La Suisse a lancé mardi Apertus, son modèle d'intelligence artificielle souverain. Développé par des établissements d'enseignement supérieur locaux avec le superordinateur Alps, il offre une alternative intrigante aux solutions américaines dominantes, comme ChatGPT.

Les écoles polytechniques fédérales suisses ont donc dévoilé mardi Apertus, au terme de dix-huit mois d'efforts titanesques, qui auront impliqué 150 ingénieurs et professeurs. Le modèle de langage pourrait un peu plus renforcer encore l'indépendance technologique du voisin de la France, qui a misé sur le superordinateur Alps, installé à Lugano, pour porter ce projet de la Swiss AI Initiative. Disponible en open source sous licence Apache 2.0, Apertus ambitionne d'incarner une alternative aux solutions d'OpenAI, Amazon et Google.
1 000 langues et 70 milliards de paramètres pour rivaliser avec ChatGPT
Le défi est immense : faire naître un concurrent capable de regarder dans les yeux les mastodontes californiens, le tout avec des moyens limités. Le coût d'Apertus est compris entre un peu plus de 5 et un peu plus de 10 millions d'euros, une goutte d'eau comparée aux milliards engloutis par les géants d'outre-Atlantique. Pourtant, l'atout suisse réside ailleurs. Il se nomme Alps, et il s'agit d'un supercalculateur encore au début de l'année dernière au sixième rang des superordinateurs les plus puissants de la planète. Les ingénieurs ont d'ailleurs mobilité 40% de sa puissance pour accoucher d'Apertus, comme nous l'apprend Le Temps.
« Nous ne pouvons pas accepter que les bases de l'IA, si puissante, soient entre les mains d'une fraction de multinationales », explique Antoine Bosselut, directeur du Laboratoire de traitement du langage naturel à l'EPFL, l'une des deux écoles polytechniques fédérales suisses ayant participé à la création d'Apertus, avec l'EPFZ. Son équipe a minutieusement filtré les données d'entraînement, en écartant les contenus protégés et tous les éléments toxiques possibles.
L'originalité d'Apertus, c'est sans doute son multilinguisme assumé. « Nous avons traité des informations venant de 1000 langues », précise Imanol Schlag, responsable technique à l'EPFZ. Le russe représente 20% des contenus non anglophones par exemple, le mandarin 15%. Cette sorte de diversité linguistique positionne le modèle comme un outil véritablement global, loin du tropisme anglo-saxon habituel.
La transparence d'Apertus séduit déjà les administrations et entreprises
Apertus est proposé en deux versions : l'une fixée à 8 milliards de paramètres, l'autre à 70 milliards, ce qui est comparable à Llama 3, du groupe Meta (Facebook) lors de sa naissance. Ajoutons que la plus petite des deux versions pourra être utilisée en locale, une excellente nouvelle.
Les experts ont fait le choix de la licence open source Apache 2.0 pour diffuser Apertus. Alors que personne ne peut vérifier le fonctionnement interne de ChatGPT ou Gemini, le code d'Apertus est entièrement public. Les entreprises et administrations peuvent ainsi examiner précisément comment l'outil traite leurs données, une garantie cruciale à l'heure où la protection des informations sensibles devient prioritaire.
L'opération séduction fonctionne déjà, puisque le Tribunal fédéral explore déjà les possibilités offertes par Apertus. L'opérateur de télécommunications Swisscom, partenaire stratégique du projet, prépare aussi son déploiement interne, avant d'envisager de proposer des services à ses clients. « Notre modèle est totalement compétitif en comparaison des modèles ouverts », assure Antoine Bosselut, tout en reconnaissant l'écart avec GPT-5. Mais l'enjeu dépasse la pure performance : offrir une alternative fiable, éthique et contrôlable devient crucial pour les institutions sensibles.
L'équipe derrière Apertus promet d'ajouter rapidement de nouvelles fonctionnalités, notamment la capacité de traiter des images et vidéos, et pas seulement du texte. « Le fait qu'il soit open source sera un avantage immense », promet Imanol Schlag, responsable technique du projet et chercheur à l’EPFZ. Des milliers de développeurs pourront contribuer à l'améliorer, contrairement à ChatGPT où seule l'équipe d'OpenAI peut modifier le code. Apertus se veut être l'outil qui appartient à tous.