutes les conditions semblent réunies ? », s'interroge très justement Khawaja.

Il reste encore beaucoup à explorer, comme le rappelle le chercheur : « Il y a encore beaucoup à extraire des mesures de Cassini, et nous avons hâte de découvrir ce qui se cache dans les prochaines analyses ». Malheureusement, les informations glanées par Cassini, aussi riches soient-elles, datent de près de vingt ans et ne peuvent plus être réactualisées. Sa mission ayant touché à sa fin en 2017, il faudrait, dans l'idéal, une nouvelle mission entièrement dédiée à étudier in situ les processus géophysiques à l’œuvre dans l'océan d'Encelade.

Quelle que soit la suite de cette longue aventure, Encelade restera au cœur de l’astrobiologie des années durant, tout comme d'autres lunes de Saturne, à l'image de Mimas, où un océan subglaciaire a récemment été suspecté. Si la vie s’y cache, ce serait l’une des plus grandes découvertes scientifiques de l’histoire. Si, au contraire, elle est absente, nous serons confrontés à cette question, pour le moins angoissante : le vivant est-il le fruit d’un miracle terrestre dans un Univers où de nombreux autres mondes habitables seraient demeurés stériles ?