Alors que l'Europe dormait, l'avenir d'internet se jouait dans les couloirs feutrés de l'ONU. Le verdict est tombé : le modèle collaboratif qui régit le web est confirmé, écartant, pour l'instant, les ambitions des États les plus autoritaires.

Ne vous y trompez pas. Derrière l'acronyme barbare « SMSIS+20 » se cachait une bataille féroce pour le contrôle du réseau mondial. Dans la nuit de mercredi, les Nations unies ont finalement tranché, préférant le chaos organisé actuel à un ordre nouveau dirigé uniquement par les gouvernements. Une décision qui ressemble à un immense soulagement pour les uns, et à une simple trêve pour les autres.
Internet sauvé des eaux ? Ce que l'ONU a vraiment acté
Le principal acquis de cette nuit de négociations est simple : le modèle dit « multipartite » est reconduit. Ce système, qui peut sembler désordonné, oblige les géants de la technologie, les ingénieurs de l'ombre, les universitaires et les gouvernements à s'asseoir à la même table pour décider de l'avenir technique du net. C'est grâce à ce dialogue permanent que le web fonctionne de manière à peu près harmonieuse à l'échelle planétaire.
Une véritable hérésie pour des pays comme la Chine ou la Russie, qui rêvent d'un internet où chaque État serait seul maître à bord. Leur projet à peine voilé est de transformer le web en une mosaïque de réseaux nationaux étanches, un « splinternet » où l'information ne circulerait plus librement. La résolution de l'ONU sonne donc comme une victoire pour les défenseurs d'un réseau mondial unique et ouvert, célébrée par des acteurs clés comme l'ICANN, le gardien des adresses web.

Cette décision n'est pas tombée du ciel. Elle est le fruit d'un intense lobbying de la communauté technique et de la société civile, qui craignaient de voir les décisions sur l'infrastructure d'internet soumises aux lenteurs et aux calculs de la diplomatie internationale. Pour cette fois, le pragmatisme technique l'a emporté sur la politique pure.
Un nouveau shérif en ville, mais sans pistolet
La véritable nouveauté, le petit coup de théâtre de la soirée, est la pérennisation du Forum sur la gouvernance d'Internet. Jusqu'ici, ce grand rendez-vous annuel n'était qu'une structure temporaire à la légitimité fragile. Le voilà promu au rang d'institution permanente, avec la promesse d'un budget pour fonctionner correctement.
De quoi en faire le nouveau gendarme du web ? Pas si vite. Car si le Forum gagne en prestige, il reste ce qu'il a toujours été : un lieu de débats sans pouvoir de contrainte. Ses recommandations n'ont aucune force de loi. Il peut tout au plus tirer la sonnette d'alarme si un pays décide de construire son propre internet souverain, mais ne pourra pas l'en empêcher.
C'est pourtant sur cette instance que reposent les espoirs de créer un cadre pour l'intelligence artificielle ou de lutter contre la désinformation. Une mission immense pour une institution aux mains finalement assez nues. La décision de l'ONU stabilise le jeu, mais ne met pas fin à la partie. La bataille pour un internet ouvert ne fait que commencer, et elle se jouera désormais dans un cadre un peu plus solide.
Source : The Register