L'offre commune d'Orange, Free et Bouygues déposée mardi pour racheter SFR a été rejetée mercredi matin. Mais cette première tentative ne masque pas la transformation profonde que s'apprête à subir le marché des télécoms en France et Europe.

À trois contre un, le propriétaire de SFR, Altice France, fait sa loi dans ses échanges avec Orange, Free Mobile et Bouygues Telecom. C'est le jeu, comme dirait l'autre ! Après avoir déposé une offre de 17 milliards d'euros pour se partager les actifs de l'opérateur au carré rouge, les trois concurrents ont essuyé le refus quasi immédiat de Patrick Drahi, ce mercredi matin. Mais au-delà de cette partie de poker peut-être partie pour durer, l'opération s'inscrit dans une tendance de fond, qui bouleverse le secteur des télécommunications en France, mais aussi au-delà de nos frontières. Explications.
Avec le rachat futur de SFR, le modèle à quatre opérateurs télécoms s'effondre en Europe, mais pas que
Christian Gacon, vice-président en charge des réseaux haut débit chez Orange France et figure bien connue de l'opérateur, a fait son diagnostic mercredi dans une publication LinkedIn. « Il y eut un consensus sur le fait qu'il était nécessaire d'avoir quatre opérateurs mobiles par pays pour stimuler l'innovation et garantir des prix bas. Il semble que ce consensus soit en train de voler en éclat », constate-t-il.
L'exemple du Royaume-Uni, qui a brisé ce tabou en 2024, est plutôt concret. Le Conseil de la concurrence britannique a autorisé la fusion entre Vodafone UK et 3 UK, respectivement troisième et quatrième opérateurs du marché, pour former VodafoneThree. Cette décision a fait date, en ce qu'elle a renversé des années de doctrine réglementaire favorable à la concurrence à quatre acteurs sur chaque territoire national.
L'effet domino traverse désormais l'Europe et même plus loin encore. Outre-Atlantique, le quatrième opérateur américain Dish Networks a jeté l'éponge cet été. En Espagne, c'est le géant Telefónica qui a reçu fin août le feu vert de ses actionnaires pour déposer une offre sur Vodafone Espagne, actuellement détenu par le fonds Zegona, comme le rappelle Christian Gacon. On peut donc dire que la tentative française des opérateurs sur SFR s'inscrit dans une sorte de recomposition continentale.
La rentabilité des opérateurs télécoms passe mécaniquement par la consolidation
Alors, que dire de cette vague de consolidations dans les télécoms ? Pour Christian Gacon, le marché mobile « est devenu mature dans les pays développés. En effet, le nombre total de clients ne croit plus et [...] le chiffre d'affaires ne croit plus non plus. » Le problème, c'est que les opérateurs doivent toujours investir massivement dans la résilience des réseaux face aux événements climatiques, la cybersécurité et bien entendu l'intelligence artificielle.
Pour grimper du mieux possible ce qu'on peut appeler un mur économique, les opérateurs n'ont plus guère de marge de manœuvre. Les revenus stagnent, tandis que les infrastructures réclament des milliards pour se moderniser. D'où la solution radicale imaginée par le trio Orange-Free-Bouygues, à savoir découper les actifs de SFR selon une répartition précise de 43% pour Bouygues Telecom, 30% pour Free et 27% pour Orange.
On sait, aussi, que cette répartition est réfléchie pour séduire l'autorité de la concurrence, qui ne tolèrerait pas une bascule trop forte du marché, ou quelconque risque de monopole.
La logique économique est, ne l'oublions pas, implacable. « Dans une industrie où les coûts fixes [...] sont prépondérants, passer de 4 à 3 opérateurs améliore mécaniquement la rentabilité », résume Christian Gacon. Les infrastructures télécoms coûtent des milliards, donc moins il y a d'acteurs pour se les partager, meilleure est la rentabilité de chacun.