Un avis juridique commandé par Berlin révèle l'étendue du contrôle américain sur les données cloud européennes. Même stockées dans des datacenters en Europe, vos informations restent accessibles aux autorités US.

Voilà qui ne va pas rassurer les sceptiques de la protection des données personnelles hébergées en Europe. Grâce à une demande d'accès à l'information, un rapport juridique un temps gardé au chaud, commandé par le ministère allemand de l'Intérieur, dévoile comment les lois américaines permettent aux agences de renseignement d'accéder aux données hébergées sur le Vieux continent. Un pavé dans la mare du cloud souverain.
Le Cloud Act américain efface les frontières numériques européennes
L'Université de Cologne a planché sur une question brûlante pour le compte de Berlin : dans quelle mesure les autorités américaines peuvent-elles mettre la main sur des données stockées hors de leur territoire ? La réponse des juristes allemands ne laisse guère de place au doute. Le Stored Communications Act, musclé par le Cloud Act, et la fameuse Section 702 du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), prolongée par le Congrès américain jusqu'en avril 2026 au minimum, donnent un blanc-seing aux agences US.
Voici le nœud du problème. Peu importe que vos fichiers dorment paisiblement dans un centre de données de Francfort ou de Dublin, ce qui compte aux yeux de la justice américaine, c'est qui tire les ficelles. Si une société mère basée outre-Atlantique garde le contrôle ultime sur l'infrastructure, elle devra se plier aux injonctions américaines, filiale européenne ou pas.
Les experts allemands qui ont longuement étudié le sujet préviennent que même des entreprises 100% européennes ne sont pas à l'abri, comme l'explique le média heinse online. Dès qu'elles entretiennent des relations commerciales significatives avec les États-Unis, elles entrent potentiellement dans le champ d'action des lois américaines. Le marché unique européen se retrouve ainsi dans une zone grise juridique assez préoccupante.
Le chiffrement ne suffit pas à échapper aux obligations de divulgation américaines
Certains pourraient imaginer qu'un chiffrement béton mettrait les données hors de portée. C'est oublier une subtilité du droit procédural américain. Les entreprises doivent conserver les informations jugées pertinentes avant même qu'une procédure ne démarre. Un fournisseur cloud qui s'auto-exclurait techniquement de l'accès à ses propres systèmes s'expose à de lourdes sanctions.
Un affrontement réglementaire entre le bloc UE et le bloc US semble se profiler. D'un côté, les autorités européennes de protection des données peuvent interdire les transferts vers des pays tiers, selon le RGPD. De l'autre, Washington revendique une portée extraterritoriale totale de ses lois. Entre les deux, le Data Privacy Framework fait figure de passerelle bancale sur un précipice.
L'avis allemand met justement le doigt sur cette contradiction. Les experts soulignent la nécessité urgente de bâtir des alternatives européennes pour renforcer l'autonomie numérique du continent. Tant que l'Europe dépendra massivement des infrastructures américaines, elle restera coincée dans ce dilemme juridique entre protection de ses citoyens et réalité géopolitique du cloud.

L'open source comme alternative pour échapper au contrôle juridique américain
On pourrait parler de Google Cloud et d'Amazon Web Services, mais l'équation se complique surtout avec Microsoft 365, omniprésent dans les administrations et entreprises européennes. Plusieurs juristes allemands (Stefan Hessel, Christina Ziegler-Kiefer et Moritz Schneider) estiment que son utilisation conforme au RGPD reste envisageable moyennant une solide évaluation d'impact. Mais d'autres spécialistes jugent cette position trop optimiste.
Sur LinkedIn, Marcel Warchaftig, de Nextcloud appelle à dépasser le stade des audits de conformité. Pour lui, l'Europe doit massivement investir dans ses propres infrastructures numériques et miser sur des technologies maison. L'open source doit devenir un levier stratégique, pour une transparence totale, une auditabilité garantie, et surtout l'émancipation des cadres juridiques étrangers qui s'invitent dans nos datacenters.
On comprend que la souveraineté numérique, si tant qu'elle soit possible à la fois sur le hardware, le software et sur le stockage, ne peut plus se contenter de belles déclarations d'intention. Stocker des données européennes sur le sol européen ne suffit plus à les protéger. Sans alternatives robustes, résilientes et interopérables développées localement, l'Europe continuera de vivre avec cette épée de Damoclès juridique au-dessus de son cloud.