Le créateur du World Wide Web revient sur son choix de rendre sa technologie gratuite et regrette aujourd’hui que son invention ait été détournée de son objectif initial.

En 1989, Tim Berners-Lee posait les bases du World Wide Web en inventant des standards comme HTTP ou les URL. Sa décision la plus marquante fut de rendre le code source libre d’accès, sans royalties, afin de permettre à chacun de contribuer à ce nouvel espace numérique. Plus de trente ans après, l’informaticien britannique revient sur ce choix dans une tribune publiée par The Guardian. Il explique qu’il ne pouvait pas imaginer demander aux internautes de payer pour chaque recherche ou chaque mise en ligne : « Pour que le web ait tout en lui, tout le monde devait pouvoir l’utiliser, et avoir envie de le faire. (…) Pour réussir, il devait donc être gratuit. » Aujourd’hui, Berners-Lee s’interroge toutefois : le Web est-il encore réellement libre ?
Le web pensé comme libre et universel à ses prémices
Dès les débuts, Berners-Lee a voulu bâtir un outil au service de tous. Il rappelle qu’en gardant la technologie sous contrôle exclusif, elle n’aurait jamais pu décoller. « On ne peut pas proposer quelque chose comme un espace universel et en même temps le garder sous contrôle », insiste-t-il. C’est au CERN, où il travaillait alors, que la décision de publier le code sans restriction a été prise.
Ce choix a permis au Web de s’imposer rapidement et de donner naissance à une multitude d’usages collaboratifs et créatifs. En 1994, Berners-Lee fonde le World Wide Web Consortium (W3C) au MIT pour continuer à encadrer son évolution tout en garantissant son ouverture. Son ambition était claire : offrir un espace partagé, libre de barrières économiques et accessible au plus grand nombre.
Mais l’idéal initial s’est heurté aux logiques commerciales. Les géants du numérique ont progressivement bâti des écosystèmes fermés, transformant une technologie universelle en plateformes privées dominées par la recherche de profit et l’exploitation des données personnelles.
« Nous avons pris le mauvais chemin »
Dans sa tribune, Tim Berners-Lee exprime ses regrets face à l’évolution du Web. « Aujourd’hui, je regarde mon invention et je suis obligé de demander : le web est-il encore libre aujourd’hui ? Non, pas entièrement », écrit-il. Il critique notamment l’essor des grandes plateformes qui exploitent les données des utilisateurs pour les revendre à des tiers ou les céder à des gouvernements.
« Échanger des données personnelles contre un service ne correspond certainement pas à ma vision d’un web libre », ajoute-t-il, en soulignant que l’internaute n’est plus un client mais « devenu le produit » comme le veut le célèbre adage. Il déplore aussi le rôle joué par les algorithmes des réseaux sociaux, accusés de causer des dommages psychologiques, particulièrement chez les plus jeunes.
Pour lui, quelque chose s’est brisé entre l’internet originel et sa renaissance à l’ère des plateformes sociales. « Quelque part entre la première version du web et sa réincarnation dans l’âge des réseaux sociaux, nous avons pris le mauvais chemin », affirme Berners-Lee. Un constat amer, qui souligne le décalage entre l’idéal d’un espace collaboratif mondial et la réalité d’un web désormais largement dominé par la collecte de données et la logique publicitaire.
Source : Digital Trends