L'arrivée de l'IA dans le domaine de la musique suscite déjà un débat sans fin sur la notion de créations artistiques, mais cette fois, les choses vont plus loin. Trop loin pour les artistes.

Plusieurs enquêtes révèlent l’apparition massive d’albums artificiels publiés en ligne, au détriment des artistes légitimes. Les auditeurs n'y voient que du feu. Et les artistes, eux, voient leurs revenus baisser.
Quand l'IA usurpe l'identité des artistes
Depuis quelque temps déjà, les plateformes de streaming doivent composer avec les morceaux générés par IA. Deezer, par exemple, expliquait récemment recevoir quotidiennement 20 000 titres entièrement composés par des algorithmes. Mais le phénomène prend une toute autre dimension.
Des plateformes de streaming comme Spotify ou Apple Music se retrouvent confrontées à un phénomène nouveau : des catalogues entiers de titres imitant le style d’artistes connus, mais créés entièrement par intelligence artificielle. Ces morceaux sont publiés sous de faux profils, associés à des pseudonymes proches de ceux de musiciens existants. Résultat : certains utilisateurs écoutent ces titres sans percevoir qu’ils n’ont aucun lien avec les artistes qu’ils croient soutenir. La BBC rapporte notamment l'exemple d’Emily Portman, une artiste britannique de folk.
Emily Portman a découvert qu’un album portant son nom avait été publié sur Spotify, sans qu’elle en ait eu connaissance, ni autorisé sa diffusion. Derrière ce disque : aucune session d’enregistrement traditionnelle, mais une compilation de morceaux conçus par un système d’intelligence artificielle. Le procédé consiste à générer automatiquement des titres qui imitent un style musical précis, puis à diffuser ces créations en les rattachant, à tort, à l’identité d’un artiste existant.
Pour le public, la confusion est immédiate : l’album apparaît dans le catalogue officiel d’Emily Portman, aux côtés des véritables compositions. Le risque est que des auditeurs cliquent par inadvertance sur ces morceaux artificiels, alimentant ainsi les revenus d’un faux producteur. Il s'agit donc ni plus ni moins que d'un détournement technique des plateformes, lesquelles valident la mise en ligne à partir de métadonnées déclarées (nom, titre, durée). Et comme les fichiers sonores générés par IA respectent les standards audio habituels, rien ne permet au système de les écarter automatiquement.
Des plateformes de streaming obsolètes face à l'IA
On le sait, sur les plateformes de streaming, chaque lecture génère une fraction de redevance. Or dans le cas d’Emily Portman, quand des albums entiers sont publiés frauduleusement, ils captent des revenus destinés à l'artiste. Dans le modèle « pro-rata » adopté par la majorité des services, le total des écoutes est divisé entre tous les ayants droit. Ainsi, plus un catalogue impose artificiellement ses morceaux, plus il s’assure une part de la redistribution globale.
Si les services de streaming disposent d’outils conçus pour identifier les doublons ou les copies flagrantes de morceaux existants, un titre généré par IA échappe à ces filtres. Ce dernier ne reprend pas un morceau précis, il imite un style, au plus près et avec une voix similaire. C’est cette "zone grise" qui permet à des producteurs anonymes d’exploiter les failles à grande échelle.
Pour cette raison, les majors et certains collectifs d’artistes veulent voir les choses évoluer. D'un côté, puisqu'une imitation un peu trop poussée porte atteinte au droit d'auteur, elle devrait, selon eux, pouvoir être traitée juridiquement même si le morceau généré n'est pas un pur plagiat. Ils demandent aussi des systèmes de marquage numérique ou de certification des fichiers, afin d’assurer l’authenticité d’une œuvre avant sa mise en ligne.
Reste à savoir quelle plateforme de streaming sera la première à véritablement s'armer contre ce phénomène.