Le Web que nous aimions est-il en train de s'éteindre ? Son propre créateur, Tim Berners-Lee, tire la sonnette d'alarme : l'intelligence artificielle, en s'attaquant au modèle publicitaire, pourrait bien débrancher la machine pour de bon.

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Il y a un peu plus de trente ans, le World Wide Web naissait d'un idéal de partage universel du savoir. Aujourd'hui, son inventeur assiste, dépité, à la déliquescence de son projet. L'utopie d'un réseau ouvert et décentralisé a cédé la place à une arène où quelques géants de la technologie monétisent notre attention. L'arrivée massive des intelligences artificielles génératives ne fait qu'accélérer la chute d'un système déjà bien malade.

Un clic, c'est tout ce qu'il restait

Le pacte était simple : les moteurs de recherche envoyaient les internautes vers les créateurs de contenu, qui se finançaient grâce à la publicité. Ce bel équilibre reposait sur un pilier : l'hyperlien. Mais voilà que les assistants conversationnels entrent dans la danse. En fournissant des réponses toutes prêtes, ils court-circuitent le système et privent les sites de leur précieux trafic. Les chiffres donnent le vertige : près de 70% des recherches ne mènent plus à une visite. On cherche, on trouve, on ne clique plus.

Pour les médias, les blogs passionnés et les encyclopédies en ligne, la douche est froide. Le trafic s'effondre, et avec lui, les revenus publicitaires. Le plus piquant dans cette histoire ? Google, dont 80% des revenus proviennent de la publicité, se tire une balle dans le pied. En voulant nous simplifier la vie avec ses aperçus générés par IA, le géant de la recherche scie la branche sur laquelle son empire est assis. Un comble.

Le grand bazar du contenu médiocre

Pendant que les sites de qualité tirent la langue, le Web se noie sous un océan de contenus fades et répétitifs, pondus à la chaîne par des IA. Plus de 1 200 "sites d'information" entièrement automatisés ont déjà été recensés, aspirant au passage une part non négligeable des investissements publicitaires. Le problème n'est pas tant le contenu artificiel en lui-même, mais son uniformité désespérante. L'originalité et l'expertise se diluent dans une soupe tiède de textes sans âme.

Pire encore, cette production de masse ouvre un boulevard à la désinformation. Il n'a jamais été aussi simple de créer de fausses nouvelles à l'apparence crédible, menaçant de transformer le plus grand réseau de connaissance de l'humanité en un immense marché de dupes.

Face à ce tableau, Tim Berners-Lee refuse de baisser les bras. Il plaide pour une réappropriation de nos données personnelles à travers son projet Solid et appelle à une régulation ferme avant que quelques entreprises ne s'accaparent définitivement les clés du royaume numérique. Sans une action forte, le Web risque de devenir une coquille vide, pillée pour nourrir des IA tout en étant inondée de leurs propres créations de piètre qualité. Un triste épilogue pour une si belle idée.​

Source : The Verge