La plateforme Doctolib vient d'écoper d'une amende de 4,6 millions d'euros, pour abus de position domaine. L'Autorité de la concurrence, qui a officialisé la sanction jeudi, lui reproche ses pratiques anticoncurrentielles.

Doctolib a dépassé les bornes, l'Autorité de la concurrence vient de très lourdement sanctionner l'entreprise. © Alexandre Boero / Clubic
Doctolib a dépassé les bornes, l'Autorité de la concurrence vient de très lourdement sanctionner l'entreprise. © Alexandre Boero / Clubic

Vraie référence et leader incontesté de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, Doctolib vient de prendre un coup derrière la tête. Après une plainte déposée par Cegedim Santé, l'Autorité de la concurrence a enquêté puis a fini par sanctionner la plateforme, ce jeudi 6 novembre 2025, d'une lourde amende de 4,665 millions d'euros. L'institution reproche notamment à Doctolib son acquisition prédatrice de MonDocteur, mais aussi ses pratiques d'exclusivité et de ventes liées. Une mauvaise nouvelle pour l'entreprise, qui venait tout juste de passer dans le vert.

Doctolib imposait l'exclusivité malgré les alertes de ses juristes

Selon l'Autorité de la concurrence, Doctolib a transformé ses contrats d'abonnement en véritables camisoles, maintenues jusqu'en septembre 2023. Les professionnels de santé se retrouvaient pieds et poings liés avec des clauses d'exclusivité leur interdisant d'explorer d'autres plateformes. Une clause dite « anti-allotement » venait enfoncer le clou, car la moindre incartade pouvait entraîner une résiliation immédiate. Cette mécanique bien huilée répondait à un plan assumé, celui d'« être une interface obligatoire et stratégique entre le médecin et son patient afin de les verrouiller tous les deux ».

Les juristes internes de Doctolib ont pourtant multiplié les alertes et martelé que ces pratiques violaient frontalement le droit de la concurrence. La direction juridique a même insisté « vraiment fortement pour la supprimer », soulignant qu'une telle clause « est illégale au regard du droit de la concurrence ». Mais le président de Doctolib a décidé de la maintenir, arguant « qu'il faut stratégiquement la garder ». Le calcul s'est avéré payant, car avec des parts de marché oscillant entre 50% et 90% depuis 2017, Doctolib a bel et bien réussi son pari de « ne laisser aucun cabinet à la concurrence ».

Cette hégémonie s'accompagnait d'une autre pratique tout aussi contestable : la vente liée. Pour accéder à Doctolib Téléconsultation, lancé en 2019, les professionnels de santé devaient obligatoirement souscrire d'abord à Doctolib Patient, le service de prise de rendez-vous. Il était impossible d'avoir l'un sans l'autre. Cette stratégie commerciale a produit un double effet, à savoir augmenter artificiellement le nombre de clients captifs sur Doctolib Patient, tout en privant les concurrents de nouveaux abonnés. Plusieurs acteurs comme Solocal ou Qare ont dû jeter l'éponge et abandonner le développement de leurs propres services de téléconsultation ou de prise de rendez-vous.

Doctolib aurait bien racheté MonDocteur pour éliminer son principal rival

En juillet 2018, Doctolib a rachète MonDocteur, alors qualifié dans ses documents internes de « concurrent #1 ». L'opération, trop modeste pour atteindre les seuils déclenchant un contrôle des autorités de concurrence, est passée sous les radars. Sauf que les perquisitions menées en 2021 ont révélé la vraie nature de cette acquisition. L'objectif n'était pas de récupérer les technologies ou l'expertise de MonDocteur, mais simplement de « killer le produit ». Un document interne le dit sans détour : « la création de valeur n'est pas l'ajout de l'actif MonDocteur mais sa disparition en tant que concurrent ». Doctolib ne voulait donc pas renforcer son offre, mais éliminer un rival gênant, du point de vue de l'autorité.

Les bénéfices de l'absorption ont été immédiats. 10 000 praticiens supplémentaires ont rejoint l'écosystème Doctolib du jour au lendemain. Doctolib voit dans cette opération un autre avantage de taille. Sans concurrent sérieux, plus besoin de se battre sur les prix. Plusieurs documents internes révèlent que l'entreprise comptait profiter de cette situation pour « réduire la pression sur les prix » et augmenter ses tarifs de 10 à 20 %. Mission accompli, puisque Doctolib a procédé à plusieurs hausses tarifaires successives, allant même au-delà de ses prévisions initiales (jusqu'à 23 % d'augmentation). Et ces hausses n'ont provoqué aucune fuite de clients, preuve que la concurrence était effectivement étouffée.

C'est la première fois que l'Autorité sanctionne une acquisition prédatrice en s'appuyant sur l'arrêt Towercast de mars 2023. L'amende atteint 4,615 millions d'euros pour l'exclusivité et les ventes liées, et 50 000 euros symboliques pour le rachat de MonDocteur (en raison du flou juridique d'avant 2023). Doctolib devra également publier cette décision dans Le Quotidien du Médecin. Un précédent qui pourrait redéfinir les règles du jeu pour les plateformes dominantes de la santé numérique.