Steve Jobs de Danny Boyle : la distorsion de la réalité en 3 actes

Audrey Oeillet
Publié le 08 février 2016 à 09h19
Sorti dans les salles françaises le 3 février dernier, le film Steve Jobs est le second long-métrage à s'intéresser à la vie du cofondateur d'Apple depuis sa mort en 2011. Très critiqué avant même sa sortie, le film, pourtant basé sur la biographie autorisée de Jobs, n'a pas grand-chose du biopic ordinaire.

Steve Jobs, de Danny Boyle, fait partie de ces films qui font polémique avant leur sortie, pour finalement ne plus beaucoup faire parler d'eux lorsqu'ils arrivent en salle. Désavoué par Laurene Powell Jobs, la veuve de Steve Jobs qui a tout tenté pour stopper la production du film, ce dernier se base pourtant sur la biographie autorisée du cofondateur d'Apple, écrite par Walter Isaacson, et sortie peu de temps avant le décès de Jobs, survenu le 5 octobre 2011.

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Une polémique née avant la sortie du film aux Etats-Unis, le 9 octobre 2015, soit presque 4 ans jour pour jour après la disparition de Steve Jobs. Malgré une controverse dont se sont nourris bon nombre de médias aussi bien orientés ciné que techno, le film a été, outre-Atlantique, bien accueilli par la presse. Pour le Wall Street Journal, notamment, le film se veut « davantage une analyse du personnage qu'une biographie ». Après visionnage, il est évident qu'il ne s'agit pas d'un biopic ordinaire.

Moins biographique que le film précédent

Le premier paradoxe qui saute aux yeux après avoir vu Steve Jobs, c'est que cette exploration de l'existence du défunt patron d'Apple est effectivement bien moins biographique que le film Jobs, réalisé par Joshua Michael Stern et sorti en 2013, qui ne disposait pas des droits d'utilisation du bouquin d'Isaacson. En d'autres termes, le plus biographique s'avère être le moins « autorisé » des deux films, même si, dans le fond, aucun des deux n'a reçu la bénédiction des proches de Steve Jobs.

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Faut-il donc en déduire que Steve Jobs est moins bon que Jobs ? Non, clairement pas. D'abord parce que Jobs n'est pas sans défaut, les principaux étant probablement une linéarité et un académisme jouant contre lui. Ensuite, parce que le film de Danny Boyle offre un point de vue plus complexe sur le personnage, en s'attardant sur trois dates-clés plutôt qu'en essayant d'expliquer qui était Jobs depuis ses débuts.

Un scénariste engagé

Il faut également souligner qu'Aaron Sorkin, le scénariste de Steve Jobs, avait prévenu d'emblée : le film ne serait pas un biopic. Il faut dire qu'en misant sur ce genre, Jobs, sorti le premier et profitant donc de la « fraîcheur » du sujet, s'est magistralement vautré au box-office international. A tel point que Sony, qui détenait les droits de la biographie écrite par Isaacson, a préféré quitter le navire, au profit d'Universal. On imagine que le studio n'avait pas envie de répéter l'erreur faite en 2013.

Prendre Aaron Sorkin comme scénariste n'était pas un coup joué au hasard. En effet, l'homme avait déjà œuvré quelques années plus tôt sur une autre adaptation de livre liée aux nouvelles technologies, dont avait découlé The Social Network, réalisé par David Fincher. Le scénariste avait alors donné des allures de thriller à l'histoire de la création de Facebook, en préférant à l'évolution chronologique de multiples flashbacks, et en situant l'intrigue présente au cœur du procès qui opposait Mark Zuckerberg aux jumeaux Winklevoss concernant la paternité du réseau social. Le film a bénéficié d'un très bon accueil du public et de la critique, et a même reçu plusieurs Oscars en 2011, dont celui du meilleur scénario adapté.

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Et quand on regarde Steve Jobs, il est assez facile de voir certaines similitudes entre la façon dont l'histoire du cofondateur d'Apple est présentée, et celle de Zuck et de sa bande. Le choix d'une chronologie pleine d'ellipses, et agrémentée de flashbacks, pousse davantage à réfléchir au message que le film cherche à faire passer, que dans Jobs, où l'on assiste à une ascension, un déclin et une renaissance, dans un schéma des plus classiques.

Une pièce en 3 actes

Steve Jobs s'articule en trois parties, qui tournent autour de trois dates : le lancement du Macintosh en 1984, celui de NeXT Cube en 1988, et enfin celui de l'iMac en 1998. Mais si les produits sont bien évidemment largement évoqués, ce n'est pas ce qui est montré : car l'action principale du film se passe dans les coulisses de ces trois événements majeurs de la vie de Jobs.

En vérité, tout se passe presque exclusivement dans la loge de Jobs, où le temps semble ne pas compter : alors que l'entrepreneur, dont la psychologie évolue au fil des événements, attend l'heure fatidique de la présentation de ses produits, des personnes importantes dans sa vie défilent dans ce qui ressemble bien souvent à un tribunal en huis-clos. Il y a Joanna Hoffman, responsable marketing d'Apple, fidèle à un Steve qui ne la ménage pas ; Steve Wozniak, cofondateur d'Apple, qui cherche la reconnaissance d'un Jobs hermétique ; John Sculley, PDG d'Apple et père de substitution de Jobs ; et enfin, Lisa Brennan, fille de Steve Jobs, dont il mettra des années à accepter la paternité.

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C'est sans doute elle qui joue le rôle le plus important. C'est aussi pour cela que le film de Danny Boyle est le plus accusé de détourner la véritable histoire vers la fiction : si la relation entre Steve Jobs et Lisa Brennan a été compliquée pendant une grande partie de son existence, et si une bonne partie des événements qui sont présentés dans le film se sont bien déroulés, le scénario fait en sorte de les accommoder pour en sortir une intrigue parfaitement hollywoodienne.

Steve Jobs est un film quasi-théâtral, mais qui s'avère être - second paradoxe - purement hollywoodien en même temps. Une sorte de thriller psychologique qui a un bon fond. Si on ajoute à cela un casting convaincant - principalement porté par Michael Fassbender, moins ressemblant qu'Aston Kutcher, mais sans nul doute meilleur acteur - on dispose d'un film qui, pour remplir sa mission de divertissement, noie son sujet dans une bonne dose de sentiments.

Une distorsion de la réalité

On en arrive au résultat suivant : Steve Jobs apparaît comme détestable au début, mais touchant à la fin. Cette évolution passe par une mise en scène habile, qui implique aussi bien l'entrepreneur que son entourage, ainsi que par une réorganisation des événements qui semblent transformer Jobs en une sorte de personnage tragique, victime de ses ambitions et de sa vision complexe du monde qui l'entoure.

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Steve Jobs n'est pas un film biographique principalement parce que tout se passe exactement comme il faut pour en faire une belle histoire. Et convaincre, au passage, le spectateur ayant peu connaissance des faits réels, que toute la chronologie proposée expose la réalité. C'est vrai jusqu'à un certain point.

Tardivement, le film évoque un concept apparu dans les années 80, et désignant directement Steve Jobs : « le champ de distorsion de la réalité ». Ce concept , piqué à un épisode de Star Trek par Guy Tribble, alors vice-président des technologies logicielles d'Apple, désigne la faculté qu'avait Steve Jobs de convaincre les gens que sa vision était non seulement la meilleure, mais également parfaitement réalisable. Une sorte de « pouvoir », mélange de charisme et de force de conviction, attribué à Jobs par ses équipes mais aussi par les médias.

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Et finalement, on en vient à se demander, en sortant du visionnage de Steve Jobs, si ce champ de distorsion de la réalité n'en est pas le sujet principal, le film étant focalisé sur la vision du monde par Jobs lui-même. En partant de ce principe, le long-métrage de Danny Boyle s'avère plutôt convaincant et réussi. Mais ceux qui préfèreront s'écarter de cette théorie, qui cache finalement une sorte de manipulation, auront mieux fait de se tourner directement vers l'ouvrage dont le film est, en définitive, bien curieusement adapté.
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