L'ARCEP vient d'ouvrir une consultation cruciale sur l'avenir des réseaux mobiles français. Le régulateur des télécoms veut préparer l'arrivée de la 6G et redistribuer toutes les fréquences actuelles d'ici 2035.

C'est un rendez-vous qui n'arrive qu'une fois par génération technologique. L'ARCEP, gendarme français des télécoms, a lancé lundi une consultation pour réorganiser l'ensemble du spectre radioélectrique mobile. L'idée est de préparer les infrastructures qui porteront la 6G et déterminer comment Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se partageront les ondes hertziennes pour la décennie 2030-2040. Un vaste chantier.
Orange, SFR, Bouygues et Free ont jusqu'au 15 décembre pour répondre à l'ARCEP
"Pour comprendre l'enjeu, il faut savoir que chaque opérateur dispose de « licences d'exploitation » sur des bandes de fréquences précises, un peu comme des concessions autoroutières. Ces fréquences, mesurées en mégahertz (MHz) ou gigahertz (GHz), ne se valent pas toutes. Les bandes dites « basses » (700 à 900 MHz) traversent facilement les obstacles et couvrent de vastes territoires, idéales pour les zones rurales. À l'inverse, les bandes « hautes » (comme la 3,5 GHz) offrent des débits ultra-rapides mais ne portent que sur quelques centaines de mètres. Entre les deux, les bandes « moyennes » (1800 à 2600 MHz) offrent un compromis couverture-débit
Ces licences arrivent toutes à échéance entre 2030 et 2035. Un alignement temporel providentiel, puisque c'est le moment où la 6G devrait émerger des laboratoires. Les organismes internationaux de standardisation prévoient de finaliser les spécifications techniques de cette sixième génération en 2030, avant un déploiement commercial progressif dans la décennie suivante.
L'ARCEP n'a donc pas attendu pour y réfléchir. Dans un document de consultation long de 39 pages, l'autorité multiplie les questions aux opérateurs sur leurs besoins futurs. « À quels besoins et cas d'usage pourrait répondre le déploiement de la 6G ? », interroge le régulateur. Ou encore, « à quel horizon anticipez-vous son utilisation effective ? » La réponse des acteurs, attendue pour le 15 décembre, dessinera les contours de nos usages mobiles pour les 15 prochaines années.
Le passage vers la nouvelle technologie se fera en douceur. L'ARCEP évoque une transition qui commencerait d'abord par la « 5G Standalone » (version autonome), puis la « 5G Advanced » (évolution enrichie), avant le grand saut vers la 6G. La progression permettra d'intégrer au fur et à mesure des innovations majeures comme l'intelligence artificielle, directement embarquée dans les antennes-relais, ou la connexion avec des satellites pour couvrir les zones blanches.
La bande 6 GHz, le nouveau terrain de bataille des télécoms ?
Au-delà de la simple redistribution de l'existant, l'ARCEP s'intéresse à de nouveaux territoires fréquentiels. Le plus convoité est celui de la bande dite « haute 6 GHz » (entre 6425 et 7250 MHz), fraîchement identifiée fin 2023 lors d'une conférence mondiale des radiocommunications.
Cette bande présente d'ailleurs un vrai intérêt stratégique. Selon une étude commandée par l'ARCEP et publiée fin septembre 2025, elle deviendrait indispensable dans les scénarios de forte croissance du trafic mobile. Concrètement ? Si les usages explosent, avec la multiplication des objets connectés, le streaming vidéo en ultra-haute définition et les applications d'intelligence artificielle gourmandes en données, les bandes actuelles ne suffiront plus. Le 6 GHz offrirait ce supplément de capacité, comme ajouter de nouvelles voies sur une autoroute saturée.
Un obstacle de taille demeure, car cette bande est également convoitée pour le Wi-Fi. Les discussions européennes font rage pour déterminer qui aura la priorité. Une décision d'harmonisation européenne est attendue en 2027. L'ARCEP demande explicitement aux opérateurs français de quantifier leurs besoins dans cette bande et à quel horizon, pour mieux défendre la position française à Bruxelles.

D'autres fréquences viennent enrichir le catalogue. La bande 3410-3490 MHz, aujourd'hui occupée par des réseaux radio fixes de collectivités territoriales, sera libérée en juillet 2026. Elle offrirait 80 MHz supplémentaires, contigus aux fréquences 5G déjà déployées autour de 3,5 GHz, un avantage technique non négligeable pour les opérateurs qui pourraient ainsi exploiter des canaux plus larges et donc plus performants.
La bande 1,4 GHz intrigue aussi. Mais elle présente des contraintes, par exemple autour des aéroports et ports, où les stations de base mobiles devront respecter des limites de puissance strictes pour ne pas perturber les communications par satellite de l'aviation et du maritime. L'ARCEP interroge les opérateurs pour savoir si, malgré ces contraintes, la bande les intéresse.
Les satellites direct-to-device redistribueront les cartes de la couverture
La facture de ce chantier s'annonce salée. Les investissements dans les réseaux mobiles français ont atteint 12,4 milliards d'euros en 2024, rappelle l'ARCEP. Avec des pics à plus de 16 milliards lors des années d'attribution de nouvelles fréquences. On comprend que les modalités choisies par le régulateur (enchères financières pures, obligations de couverture ambitieuses, ou mix des deux) détermineront combien les opérateurs devront débourser.
Le souvenir du « New Deal mobile » de 2018 reste présent. À l'époque, plutôt que de vendre les fréquences au plus offrant, l'ARCEP avait exigé des engagements de déploiement massifs. L'autorité avait axé la priorité sur la couverture des axes de transport, sur l'émergence de zones identifiées par les collectivités, et la généralisation du très haut débit mobile. La couverture a profité d'une vraie amélioration, mais au prix d'investissements colossaux pour les opérateurs.
Alors quelle formule pour 2030 ? L'ARCEP est en train de sonder le secteur. Quels besoins résiduels en couverture ? Faut-il renforcer les obligations de partage d'infrastructures entre opérateurs pour limiter la multiplication des antennes ? Comment intégrer les enjeux environnementaux, comme la consommation énergétique des réseaux et l'acceptabilité locale des installations ?
Un autre sujet émerge aussi, celui de la couverture à l'intérieur des bâtiments. Avec la multiplication des constructions dites « Haute Qualité Environnementale » (HQE), très isolées thermiquement, les ondes mobiles peinent à pénétrer. L'ARCEP avait imposé des obligations spécifiques, avec la généralisation des appels Wi-Fi, la garantie de raccordement aux systèmes d'antennes distribuées dans les immeubles et la mutualisation des petites cellules entre opérateurs. Ces dispositifs seront-ils maintenus, renforcés ou adaptés ?
Enfin, un mot de la connectivité satellite « direct-to-device ». Des constellations de satellites en orbite basse promettent de connecter directement nos smartphones, sans passer par les antennes terrestres. Plusieurs acteurs internationaux avancent leurs pions, comme Starlink ou le géant français Thales. L'ARCEP se demande si les opérateurs français envisagent des partenariats ? Sont-ils prêts à partager une partie de leurs fréquences terrestres avec des opérateurs satellitaires pour offrir une couverture universelle, y compris en pleine montagne ou en mer ?
Les réponses à ces questions, attendues d'ici deux mois, dessineront le visage de la France mobile de 2030, et au-delà. Entre innovation technologique, enjeux de souveraineté numérique et impératifs économiques, l'équation s'annonce complexe. On a malgré tout une certitude, c'est que la 6G ne sera pas qu'une simple évolution technique. Elle redessinera en profondeur notre rapport à la connectivité.