L'Autorité de la concurrence vient de publier une étude sur l'impact environnemental de l'intelligence artificielle. Elle prévient que la consommation électrique des centres de données pourrait doubler d'ici 2030, et que le secteur entre en zone de turbulences.

L'explosion de l'intelligence artificielle chez les particuliers et les professionnels n'est pas sans conséquence environnementale. Sa consommation énergétique est colossale, et elle sera plus importante que prévue à l'avenir. Dans une étude publiée ce mercredi 17 décembre, l'Autorité de la concurrence se penche pour la première fois sur les enjeux concurrentiels liés à l'empreinte énergétique de l'IA. Le régulateur identifie l'accès inégal à l'énergie, l'émergence de la frugalité comme paramètre de concurrence, et l'urgence d'une standardisation des mesures environnementales, comme les trois principaux risques.
La consommation électrique de l'IA va exploser d'ici 2030
Les datacenters avalent déjà 1,5 % de l'électricité mondiale. Ce chiffre peut sembler anecdotique, sauf qu'il masque une tendance très importante. L'Autorité de la concurrence table sur un doublement minimum de cette part, d'ici 2030, avec un pic à 945 térawattheures sous l'effet de l'intelligence artificielle. Pour donner un ordre d'idée, c'est comme si on ajoutait la consommation annuelle de plusieurs pays européens.
La France n'échappe évidemment pas à la déferlante. Au début des années 2020, les centres de données français consommaient 10 TWh d'électricité. D'ici 2035, cette consommation pourrait atteindre entre 19 et 28 TWh, soit près de 4 % de l'électricité du pays. Pour anticiper cette explosion des besoins, les géants américains du secteur signent déjà des contrats d'approvisionnement en énergies renouvelables et nucléaire.
Tout ne s'arrête pas à la facture électrique. L'IA pèse aussi sur d'autres ressources critiques comme l'eau, les métaux rares, et le foncier. L'ARCEP, le régulateur des télécoms, a comptabilisé 0,6 million de mètres cubes d'eau potable prélevés par les centres de données français en 2023, avec une croissance qui file à 19 % par an. Ajoutez 5,2 millions de mètres cubes supplémentaires pour la production d'électricité qui alimente ces infrastructures.
L'accès à l'énergie devient un avantage concurrentiel pour l'intelligence artificielle
Le problème concurrentiel est là, l'électricité représente 30 à 50 % des coûts de fonctionnement d'un centre de données. Celui qui obtient de l'énergie moins chère gagne donc un avantage économique énorme sur ses concurrents. L'Autorité craint que les géants du secteur ne monopolisent les meilleurs contrats d'approvisionnement, empêchant les nouveaux acteurs d'entrer sur le marché.
Le timing complique les choses. En décembre 2025, la France abandonne son ancien système d'accès régulé à l'électricité nucléaire. Le nouveau dispositif repose sur deux mécanismes, qui consistent en une redistribution générale des bénéfices d'EDF à tous les consommateurs, et surtout, des contrats de long terme pour acheter directement de l'électricité nucléaire. Plusieurs opérateurs de centres de données ont déjà réservé leur part auprès d'EDF.
L'Autorité veille au grain, mais elle craint deux scénarios : que les géants de la tech utilisent leur puissance financière pour rafler tous les contrats d'électricité avantageux, et qu'EDF favorise certains clients au détriment d'autres dans l'attribution de ces contrats nucléaires. De son point de vue, il faut que la concurrence repose sur la qualité des services, pas sur qui a les meilleures connexions énergétiques.

La frugalité de l'IA pourrait changer la donne concurrentielle
Contre-intuitivement, cette crise environnementale pourrait redistribuer les cartes. L'étude met en lumière l'émergence de la « frugalité » comme nouveau paramètre de concurrence. Concrètement, il s'agit d'optimiser la consommation de ressources pour minimiser l'impact écologique. Et cette approche pourrait offrir une fenêtre aux acteurs de taille modeste pour rivaliser avec les mastodontes.
Les signaux se multiplient en tout cas des deux côtés du marché. Les clients, publics comme privés, manifestent un intérêt croissant pour des outils plus économes. En face, plusieurs acteurs développent des modèles de plus petite taille ou affichent leur empreinte environnementale. La frugalité peut peser sur le prix en optimisant les coûts, sur la qualité en proposant des solutions plus légères adaptables à des infrastructures existantes, et sur l'innovation en orientant la recherche vers cette direction.
Attention toutefois aux fausses promesses. L'Autorité liste plusieurs comportements problématiques. Elle évoque notamment les communications trompeuses sur la frugalité (notamment avec des méthodologies bancales), le silence radio malgré une demande d'information claire, ou encore le freinage de l'innovation dans ce domaine. Ces pratiques, qu'elles résultent d'une coordination entre concurrents ou d'une stratégie d'acteur dominant, pourraient étouffer ce levier concurrentiel naissant avant même qu'il ne produise ses effets.
La bataille de la mesure et de la transparence
Pour que les clients puissent choisir les IA les plus écologiques, encore faut-il pouvoir les comparer. Le problème, c'est que les entreprises communiquent peu sur leur impact environnemental, chacune utilise sa propre méthode de calcul, et les rares chiffres disponibles sont incomparables entre eux. L'Autorité de la concurrence réclame donc des règles communes de mesure pour mettre fin à cette opacité.
Des initiatives émergent pour y remédier. Les régulateurs français (ARCEP, ARCOM, AFNOR) ont créé des guides pour aider les entreprises à concevoir des IA plus sobres. En parallèle, une dizaine d'outils de mesure voient le jour, certains calculent l'empreinte carbone des modèles d'IA, d'autres analysent leur impact sur tout leur cycle de vie, et d'autres encore aident les développeurs à créer des algorithmes moins gourmands.
Certains proposent même de créer une note environnementale, comme le Nutri-Score pour l'alimentation, en permettant de classer les IA de la plus à la moins polluante. Mais attention aux dérives, prévient l'Autorité, qui appelle à se méfier des méthodes de calcul peu fiables, des standards élaborés entre grands acteurs pour verrouiller le marché, ou des critères tellement stricts qu'ils éliminent d'emblée les petits concurrents.