Avec le nouveau satellite scientifique EarthCARE, l'ESA met la tête dans les nuages

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 26 mai 2024 à 17h32
Vue d'artiste du satellite EarthCARE une fois déployé en orbite. Notez l'instrument radar et son réflecteur à l'avant © ESA / ATG Medialab
Vue d'artiste du satellite EarthCARE une fois déployé en orbite. Notez l'instrument radar et son réflecteur à l'avant © ESA / ATG Medialab

Ce mercredi 29 mai, ce nouveau satellite de l'Agence spatiale européenne et du Japon décollera pour aller étudier les nuages, les aérosols et l'environnement radiatif terrestre. Cette mission scientifique de pointe devrait affiner les modèles climatiques et la compréhension de mécanismes complexes de l'atmosphère.

Parmi les satellites d'observation de la Terre déployés par les grandes agences, seule une petite frange est consacrée à la compréhension de phénomènes encore (relativement) mal documentés. Le rôle des nuages ainsi que leur interaction avec les aérosols et l'environnement radiatif terrestre et spatial sont une clé pour mieux étudier le climat dans sa globalité et affiner les modèles terrestres, en particulier les projections.

L'ESA, l'Agence spatiale européenne, a démarré le projet EarthCARE dès le début des années 2000, ensuite épaulée par l'agence japonaise, la JAXA. Mais cette mission d'envergure n'a pas connu un développement facile. Parmi les quatre instruments complémentaires qu'elle embarque, l'un d'entre eux a été pratiquement inventé pour l'occasion.

L'effet des nuages à basse et haute altitude © ESA
L'effet des nuages à basse et haute altitude © ESA

Une quête plus compliquée que prévu

Lorsqu'elle signe le contrat de développement pour le satellite en 2008, avec une enveloppe de 263 millions d'euros, l'agence européenne n'a pas encore pris la mesure de ce qui sera demandé aux laboratoires de recherche et développement. L'objectif d'EarthCARE, pour sa part, est clair : identifier avec précision le rôle des nuages et des aérosols sur le climat avec leur participation à l'effet de serre. En particulier, EarthCARE sera équipé pour comprendre et documenter l'interaction des nuages et aérosols avec les radiations thermiques solaires et terrestres.

Pour ça, il faut des instruments capables de mesurer précisément les nuages, ce qui est particulièrement complexe. Des images, même multispectrales, ne peuvent qu'identifier une partie de leur forme globale. Alors, en plus d'un capteur optique (nommé MSI), EarthCARE embarque un radar particulier qui sera capable d'établir la structure interne précise des nuages : l'instrument japonais CPR (Cloud Profiling Radar).

Le CPR travaillera avec un troisième instrument, un LiDAR ultraviolet nommé ATLID qui, grâce à des émissions laser, peut reconstituer la forme 3D d'un nuage. C'est ce capteur qui fut incroyablement complexe à réaliser, mais aussi à tester. Et c'est français ! Un LiDAR du même type (mais aux caractéristiques différentes) a été emporté par la mission de l'ESA Aeolus, qui mesurait les profils des vents à travers l'ensemble de l'atmosphère. Ce travail de recherche appliqué et la réalisation industrielle ont duré pratiquement une décennie et repoussé le calendrier de toute la mission, doublant les coûts finals. Le satellite devait un temps être livré en 2018, puis 2020 !

Un schéma qui explique le rôle des différents instruments embarqués sur le satellite EarthCARE © ESA / ATG Medialab

Un apport scientifique unique

EarthCARE embarque un quatrième capteur réservé aux mesures radiatives, qui sera capable de faire la différence entre le budget radiatif thermique issu du Soleil et celui de la Terre. Notre planète émet de la chaleur grâce à son cœur, mais également grâce à la réflexion des rayons du Soleil à sa surface et sur celle des nuages, de même que grâce aux poussières en suspension dans l'atmosphère. Ces deux derniers points intéressent particulièrement les scientifiques sur cette mission. Le satellite volera sur une orbite polaire basse et pourra effectuer ses mesures sur l'entièreté du globe, avec une période de 25 jours entre deux passages exactement au-dessus du même point. Outre ses instruments, la mission a bénéficié de la contribution de 75 entreprises, majoritairement réparties aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie et au Japon.

EarthCARE n'est pas un très grand satellite, même s'il est le plus complexe des projets « Earth Explorers » de l'ESA. Il mesure environ 3 x 2,5 x 2 mètres une fois replié, mais il pèse tout de même la bagatelle de 2,2 tonnes sur la balance. Construit par Airbus Defence & Space, il est équipé à l'avant du grand réflecteur consacré au radar CPR, et à l'arrière d'une unique aile incluant 5 panneaux solaires de 14,5 mètres de long.

L'orbite de ce satellite à propulsion chimique, qui devra fonctionner pour une mission d'au moins 3 ans (et plus probablement 5), est de fonctionner à une altitude relativement basse de 390 kilomètres. Pour éviter d'avoir à rehausser trop souvent son orbite, il est donc « profilé » pour présenter une surface la plus réduite possible et éviter un maximum de frottements atmosphériques. Le revêtement de ses parois (le fameux MLI, pour Multi-layer Insulation) est également particulier, car les couches externes classiques dorées à l'or ne résistent pas bien aux frottements des molécules d'oxygène.

EarthCARE derrière l'équipe d'intégration en Allemagne, avant le départ du satellite pour la Californie © ESA

EarthCARE a fait l'objet de plus de tests au sol que la majorité des satellites scientifiques, à cause de ses instruments, et surtout de son précieux et inédit LiDAR, qui embarque de nombreux composants optiques. En effet, lors du décollage, le banc optique va vibrer, et comme pour les plus imposants télescopes, il faudra pouvoir régler avec une précision inédite tous les éléments pour que la performance soit optimale.

Après les hésitations, place à l'action

Le décollage d'EarthCARE lui-même est une aventure à part entière. Lors de son développement, il était prévu d'envoyer le satellite en orbite sous la coiffe d'une fusée Soyouz. Or, en 2022, patatras, l'invasion de l'Ukraine par la Russie envoie la coopération avec les Russes au tapis, et aucune fusée Soyouz ne décolle plus de la Guyane. Il est alors question d'envoyer EarthCARE avec une fusée Vega C. Mais celle-ci est aussi interdite de vol depuis décembre 2022 et son cinglant échec avec deux satellites d'observation de la Terre d'Airbus.

Le temps de revenir aux vols ou de choisir Ariane 6, et la mission scientifique la plus précise sur les nuages et les aérosols risquait fort de passer 2024 et 2025 dans un container. Une fois de plus, l'Europe a donc fait appel au partenaire-américain-qui-gêne (SpaceX). Ce dernier, qui n'en est plus à son galop d'essai, a su ménager une place dans son manifeste pour ce qui sera, sauf erreur, leur 55e vol de Falcon 9 cette année.

Vue d'artiste de la mise en orbite du satellite EarthCARE avec Falcon 9 © ESA / ATG Medialab

Après son lancement, prévu à 00 h 20 le 29 mai (heure de Paris) dans le brouillard (traditionnel et probable) du site californien de Vandenberg, EarthCARE prendra rapidement contact avec les stations de Kiruna (Suède) et d'Induvik (Canada) pour atteindre sa position finale et démarrer ses tests en orbite. Ceux-ci vont probablement durer plusieurs mois avant le début de la campagne scientifique, dont les résultats seront partagés entre l'Europe et le Japon.

Source : Airbus

Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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