Irène Labus, Havas Digital : "Le métier d’une agence media va opérer une profonde mutation"

28 septembre 2009 à 15h56
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Directrice Analytics chez Havas Digital, Irène Labus présente son activité d'analyse de la publicité par internet à l'heure du marketing à la performance, de la remise en cause du "branding" et de la montée en puissance des places de marché.

JB - Irène Labus, bonjour. Quelle est votre fonction au sein d'Havas Digital ? Pouvez vous rappeler le métier d'une agence média ?

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Irène Labus
IL - J'ai rejoint Havas en juin 2008 en tant que Directrice Analytics. Mon rôle est multiple. Tout d'abord, il consiste à optimiser les performances des campagnes de nos annonceurs, et à faire mieux travailler leur budget. Et ce à travers l'étude - et la traduction en recommandations opérationnelles - de toutes les données fournies par Artemis, notre plateforme propriétaire de collecte et de traitement de données désagrégées (cookies). Schématiquement, Artemis nous permet de 1) comprendre le comportement des internautes, 2) étudier les effets cross-channel et revéler les synergies entre les différents leviers online, et donc 3) trouver des gisements d'économie (et faire ainsi la chasse au gaspi).

De façon plus opérationnelle, mon équipe a également la charge du reporting et des bilans de campagne pour le compte des clients les plus cross media de l'agence. Enfin, étant donné ma précédente expérience à la Direction Marketing de Weborama, mon cheval de bataille est d'intervenir plus en aval, sur le site web de l'annonceur. Car apporter du trafic qualifié sur un site web mal conçu qui ne retient pas ses visiteurs est contre-productif. Nous proposons ainsi à nos clients des services d'optimisation de performance de leur site web: analyse qualitative, audit d'ergonomie, optimisation de landing page via des tests A/B et multivariés.

Au sens strict du terme, une agence media achète de l'espace publicitaire sur tous les médias pour le compte des annonceurs, nos clients. Sur le online : display, SEO, SEM, affiliation, emailing, mobile, réseaux sociaux... Mais avec l'apparition des nouvelles technologies et des nouveaux modes d'achat que représentent les ad exchanges, le métier d'une agence media va opérer à plus ou moins long terme une profonde mutation : adieu les ordres d'insertion faxés, bonjour le trading, le pricing dynamique et l'optimisation en temps réel ! Et dans ce contexte les profils analytics sont promis à un bel avenir !

JB - Concrètement, comment mesurez vous les performance des campagnes de vos clients ? Quels critères retenez vous ? la mémorisation d'une marque ? les clics ? les ventes générées ?

IL -Tout dépend du type de campagnes. S'il s'agit d'une campagne de branding ou de notoriété, dont l'objectif est de développer la marque, alors les post-test online ou les indicateurs d'interactivité sont de bons moyens de mesurer leur performance. Les post-test sont destinés à mesurer la mémorisation, l'agrément ou l'intention d'achat. Quant aux indicateurs d'interaction, que ce soit le taux d'interaction sur les créations rich media ou le nombre d'interactions / visites en profondeur sur le site de l'annonceur, ils donnent une bonne idée de l'engagement de l'internaute envers la marque.

Mais de nouvelles mesures d'exposition intéressantes apparaissent, tels que la visibilité de la bannière et le temps d'expositionavec des prestataires tels qu'Alenty, partenaire d'Havas Media.

Et contrairement aux idées reçues, et hélas aux pratiques en cours, le taux de clic n'est absolument pas pertinent pour juger de l'efficacité d'une campagne de branding !

A l'autre bout du spectre, les campagnes ROIstes, avec des objectifs clairs de conversion (que ce soit de la vente, de l'inscription, du lead...), ont des KPIs (ou key performance indicators) qui tournent autour de la notion de transformation et de retour sur investissement : nombre de ventes/inscriptions/requêtes, taux de transformation, CPA (coût d'acquisition), ROI (CA - budget / budget)...

Ils peuvent être enrichis par des données plus fines via l'intégration de données client (valeur client issue du CRM de l'annonceur, par exemple...), ou la récupération de variables liées à la transformation, et donner lieu à l'analyse détaillée du processus de transformation d'un visiteur en client (le fameux entonnoir de conversion). Cette analyse est capitale : faites passer le taux de transformation d'un site marchand de 0.1% à 0.2%, et vous doublez d'office son chiffre d'affaires !

Entre les deux, les campagnes de trafic, destinées à générer des visites sur le site de l'annonceur, sont évaluées par le taux de clic ou le nombre de visiteurs uniques sur le site, entre autres.

Pour évaluer puis optimiser la performance de telles campagnes, il est très important de trouver une valeur de référence à laquelle les comparer. En l'absence de benchmark général pour chaque catégorie d'annonceurs, la meilleure référence reste l'historique des campagnes précédentes menées pour l'annonceur.

JB - Avec leurs bannières et leur modèle économique au CPM, les médias traditionnels voient leur part de marché reculer dans les plans médias. Une meilleure analyse de l'audience permettrait elle d'inverser la tendance ? Le "branding" a t'il encore un avenir ?

IL - Bien sûr que le branding a de l'avenir, à partir du moment où on le mesure avec les bon critères, ceux que j'ai évoqués plus haut. Et encore plus avec la montée en puissance de la video et des nouveaux formats !

Ceci dit, c 'est vrai que l'achat de display au CPM tend peu à peu à diminuer au profit du search ou de dispositifs display à la performance (CPC, CPA, CPL...). Dans une période de crise comme la nôtre, le réflexe est naturel de recourir à des campagnes 100% ROIstes sur les sites les plus économiques ou de faire de l'affiliation sur les sites de la « long tail ». Et il est vrai que si on mesure sa performance à l'aune des seuls taux de clic et coût d'acquisition, le display au CPM peut être rapidement jugé comme non rentable.

Oui, mais.

C'est d'abord se concentrer sur des résultats à très court-terme, et négliger tous les effets cumulatifs et long terme de notoriété et de construction de marque. Nous avons mené de nombreuses études (True Lift, Search vs Graphical...) qui démontrent bien l'effet réel, quoiqu'indirect, du display et des campagnes de branding au CPM sur le trafic naturel et les autres leviers, en particulier le search. Bien sûr les chiffres varient d'un annonceur à l'autre, d'un secteur d'activité à l'autre, mais l'impact est bien là. Si on veut faire une métaphore footbalistique, le display est le passeur qui donne le ballon au search, qui lui marque le but, soit la conversion. Mais sans passe, pas de but !

Pour ce qui est du mode d'achat, les schémas de pricing dynamique basés sur le CPM qui sont aujourd'hui proposés par les ad exchanges, permettront de revenir à davantage d'achat au CPM, avec un objectif sous-jacent de CPC ou CPA, et de répartir un peu mieux le risque entre annonceurs et régies (dans un achat au CPC ou CPA, la régie assume tous les risques puisqu'elle ne sait pas à l'avance combien d'impressions seront nécessaires pour générer un clic ou une conversion , à l'inverse du CPM où l'annonceur paie en fonction du nombre d'impressions, indépendamment du résultat produit).

Par ailleurs, ce système permettra de mieux valoriser les inventaires des éditeurs, à partir du moment où on pourra qualifier le profil des internautes. C'est ce que nous faisons déjà avec des acteurs du ciblage comportemental comme Wunderloop, Adconion ou Weborama, ou des ad exchanges comme Right Media.

JB - "Le tunnel de conversion" est désormais obstrué par de nombreux acteurs qui se disputent la paternité du dernier clic (affiliation, codes de réduction, cash back, etc...). Comment faites vous la part des choses entre ces différents apporteurs d'affaire ?

IL - Vaste sujet. C'est vrai que la règle du dernier clic est de plus en plus remise en question... Pourquoi attribuer la conversion au dernier clic, et pas au premier ? C'est quand même lui qui témoigne de l'intérêt initial de l'internaute pour la marque ou ses produits... Cette règle a aussi tendance à sur-représenter le search marketing, l'internaute utilisant les moteurs de façon « navigationnelle », comme un moyen de retrouver une marque à laquelle il a été préalablement sensibilisé par des bannières, des spots TV, des encarts dans la presse... Artemis nous montre bien les impacts des campagnes TV sur les requêtes en search par exemple.

En permettant aux internautes de profiter d'une réduction, les systèmes de cash back ont aussi tendance à s'approprier les conversions qui étaient autrefois attribuées à l'affiliation.

Pour pallier ce problème, nous avons développé pour certains de nos annonceurs des modèles d'attribution multi-canaux qui leur sont propre en exploitant les données d'exposition de leurs campagnes : leur objectif est de mesurer objectivement l'influence de chaque canal dans la conversion, ce qui a permis par exemple de revaloriser le rôle du display et de l'affiliation, au détriment du search et de l'emailing. La R&D d'Artemis a par ailleurs développé de nouveaux rapports qui pondèrent le display et le search, ou les mots-clés au sein d'une campagne de search, en fonction de leur contribution réelle, en appliquant un algorithme statistique développé en interne.

Mais le préalable à tout ce travail, c'est bien évidemment de mettre en place un tracking unifié : si chaque canal (display, search, emailing, affiliation) est mesuré en silo, alors impossible de regrouper toutes les données d'exposition liées à un internaute, et donc de développer ce type de modèle.

JB - Google propose désormais un adserver, un outil de mesure d'audience, un outil de mediaplanning et travaille sur sa propre place de marché. Est-ce un défi pour une agence média comme Havas Digital ? Quelle technologies ou savoirs faire devez vous développer pour conserver la confiance des annonceurs ?

IL - Question délicate... selon Martin Sorrell, le CEO de WPP, Google est un « frenemy ». Il est certain que les enjeux liés à l'incontournabilité de Google sont critiques. Ce qui ne nous empêche nullement de travailler avec eux : nous utilisons l'adserver DFA de Doubleclick, propriété de Google, pour partie de nos annonceurs, et les liens sponsorisés sur Google représentent une part conséquente et croissante du mix media online de nos annonceurs. Le fait que Google propose des produits innvovants, performants et parfois gratuits permet d'accélérer la maturité du marché, ce qui rend les annonceurs, et donc leurs agences media, plus exigeants. C'est pour cela que notre plateforme Artemis n'est pas une solution figée mais suit les évolutions de nos métiers et que nous continuons d'investir dans les compétences analytics, que l'équipe de consultants s'étoffe pour mieux répondre aux besoins grandissant de nos annonceurs. Nous devons en effet intégrer dans nos approches les données de tracking des nouveaux medias (mobiles, réseau sociaux...) et ceux de tous les autres acteurs du marché, que ce soit Atlas (Microsoft), Eyeblaster ou Weborama, côté adservers, et Right Media (Yahoo) ou DataXu côté ad exchange.

JB - Irène Labus, je vous remercie.
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