Une équipe de bio-ingénieurs de Georgia Tech vient de mettre au point une lentille souple, photo-réactive et totalement dépourvue de composants électroniques. Inspirée du fonctionnement des yeux humains, elle est très représentative de l'orientation actuelle de la robotique, qui érige le biomimétisme comme l'un des meilleurs cadres d'innovation.

Boston Dynamics nous impressionne depuis plus de 10 ans avec ses robots aux performances athlétiques ahurissantes, comme le bipède Atlas ou le petit quadrupède Spot. D'autres acteurs, plus récents, comme Figure et son robot humanoïde intelligent Figure 03 jouent sur un autre terrain : celui de la cognition et de l'habileté. Ils sont actuellement les robots les plus représentatifs des progrès du secteur, mais leur force ne vaut rien sans leurs caméras embarquées, qui leur permettent d'interagir avec leur environnement.
Ces machines sont donc complètement dépendantes de leurs systèmes optiques, très avancés d'un point de vue électronique, mais encore loin d'atteindre l'efficacité d'un organe biologique. D'où l'intérêt de cette lentille bio-inspirée, nommée PHySL (pour Photoresponsive Hydrogel Soft Lens), un dispositif qui réagit à la lumière comme le ferait un tissu vivant.
Conçue par Corey Zheng, doctorant en ingénierie biomédicale et auteur principal de l’étude détaillant son fonctionnement, elle n'a besoin d'aucun moteur ou batterie pour fonctionner. « Le regard humain est vraiment impressionnant à bien des égards », explique le chercheur. « L’œil est compact, il peut modifier sa mise au point pour observer des objets proches ou lointains, et il régule la lumière grâce à la pupille. Et, par-dessus tout, sa résolution est remarquable ».
Les qualités énumérées par Zheng sont exactement celles que les systèmes optiques électroniques ne peuvent encore imiter, notamment l’ajustement de la ocale obtenu par simple réaction à la lumière. L'équipe de Georgia Tech a publié son étude décrivant PHySL dans la revue Science Robotics, le 22 octobre 2025.
Comment fonctionne PHySL ?
Cette lentille est finalement assez proche, dans sa conception, des lentilles de contact, puisque sa structure est principalement composée d'un hydrogel photo-réactif composé d'un polymère hydrophile. À la différence qu'en son cœur, les ingénieurs y ont incorporé du graphène, un matériau exceptionnellement efficace pour convertir la lumière en chaleur. C'est cette chaleur qui provoque un changement de forme (compression ou expansion) de l’hydrogel, comme le ferait un muscle artificiel photo-activé.
Voici comment PHySL fonctionne sans électricité, grâce à la seule conversion lumière-chaleur. Ainsi, sa focale peut être contrôlée avec grande précision car elle réagit directement aux variations de lumière : plusieurs points d’illumination peuvent agir simultanément, chacun modifiant légèrement la courbure du matériau ; une souplesse impossible à atteindre avec de l'électronique conventionnelle.
Les chercheurs ont pu agir sur la lentille de plusieurs façons en variant l'intensité et le rythme de l’éclairage qu'ils braquaient à sa surface. Un faisceau continu modifiait sa courbure générale, ou au contraire, un motif pulsé mettait en mouvement la lentille en lui imposant des cycles rapides de chauffe et de refroidissement. Un éclairage localisé entraînait des déformations très ciblées capables de provoquer un déplacement latéral du champ de vision ou d’induirecertaines aberrations optiques.
Lors des essais, les chercheurs ont d’abord utilisé la lentille pour imager des échantillons biologiques extrêmement petits, comme des cellules individuelles visibles sous un microscope, avant de l’orienter vers des objets placés beaucoup plus loin dans l’espace, avant de l’utiliser pour capturer la vue d’une pièce entière. Dans les trois cas, la résolution obtenue est restée du même ordre de grandeur que celle de l’œil humain.

PHySL : l'œil des robots de demain ?
Si l'on imagine, plus tard, un robot équipé de lentilles PHySL, il pourrait très bien examiner une suture chirurgicale à quelques millimètres, repérer une fissure naissante sur un matériau, identifier la position d’un objet posé dans une pièce ou éviter un obstacle par simple changement de focale. Ce qu'aucun robot actuel n'est encore capable d'accomplir sans électronique.
Robots médicaux d'assistance chirurgicale, robots d'inspection industrielle ou de maintenance, robots d'exploration souples (« soft robotics ») : tous pourraient exploiter la puissance de cette lentille pour bénéficier d'une vision adaptative.
Elle n'en est pour l'instant qu'au stade de prototype, et comme c'est souvent le cas lorsqu'il est question de ce type d'innovation, rien ne garantit qu'elle trouvera un débouché commercial. PHySL devra faire ses preuves en conditions réelles et sa fabrication en série, si elle démarre un jour, exigera de standardiser la qualité de l’hydrogel et des inclusions de graphène. Les chercheurs devront aussi démontrer que son efficacité photo-thermique se maintient sur des milliers de cycles avant de convaincre la moindre entreprise d'investir dans leur technologie.
Il n'empêche qu'elle reste certainement l'une des inventions les plus créatives et intéressantes de ces dernières années en robotique biomimétique. Premièrement parce qu'elle remet en question des décennies de R&D en optique, qui n'étaient concentrées que sur des lentilles rigides et sur la miniaturisation des composants. Ensuite, parce qu’elle démontre que le principe de vision en robotique n'est plus forcément dépendant de l'électronique : une voie dans laquelle s'engouffreront peut-être d'autres acteurs.
Sources : Futurity, Georgia Tech