Les ordonnances du tribunal judiciaire de Paris imposant à des fournisseurs DNS comme Google, Cloudflare ou Quad9 de bloquer des sites pirates marquent un tournant dans la lutte contre le piratage.

La lutte contre le piratage menace l'équilibre d'internet selon Quad9. © High fliers / Shutterstock
La lutte contre le piratage menace l'équilibre d'internet selon Quad9. © High fliers / Shutterstock

Depuis mai 2024, la France a changé de paradigme avec pour objectif de lutter plus efficacement contre le piratage. Aujourd'hui, le fournisseur de DNS alternatifs Quad9 tire la sonnette d'alarme. En s’en prenant à l’infrastructure même du web, la France risque de fragiliser l’un de ses fondements essentiels : un Internet ouvert, neutre et universel, tout en s'érigeant comme une menace existentielle pour certains fournisseurs DNS.

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Quand la France redéfinit les frontières du blocage

Depuis plusieurs années, la France s’est engagée dans une lutte de plus en plus active contre le streaming illégal. Après avoir ciblé les sites de streaming et les fournisseurs d’accès, les ayants droit (parmi lesquels BeIN Sports, DAZN et Canal+) ont décidé de s’attaquer à la source du contournement : les résolveurs DNS, ces services qui traduisent les adresses web en adresses IP, avant de lancer l'offensive contre les fournisseurs de VPN.

Pour rappel, en mai 2024, une décision du tribunal judiciaire de Paris a ordonné à Google, Cloudflare et Cisco de bloquer plusieurs domaines diffusant illégalement des événements sportifs. Une première mondiale à cette échelle. Quelques mois plus tard, la fondation suisse Quad9, un acteur indépendant et à but non lucratif, a été visée à son tour.

Pour les ayants droit, la logique est imparable. Si les internautes utilisent le DNS pour contourner les blocages imposés aux FAI, alors il faut agir plus en amont. Mais pour les défenseurs du web ouvert, cette approche revient à transformer des intermédiaires techniques neutres en gardiens de la légalité, une dérive lourde de conséquences.

Quad9, un symbole fragile face à la machine judiciaire

Contrairement aux géants du numérique, Quad9 ne dispose ni des moyens juridiques ni des ressources techniques pour se conformer aisément aux décisions de justice. Fondée à Genève, la structure fournit gratuitement un service DNS respectueux de la vie privée, sans collecte ni exploitation de données. Dans un billet de blog publié en octobre 2025, elle évoque une "menace existentielle" puisque, faute de pouvoir limiter l'ordonnance de blocage à la seule France, elle a été contrainte de l’appliquer dans le monde entier.

Ce simple fait illustre la portée disproportionnée de la décision française puisqu'une ordonnance nationale s’étend désormais à l’échelle globale. Dans son billet de blog, la fondation suisse s'interroge : "Les infrastructures techniques neutres doivent-elles être tenues responsables des actions d’autrui ? À quel point la conformité légale devient-elle une forme de censure ?". Autant de questions qui dépassent le cadre du droit d’auteur pour toucher au fonctionnement même d’Internet.

Les conséquences concrètes de ces blocages ne se sont pas fait attendre.
Visé par la même ordonnance, Cisco a décidé de se retirer du marché français avec son service OpenDNS, jugeant les injonctions trop lourdes et les coûts de conformité déraisonnables. Google et Cloudflare, eux, peuvent absorber ces contraintes : leurs infrastructures et leurs moyens juridiques leur permettent de restreindre le filtrage au seul territoire français.

Cette asymétrie a fini par renforcer une tendance préoccupante… seuls les géants du cloud et du numérique peuvent se permettre d’obéir à la loi sans y laisser trop de plumes. À terme, le risque est clair : un Internet de plus en plus centralisé, où la diversité des acteurs s’érode au profit de quelques multinationales capables d’assumer la charge réglementaire.

Une guerre du piratage qui redessine le web

La lutte contre le piratage, en France, ne se limite plus aux plateformes illégales.
Elle s’étend désormais aux briques fondamentales de l’Internet, au point de remettre en question la neutralité du réseau. En cherchant à responsabiliser des acteurs purement techniques, les ayants droit déplacent la ligne de front vers le terrain fragile de l'infrastructure du web.

Pour Quad9, comme pour de nombreux observateurs, ce modèle de blocage crée un précédent dangereux : "Au lieu de cibler ceux qui profitent réellement de la violation du droit d’auteur, les tribunaux s’en prennent aux intermédiaires neutres qui font simplement fonctionner Internet", rappelle la fondation suisse.

Source : Quad9