Yann LeCun, figure mythique de l'intelligence artificielle et scientifique en chef de Meta, s'apprête à quitter l'entreprise de Mark Zuckerberg. Il se fixe l'objectif de lancer sa propre start-up pour révolutionner l'IA à sa manière.

À 65 ans, on pourrait croire qu'il serait temps de lever le pied, mais c'est mal connaître Yann LeCun. Prix Turing et cerveau de l'IA chez Meta depuis 2013. Le chercheur franco-américain a informé ses collègues de son départ imminent. Il prépare sa sortie pour créer sa start-up, en misant sur une nouvelle approche de l'IA qui dépasse les limites des modèles de langage actuels. Une nouvelle qui mérite bien quelques explications, pour comprendre la philosophie de l'une des sommités de l'intelligence artificielle.
Meta restructure son IA et Yann LeCun prépare sa sortie
L'information, révélée mardi par le Financial Times, est une vraie déflagration dans le monde de l'intelligence artificielle. Yann LeCun aurait en effet confié à ses collègues qu'il quittera Meta dans les prochains mois. Le scientifique, qui a développé les réseaux de neurones convolutifs à la fin des années 1980, serait déjà en discussions pour lever des fonds et lancer une aventure autour des fameux « world models », ces IA capables de simuler le monde physique qui nous entoure.
Pour saisir comme il se doit la démarche de Yann LeCun, il faut comprendre le contexte. Meta traverse un vrai bouleversement organisationnel. La société a injecté 14,3 milliards de dollars dans Scale AI, une start-up spécialisée dans l'étiquetage de données, et recruté son jeune patron de 28 ans, Alexandr Wang, pour piloter une nouvelle division baptisée « Meta Superintelligence Labs ».
Résultat, Yann LeCun, qui dirigeait le laboratoire FAIR (Fundamental AI Research) depuis son arrivée en 2013, se retrouve relégué au second plan. Lui qui reportait au directeur produit Chris Cox doit désormais rendre des comptes à Wang. Un sacré camouflet pour celui qui a remporté le prestigieux prix Turing en 2019 aux côtés de Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio.

Les « world models » contre les ChatGPT & co, le pari de Yann LeCun
Yann LeCun ne cache pas son scepticisme envers les grands modèles de langage et l'intelligence artificielle générative. Lors d'une conférence à Harvard en septembre, il a d'ailleurs été plus cash sur le sujet. « Nous n'atteindrons jamais une IA de niveau humain en nous contentant d'entraîner des systèmes sur du texte », a-t-il déclaré. Le technicien reste focalisé sur ces intelligences capables de comprendre le monde physique, les world models, pas seulement de manipuler des mots.
Les world models, pour que chacun puisse comprendre, peuvent être définis comme des systèmes d'intelligence artificielle qui apprennent à l'aide de vidéos et de données spatiales pour saisir les concepts physiques comme la gravité ou les relations de cause à effet. Autrement dit, plutôt que d'ingurgiter du texte comme ChatGPT, ces IA apprennent en « regardant » des vidéos et en analysent l'espace en trois dimensions. Bref, elles comprennent comment le monde réel fonctionne.
Et la course est déjà lancée, puisque Fei-Fei Li a récolté 230 millions de dollars pour sa jeune entreprise World Labs, qui travaille aussi sur l'intelligence spatiale. Passée par Princeton et désormais à la tête de l'Institut d'IA centrée sur l'humain de l'Université de Stanford, elle développe une technologie capable de transformer les images 2D en mondes 3D interactifs.
Mais toutes les technologies dont nous parlons prendront environ une décennie à mûrir, selon Yann LeCun lui-même. Un horizon incompatible avec les ambitions express de Mark Zuckerberg, qui affirme que l'IA réalisera bientôt l'essentiel du codage de Meta. Deux visions, deux tempos. Ni Meta ni le chercheur français n'ont pour l'instant souhaité commenter ce départ presque annoncé.