Stéphane DOTTELONDE : LiberaFilms, vidéo à la demande

05 avril 2001 à 00h00
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Stéphane Dottelonde, PDG et co-fondateur de LiberaFilms, nous présente son offre de diffusion de films à la demande pour l'Internet à haut débit

PU : M. Stéphane Dottelonde, Bonjour. Pouvez vous me présenter votre parcours et votre société Liberafilms ?

SD : A 41 ans, j'ai passé plusieurs années au Ministère des Finances, avant de rejoindre en 1991 la direction générale du Groupe Havas comme responsable des investissements. J'en suis parti pour faire de la production indépendante de longs métrages.

LiberaFilms a été créé en février 2000 par Eric Névé et moi même, tous deux producteurs de longs métrages. Autrement dit, nous ne venons pas de la technique mais des programmes.

En ligne depuis le 17 juillet dernier, LiberaFilms.com est le premier site européen diffusant des longs et des courts métrages sur Internet. L'idée de départ est partie du constat qu'il existe pleins de films de très grande qualité et qui ont beaucoup de mal à exister sur le marché international et dans les modes de distribution traditionnels, marché qui se concentre sur les films les plus commerciaux, pour la majorité américains. Car aujourd'hui cela coûte trop cher de faire une sortie salle pour un film dont l'espoir de recette est trop faible. Les films qui passent à coté d'une exploitation en salle, ne seront donc pas exportés à l'étranger, ne sortiront jamais en vidéo ou en DVD et ne seront jamais exploités à la télévision. En France aujourd'hui, il est difficile de voir un film italien, espagnol ou allemand alors que la cinématographie italienne est en plein renouveau, la cinématographie espagnole est très active depuis plusieurs années, pareil pour la production anglaise. L'objectif de Liberafilms est de permettre à ces films de connaître une diffusion en dehors de leur pays de production.

Deux versions du site sont proposées aujourd'hui (français et anglais) et illustrent la vocation internationale de LiberaFilms. A terme les oeuvres seront disponibles en 10 langues.

PU : Quelle est la politique éditoriale de diffusion ?

SD : Les films proposés répondent à des exigences d'originalité, de découverte et de qualité avec pour objectif de décloisonner les marchés nationaux du cinéma. Cela peut être des films de genre comme le « Goût des Autres », des films liés à des grands succès dans leur pays d'origine mais qu'on ne peut pas voir ailleurs. Parmi eux, figurent les films de Robert Guédiguian, Youssef Chahine, Jan Kounen, Sylvie Vehreyde, Emilie Deleuze, Jacques Bral, Philippe Faucon, Djamel Bensalah, Mathieu Amalric, Howard Hawks, David W. Griffith, Raoul Walsh, Cecil B De Mille, Anthony Mann.

PU : Quel est la cible visée ?

SD : Ce que l'on sait c'est que l'on s'adresse à des mordus, à des vrais passionnés. Pour moitié, ce sont des français, les autres 50% répartis entre le Moyen-Orient, l'Allemagne, Les Etats-Unis, les pays francophones (Belgique, Suisse, Canada). En fait, on touche près de 60 pays. L'offre de LiberaFilms est conçue pour l'internet à haut débit, un marché en très forte expansion à moyen terme.

PU : Quelle est votre offre actuellement et combien de films comptez vous proposer à terme ?

SD : Aujourd'hui une quarantaine de longs métrages et une cinquantaine de courts métrages, ainsi qu'environ 50 autres programmes courts (bandes annonces, portraits de cinéastes, etc.) sont en ligne. LiberaFilms détient un catalogue réunissant 80 longs métrages et 150 courts métrages qui seront mis en ligne progressivement au cours des prochaines semaines Nous essayons de renouveler assez régulièrement la programmation en sortant 5 courts et 5 longs métrages par semaine. D'ici 6 mois, LiberaFilms prévoit de proposer 300 longs métrages et 300 courts métrages mais c'est une hypothèse minimale.

PU : Avez-vous signé des accords de diffusion et sous quelle forme ?

SD : LiberaFilms a signé des accords de diffusion importants avec Agat Films, Pyramide, KFilms, l'Institut National de l'Audiovisuel (INA), Lobster Films, l'Agence du court métrage, le Groupe de recherches et d'essais cinématographiques. De nombreux autres accords sont en cours de discussion, concernant la diffusion de plusieurs centaines de titres.

En règle générale, il s'agit d'un contrat pour une période de 18 ou 24 mois pour une diffusion exclusivement Internet et sans limitation territoriale. Il peut s'agir d'une diffusion exclusive sur Internet auquel cas, on verse un minimum garanti (une avance sur les recettes) et les reversements sur les recettes ultérieures (paiement à la séance, abonnement) sont comprises entre 10 et 25% selon les cas. Si l'accord est non exclusif, c'est ce qu'on appelle la « distribution simple » avec une répartition des recettes 50-50.

PU : Quel est votre business Model ?

SD : Nous travaillons à 90% en B2B et 10% en B2C. LiberaFilms cible prioritairement les fournisseurs d'accès Internet haut débit (Câble, xDSL, satellite) et les sites ou les logiciels de diffusion vidéo sur le web, accessibles gratuitement ou par abonnement. Il peut s'agir d'abonnement conjoint avec des fournisseurs d'accès haut débit avec accès à tout le catalogue (avec reversement d'un montant par mois et par abonné), soit d'un montant forfaitaire par mois et par films pour les des droits de diffusion de certains de nos films sur leurs sites.
De nombreux accords ont déjà été signés (entre autre avec Mangoosta ou UPC) ou sont en cours (comme avec Carte Noire) mais pour la plupart, il est un peu tôt pour communiquer dessus.

La location de films proposée directement aux particuliers, est quant à elle, destinée à rester marginale dans les mois à venir.
Par contre, dès le début, nous avons pris le parti de ne pas miser sur la publicité, et heureusement ce qui nous évite d'être aujourd'hui dans la situation de nouvo.com.

PU : Quel est votre financement ?

SD : Nous avons fait un premier tour de table avec des Business Angels : surtout des ingénieurs français qui ont fait fortune aux Etats-Unis, et qui « mettent la main à la patte » comme M. Benchimol de Imediation ou M.Perez, conseiller auprès de grands patrons du secteur, M. Michali, ancien de Microsoft et nous-mêmes. Mais surtout en tant que pionnier, nous avons bénéficié d'énormément de partenariats : matériels, logiciels, plate-forme technique, diffusion, bande passante. Si l'on valorise l'investissement, cela est compris entre 50 et 80 millions de francs.

Nous avons par exemple un partenariat avantageux avec Akamaï, le leader mondial de la diffusion à haute vitesse des données et du streaming audio et vidéo sur Internet.

PU : Est ce que vous espérez lever des fonds ?

SD : Oui pour une somme qui peut varier: si c'est avec un détenteur de droits, un détenteur de catalogues de films avec lequel nous aurions un accord de commercialisation, il s'agit de 30 millions de francs, si c'est un pur financement, 60 millions de francs.

PU : Quelles sont vos prévisions en terme de CA ? A quand la rentabilité ?

SD : Au terme de l'année 2001, nous tablons sur 3 millions de francs de CA et nous visons la rentabilité pour la fin de l'exercice 2002.

PU : Quelle est votre offre grand public sur le site LiberaFilms ?

SD : Pour un abonnement mensuel de 5 euros par mois, soit environ 32 francs, les internautes peuvent visionner l'ensemble des films que propose LiberaFilms, de même que les courts métrages, les bandes annonces etc. Seule obligation, l'utilisateur devra souscrire un abonnement d'une durée minimum de six mois. Les abonnés reçoivent un nom d'utilisateur et un mot de passe, à l'aide desquels ils peuvent visionner les films en streaming ou en téléchargement. Les films sont disponibles en visionnage illimité pendant 48 heures.

PU : Pourquoi offrir à la fois le streaming et le téléchargement ?

SD : Le streaming c'est une diffusion immédiate, donc réellement de la vidéo à la demande. C'est une commodité que l'on offre. Et à ma connaissance il n' a y a que Alwaysi.com et cinemapop.com aux Etats-Unis qui offrent du streaming sur les longs métrages dans le monde. C'est quelque chose de très compliqué à faire techniquement.
Pour le téléchargement, c'est beaucoup plus long car il faut compter 1 mn pour une minute de film bien que cela soit assez variable. Mais l'avantage, c'est que l'image est de meilleure qualité. De toutes façons, il y a encore beaucoup de progrès à faire sur la qualité mais le rythme d'amélioration est incroyablement rapide.

PU : Comment procédez vous pour la sécurité des paiements et la confidentialité des données ?

SD : Nous respectons la directive européenne sur le commerce en ligne, le droit de rétractation, le droit de rectification des données personnelles. Nous avons fait la déclaration à la CNIL.
Afin de garantir aux utilisateurs une sécurité maximale, LiberaFilms a fait appel au système sécurisé de paiement par carte bancaire du Crédit Mutuel. Le système utilise le protocole SSL qui permet le cryptage des numéros des cartes bancaires et des dates d'expiration. Les données confidentielles ne transitent pas par le serveur du site mais sont directement transmises à un organisme certificateur qui délivre un justificatif de la transaction effectuée.

PU : Avec seulement 150 000 abonnés privés au haut débit en France, n'arrivez-vous pas trop tôt ?

SD : Déjà sur les chiffres, on serait plus proche des 200.000 ; de plus on compte en personnes et non en foyers et seulement les abonnement résidentiels. Certains parlent de 3 millions d'utilisateurs. C'est un marché qui est aujourd'hui très restreint mais amené à croître très rapidement. Forrester Research prévoit 29 millions d'abonnés à Internet haut débit en Europe pour 2005. Tout le problème est de partir assez tôt mais pas trop tôt, d'accompagner cette évolution. Entre le moment où on a décidé de le faire et aujourd'hui, il s'est écoulé 2 ans.

Depuis 2 mois, les FAI savent plus précisément comment ils vont procéder pour leur offre haut débit, cela va être mis progressivement en place pour mai-juin voire septembre. Nous sommes prêts pour cette échéance là.

PU : Après l'affaire Napster concernant la musique, comment appréhendez-vous le problème du piratage qui touche aussi la vidéo ?

SD : La justice a clarifié les choses : ce qui s'est passé pour Napster nous est utile parce que l'enjeu c'est la qualification de ce que fait Napster comme piratage et à ce titre condamnable. Napster a essuyé les plâtres mais c'est une avancée de jurisprudence qui s'appliquera au cinéma.

De notre coté nous faisons le maximum et en 10 mois nous n'avons aucun problème. Nous utilisons le système de sécurité de Windows : Digital Right Manager (DRM). Et nous ne faisons que des locations d'une durée de 48h, ce qui est une sécurité supplémentaire.

PU : Jack Valenti, directeur de MPAA, association des grandes majors d'Hollywood, a annoncé qu'au moins trois studios (Sony Pictures Entertainment, studios Disney..) proposeront ce service de vidéo à la demande (ou "pay-per-view") d'ici quatre à six mois ? des futurs concurrents ?

SD : Non. Pas directement car nous n'avons pas pour vocation de distribuer de gros films américains que l'on peut voir sur d'autres modes de distribution.

Par ailleurs, la plupart des studios américains ont déjà vendu l'exploitation de leurs films à venir. S'ils respectent les accords de pré-diffusion exclusifs, qu'ils ont déjà signés un peu partout dans le monde avec des chaînes de télévision, il me semble très peu probable qu'ils puisent diffuser des films très récents.

PU : Pensez-vous être concurrents de la distribution traditionnelle ?

SD : Non, parce que notre concept est de montrer des films que l'on ne peut pas voir en distribution classique (cinéma, vidéo, télévision). Nous avons une orientation de programmation alternative ou contre-programmation.

De toutes façons, nous avons pu voir dans le passé qu'aucun mode de distribution nouveau n'a fait mourir les modes de distribution qui existaient antérieurement. Ils viennent s'ajouter.

PU : Et de Vivendi-Universal via sa filiale Allocine par exemple ?

SD : Oui, mais comme il y a plusieurs chaînes de télévision, il y aura plusieurs diffuseurs. Ils ont les moyens et les atouts pour le faire, le tout est de le faire. Nous, c'est du concret.

PU : Comment voyez vous le marché de la vidéo à la demande ?

SD : Un marche assez large, mais un marché de niches, c'est à dire un marché très important en montant global mais sur des programmes qui apportent quelque chose de nouveau par rapport aux modes existants de distribution. Je ne le vois pas concurrent direct pour la distribution en salle, ni pour la télévision, peut être un peu plus pour la vidéo. Le système tel qu'il est organisé aujourd'hui est destiné à produire le maximum de recettes dans l'exploitation d'un film (la salle, la vidéo puis la télévision). Si Internet permet d'accroître les recettes sur le cinéma mondial, peut-être qu'il remontera dans la filière. Mais qu'Internet permette d'envisager des recettes au moins aussi importantes que la distribution en salle mettra beaucoup de temps, plus de 5 ans au moins.

PU : Quels seront vos développements futurs ?

SD : Diffuser des films de plus en plus attractifs à une échelle de plus en plus internationale avec des moyens plus importants de commercialisation de nos contenus en dehors de la France.
Aujourd'hui, nous sommes en mesure de nous intéresser au marché anglais, allemand et scandinave.

M. Stéphane Dottelonde, je vous remercie.

Propos recueillis par Pascale ULMO
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