C'est l'histoire d'un homme qui voit les choses en grand, très grand. Pour Jensen Huang, le patron de NVIDIA, l'intelligence artificielle n'est pas un marché, c'est un nouvel ordre économique mondial de 100 000 milliards de dollars, rien que ça.

Jensen Huang, reconnaissable à son éternelle veste en cuir, est actuellement sur le toit du monde technologique. Son entreprise NVIDIA vient de devenir la première de l'histoire à franchir le cap astronomique des 5 000 milliards de dollars de valorisation. Depuis le sommet de l'APEC en Corée du Sud, il promet que ce n'est qu'un début, avec un gâteau de 100 000 milliards qui attendrait l'industrie. Une prophétie qui sonne comme une douce musique aux oreilles des investisseurs, mais qui fait aussi grincer quelques dents.
La prophétie du « cycle vertueux »
Pour justifier ces chiffres qui donnent le tournis, le dirigeant a sa propre théorie : celle du « cycle vertueux ». L'idée est simple, presque trop. Des modèles d'IA plus performants attirent plus d'utilisateurs, ce qui génère plus de revenus. Ces profits permettent ensuite de construire des centres de données encore plus massifs, qui à leur tour hébergent des IA encore plus puissantes. La boucle est bouclée, et la machine à billets peut tourner à plein régime.
Ce mécanisme s'appuie sur une observation juste : la bonne vieille loi de Moore, qui a dicté le rythme des progrès informatiques pendant des décennies, est à bout de souffle. Et comme par hasard, NVIDIA a la solution toute prête avec son calcul accéléré et ses fameux processeurs graphiques. Selon Huang, la messe est dite : l'intégralité du parc informatique mondial, estimé à plus d'un billion de dollars, doit migrer vers sa technologie. Une transition forcée qui, bien sûr, profite avant tout à son entreprise.
Une frénésie d'investissements qui pose question
Cette vision a déclenché une course effrénée aux dépenses. Microsoft, Amazon, Alphabet et Meta prévoient de dépenser plus de 300 milliards de dollars en 2025 pour muscler leurs infrastructures. NVIDIA elle-même a promis jusqu'à 100 milliards de dollars à OpenAI pour l'aider à construire ses futures usines à intelligence artificielle.

C'est là que le tableau devient un peu plus trouble. Cet afflux d'argent crée ce que les analystes appellent un financement « circulaire ». NVIDIA investit dans des jeunes pousses qui, pour fonctionner, achètent des services à des géants de l'infonuagique comme Oracle, qui eux-mêmes se fournissent en puces… chez NVIDIA. Un petit jeu de chaises musicales entre amis qui rappelle furieusement les montages financiers qui avaient précédé l'éclatement de la bulle internet au début des années 2000.
Les rabat-joie entrent en scène
Face à cet enthousiasme général, quelques voix discordantes commencent à se faire entendre. Et pas des moindres. Bill Gates, qui n'est pourtant pas le dernier à vanter l'IA, a récemment averti qu'une bulle était en train de se former et que de nombreux investissements finiraient « sans issue ». Une douche froide pour ceux qui pensaient que l'argent coulait à flots sans risque.
Plus acide, l'auteur Cory Doctorow prédit un effondrement imminent. Il rappelle que 95% des entreprises qui tentent de mettre en place des projets d'IA échouent lamentablement. « L'IA ne peut pas faire votre travail, mais un commercial d'IA peut convaincre votre patron de vous licencier pour vous remplacer par une IA incapable de faire votre travail », ironise-t-il. Lorsque la fête sera finie, beaucoup pourraient se réveiller avec la gueule de bois, des postes en moins et des systèmes qui ne fonctionnent pas.
Ces craintes sont alimentées par des chiffres bien réels. OpenAI, la star du secteur, aurait perdu la somme colossale de 12 milliards de dollars sur le dernier trimestre, forçant son principal partenaire Microsoft à constater une dépréciation de plus de 11 milliards. Des pertes abyssales qui interrogent sur la viabilité à long terme d'un modèle économique qui brûle du capital à une vitesse inédite.
Une vision à quitte ou double
Pourtant, rien de tout cela ne semble perturber la confiance de Jensen Huang. Le patron de NVIDIA campe sur ses positions, affirmant que nous ne sommes qu'à la première année d'un cycle qui en durera au moins dix. Sa valorisation stratosphérique, dépassant désormais le PIB de nations comme le Japon ou le Royaume-Uni, lui donne pour l'instant raison.
La question est de savoir si le chef de NVIDIA est un visionnaire qui a compris avant tout le monde l'ampleur de la transformation à venir, ou s'il est simplement le chef d'orchestre d'une euphorie spéculative déconnectée de la réalité. Pour l'heure, les investisseurs continuent de danser. Reste à savoir qui paiera les pots cassés quand la musique s'arrêtera.
Source : Windows Central