Stocker vos données clients hors d'Europe n'est pas qu'une question de RGPD. Entre les lois extraterritoriales américaines et les dépendances géopolitiques, les risques sont bien plus profonds qu'il n'y paraît.

Cloud Act, FISA, Privacy Shield… Derrière ces acronymes, on retrouve des textes qui permettent aux autorités américaines d'accéder aux données hébergées par les géants du Coud, quelle que soit leur localisation géographique. Même hébergées physiquement en Europe, vos données ne sont pas à l'abri et peuvent être accessibles aux autorités de l'oncle Sam, si votre prestataire dépend du droit US. Une vulnérabilité structurelle qui ne concerne plus seulement les grands groupes, mais aussi les PME et start-up françaises.
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Les lois extraterritoriales menacent vos données, même en Europe
« Le vrai sujet, ce sont les lois extraterritoriales », explique William Méauzoone, DG et co-fondateur de Leviia, interrogé par Clubic. « Même si vos données sont physiquement en Europe, un prestataire soumis au droit américain peut être légalement obligé de les transmettre aux autorités US, sans notification et sans recours possible. »
Le Cloud Act américain, adopté en 2018, permet justement cela. Il peut contraindre Google Cloud, Microsoft Azure ou AWS à livrer des données stockées n'importe où dans le monde, dès qu'un juge américain le demande. Plus préoccupant encore, l'article 702 du FISA autorise un accès direct par les agences de renseignement, sans que le prestataire puisse vous en informer. Cette disposition a été prolongée au moins jusqu'en 2026.
Et ce n'est pas de la théorie. Récemment, Microsoft a suspendu les services d'une entreprise indienne suite à des sanctions européennes liées à ses achats de pétrole russe. « Si le pays d'hébergement connaît une crise diplomatique, change sa réglementation ou impose des sanctions, l'accès à vos données peut être limité ou coupé du jour au lendemain », rappelle William Méauzoone.
Trois questions pour mesurer le risque de votre hébergement cloud
Beaucoup d'entrepreneurs pensent encore que ces risques d'hébergement hors Union européenne ne concernent que les données ultrasensibles. « C'est une erreur de jugement », tranche le patron de Leviia. « Le problème n'est pas de savoir si une PME va être espionnée demain, mais de comprendre que le risque est structurel. Dès que vos données passent par un acteur non-européen, vous perdez la protection légale et le contrôle effectif qu'offre le cadre français et européen. »
Alors comment mesurer ce risque ? William Méauzoone propose une grille d'analyse simple, en trois points. Première vérification, il faut identifier la nationalité juridique du prestataire et de sa maison-mère. La deuxième étape consiste à vérifier si des lois locales comme le Cloud Act autorisent l'accès aux données. Évaluer la sensibilité de vos informations selon leur nature (santé, finance, données commerciales) est le troisième critère.
La Commission européenne, de son côté, publie des décisions d'adéquation pour certains pays jugés fiables comme le Canada, le Japon ou le Royaume-Uni. Pour les États-Unis, le Data Privacy Framework signé en 2023 reste juridiquement très fragile, pour ne pas dire incertain. Comme ses deux prédécesseurs (Safe Harbor et Privacy Shield, tous deux invalidés par la justice européenne), il pourrait subir le même sort.
Le chiffrement ne suffit pas à tout résoudre
Beaucoup misent sur le chiffrement et la pseudonymisation. « Ils sont indispensables mais pas suffisants », nuance William Méauzoone. « Le chiffrement bloque l'accès direct aux données, mais tout dépend de qui détient les clés. Si c'est le prestataire, il peut être légalement contraint de les remettre. Dans ce cas, les données restent vulnérables même chiffrées. »
La pseudonymisation ne change pas grand-chose non plus. Elle brouille l'information sans rien effacer, reste réversible et demeure une donnée personnelle au sens du RGPD. « Il y a tout ce que le chiffrement ne couvre pas : les métadonnées », ajoute notre expert. Qui a consulté le fichier, à quelle heure, depuis quelle adresse IP, combien de temps… Toutes ces traces numériques peuvent révéler énormément sur vos activités.
Alors quelle serait la vraie protection ? « Si les clés sont hébergées et contrôlées en Europe, par l'organisation ou par un tiers de confiance européen, on reste dans le cadre de la protection offerte par le droit européen », précise William Méauzoone. À l'inverse, si elles sont accessibles au prestataire soumis à un droit étranger, aucune garantie européenne ne tient face à une injonction américaine.
Cloud souverain : des alternatives en France et en Europe
Outre les trois hyperscalers américains qui dominent 70% du marché français et présentent certains avantages de performance et de fluidité, des acteurs souverains français et européens comme OVHcloud, Scaleway, SAP, Cloud Temple ou Proton montent en puissance. Avec les tensions géopolitiques actuelles et le retour de Donald Trump, l'intérêt pour ces solutions revient sur le devant de la scène, certaines étant même portées par la certification SecNumCloud de l'ANSSI, qui garantit l'immunité aux lois extraterritoriales.
Comment choisir entre des acteurs français ou européens, et leurs concurrents américains ? Tout dépend de ce que vous stockez. Les informations sensibles (santé, finance, secrets industriels) nécessitent sans aucun doute un hébergement souverain certifié. Pour des applications moins critiques, AWS ou Azure offrent plus de services et d'options. Mais attention, car avec les tensions géopolitiques actuelles, pardonnez-nous d'insister là-dessus, même les données « non sensibles » posent question.