Un réseau de désinformation russe de 139 faux médias français vient d'être mis au jour. Ces médias factices utilisent l'intelligence artificielle pour diffuser propagande pro-Kremlin et fake news anti-Ukraine.

Voici comment le Kremlin vous manipule avec de faux sites d'actualité français © Shutterstock
Voici comment le Kremlin vous manipule avec de faux sites d'actualité français © Shutterstock

Le réseau Storm-1516, affilié à Moscou, essaie de perturber la France. L'organisation RecordedFuture a très récemment révélé l'existence de 139 sites web français factices, pilotés depuis Moscou, créés entre février et août 2025. Les plateformes utilisent des outils d'intelligence artificielle générative pour produire un grand nombre de fake news qui n'ont que pour but la déstabilisation des institutions françaises et l'affaiblissement du soutien occidental à l'Ukraine.

Une machinerie de mensonges orchestrée depuis Moscou

L'organisation spécialisée dans l'évaluation de la fiabilité des médias, NewsGuard, attribue à ce réseau un score catastrophique de 7,5 sur 100 en matière de fiabilité. Cette note mesure le respect des critères journalistiques de base comme la transparence des sources, l'exactitude des informations, et la correction des erreurs. Ces 139 sites échouent lamentablement sur tous ces points. Tous imitent l'apparence de vrais médias pour tromper les lecteurs français. TVFrance2.fr ressemble à s'y méprendre à France 2. CourrierFrance24.fr mélange les références à France 24 et Courrier International, deux médias légitimes. Avec à chaque fois l'objectif de créer la confusion et de gagner une crédibilité d'emprunt.

L'homme derrière ce réseau tentaculaire s'appelle John Mark Dougan. Ce personnage trouble était adjoint au shérif en Floride, avant de s'enfuir en Russie en 2016, poursuivi par le FBI pour piratage informatique et extorsion. Aujourd'hui réfugié à Moscou, il est devenu un rouage essentiel de la machine de propagande du Kremlin. Le Centre d'expertise géopolitique moscovite et le GRU (les services de renseignement militaire russes) financent et supervisent ses activités.

La société américaine de cybersécurité Recorded Future a mis au jour cette opération dans un rapport publié en septembre 2025. L'enquête nous apprend que tous ces sites ont vu le jour entre février et août 2025. Cette cadence infernale qui traduit la volonté d'expansion rapide des acteurs malveillants, avant les échéances électorales françaises (élections municipales et présidentielle) et dans un contexte de tension géopolitique exacerbée autour du conflit ukrainien.

Des mensonges industrialisés par l'intelligence artificielle

La mécanique repose sur une utilisation massive de l'IA générative. Les articles ne sont plus rédigés par des humains, mais par des algorithmes non censurés, capables de produire des milliers de textes biaisés en quelques heures. L'automatisation change la donne ici, car là où la désinformation traditionnelle nécessitait du temps et des ressources, l'IA permet désormais de noyer l'espace informationnel sous un déluge de faux contenus crédibles.

Chine Labbé, de NewsGuard, tire la sonnette d'alarme. Dès avril 2025, l'organisation avait identifié cinq faux récits visant la France, pour un total de 55,8 millions de vues entre décembre 2024 et mars 2025. « À ce moment-là, la France semblait épargnée par un élément clé : un réseau coordonné de sites se faisant passer pour des médias locaux », explique-t-elle. Désormais, tous les ingrédients sont réunis pour une manipulation d'ampleur industrielle.

Au sujet des fausses informations diffusées, les sites épinglés affirment que la France aurait vendu 51% d'EDF à un responsable ukrainien corrompu. Ils prétendent qu'un chirurgien détient des « preuves » sur une histoire ubuesque touchant Brigitte Macron. Ils inventent aussi que le gouvernement français aurait émis des mandats d'arrêt contre Marine Le Pen et d'autres figures de l'extrême droite. Autant d'allégations infondées, mais formulées avec suffisamment de détails pour sembler plausibles aux yeux d'un lecteur peu vigilant.

Le Kremlin essaie de manipuler l'opinion française à l'aide de faux médias IA © Catarina Belova / Shutterstock

Une menace durable qui nécessite une vigilance constante

L'ennui, c'est que l'arsenal de manipulation ne cesse de s'enrichir. Au-delà des articles générés par IA, ces faux médias emploient désormais des vidéos deepfake particulièrement convaincantes. Ils usurpent l'identité de journalistes français réels, volant leurs photos et leurs noms pour signer des articles fabriqués. Une technique sophistiquée qui brouille considérablement les pistes et complique le travail des fact-checkers.

L'agence gouvernementale française Viginum, chargée de surveiller les ingérences numériques étrangères, confirme que ce réseau s'inscrit dans l'opération baptisée Storm-1516. Cette vaste campagne a déjà ciblé à plusieurs reprises la France, les États-Unis et l'Allemagne depuis l'année dernière. Son but reste de fragmenter les démocraties occidentales de l'intérieur et d'affaiblir leur capacité à soutenir l'Ukraine face à l'invasion russe.

Interrogé ce mois-ci sur son rôle dans ces 139 sites français, l'intéressé, John Mark Dougan, a répondu avec un cynisme glaçant : « Je n'ai jamais entendu parler de ces sites. Cela dit, je n'ai aucun doute quant à l'exactitude et la qualité des informations qu'ils rapportent. » Une provocation assumée, qui témoigne de l'impunité dont jouissent ces acteurs, protégés par le régime russe et à l'abri des poursuites judiciaires occidentales.