La start-up francilienne Phagos utilise l'intelligence artificielle et sa maîtrise de la biologie pour développer une alternative aux antibiotiques, à l'aide de bactériophages, sortes de virus tueurs de bactéries. D'abord sur les animaux, et demain sur l'homme.

Adèle James, cofondatrice de la société française Phagos. © Alexandre Boero / Clubic
Adèle James, cofondatrice de la société française Phagos. © Alexandre Boero / Clubic

Et si la solution aux bactéries résistantes se cachait dans la nature depuis toujours ? Phagos, une start-up française installée à Suresnes, travaille justement à ressusciter des virus tueurs de bactéries oubliés au profit des antibiotiques, avec la capacité de le faire en un temps record. La biotech, grâce à l'intelligence artificielle, transforme un processus artisanal mine de rien centenaire en médecine de précision, en traitant aujourd'hui des animaux, et peut-être demain des humains. Nous avons rencontré à Las Vegas sa cofondatrice, Adèle James, lors de la dernière édition de l'évènement AWS re:Invent.

Avast AntivirusAvast Antivirus

Offre partenaire

265 produits testés, seulement 23 récompensés !

En partenariat avec Avast, la rédaction de Clubic a sélectionné les appareils qui combinent innovation, performance et fiabilité. Voici les grands gagnants qui ont marqué l'année 2025 et méritent ce Clubic Awards !

Offre partenaire

Les bactériophages, arme naturelle contre l'antibiorésistance qui tue un million de personnes par an

L'antibiorésistance, autrement dit « la capacité d'une bactérie à résister à l'action d'un antibiotique » (comme le dit Amelie), tue déjà un million de personnes par an. « En 2050, des prévisions montrent que l'antibiorésistance sera la première cause de mortalité devant le cancer, pour l'homme », alerte Adèle James, microbiologiste et CTO (directrice technique) de Phagos. Le coupable est désigné, il s'agit de notre consommation effrénée d'antibiotiques. Plus on en utilise, plus les bactéries s'adaptent et deviennent résistantes.

Phagos remet au goût du jour une découverte française vieille de plus d'un siècle, les bactériophages, aussi appelés phages. Ces virus naturels s'attaquent uniquement aux bactéries, pas aux cellules humaines. Ils sont les prédateurs biologiques naturels des bactéries. « Naturellement, les bactériophages tuent 50% des bactéries sur la planète toutes les 48 heures », nous explique la cofondatrice depuis une petite salle du Conventien Center du Venetian Hotel.

Le problème, c'est que chaque phage ne s'attaque qu'à une seule souche bactérienne précise. Un antibiotique, lui, peut éliminer des dizaines d'espèces différentes d'un coup. Résultat : en médecine, les antibiotiques étaient infiniment plus pratiques. Pas besoin d'identifier le coupable exact, un seul médicament suffisait. Les phages, trop spécifiques et donc trop compliqués à utiliser, ont été abandonnés.

Phagos matérialise ici un bactériophage. © Phagos

Leur fonctionnement tient du missile à tête chercheuse. Le phage repère sa bactérie cible, s'y accroche et lui injecte son matériel génétique. « Là, il va utiliser la machinerie de la bactérie pour se répliquer avant de faire exploser la bactérie », décrit Adèle James. Des dizaines de nouveaux phages sont alors libérés, prêts à attaquer d'autres bactéries identiques. Contrairement aux antibiotiques qui frappent large et détruisent aussi les bonnes bactéries, les phages agissent comme des snipers ultra-précis, sur les « mauvaises » bactéries.

Comment Phagos réduit de 500 à 5 le nombre de tests grâce au deep learning

Le défi des bactériophages tient en leur abondance. « Il y a des trillions de bactériophages pour chaque grain de sable sur la planète », rappelle la microbiologiste moléculaire. Trouver les bons candidats dans cette masse infinie relevait de l'impossible avant l'intelligence artificielle. Mais ces dernières années, tout a changé. « C'est un problème exponentiel qu'on ne peut pas résoudre manuellement », insiste-t-elle. Leur approche se distingue par son utilisation du génome complet des bactéries et des phages, sans se limiter à certains gènes connus, pour ne passer à côté d'aucune information précieuse.

Phagos a développé deux outils d'IA propriétaires sur l'infrastructure Amazon Web Services (AWS). Le premier est un modèle de deep learning qui prédit les candidats optimaux. Lorsqu'un vétérinaire envoie une bactérie pathogène, Phagos séquence son génome et le soumet à l'IA. « Plutôt que de tester 500 phages, on ne va en tester que cinq », résume Adèle James. Le gain ? Dix minutes contre vingt-neuf heures en laboratoire classique.

Le second outil détermine la recette optimale du traitement. Car un seul phage ne suffit généralement pa… Il faut créer un cocktail de plusieurs phages pour maximiser l'efficacité et éviter que la bactérie ne développe une résistance. « On a un autre outil qui nous permet de tester les assemblages : quels sont les assemblages les plus intéressants ? Combien de bactériophages ? Et surtout quels génotypes ? » Cette double IA tourne sur l'infrastructure AWS. SageMaker entraîne les modèles, EC2 fait tourner les simulations biologiques massives, et S3 stocke toute la bibliothèque de données génomiques.

L'exploit réglementaire qui change la donne dans la lutte contre l'antibiorésistance animale

Les débuts de Phagos étaient presque en Loire-Atlantique, sur une ferme ostréicole ravagée par une infection bactérienne. Aucun antibiotique ne fonctionnait. L'équipe a identifié le pathogène, trouvé les bons phages, et testé le traitement. La start-up a noté « 40% de survie en plus dans les lots traités avec les phages, par rapport aux lots non traités », se souvient Adèle James. L'infection tuait entre quarante-huit et soixante-douze heures ; mais les phages ont stoppé l'hécatombe. Prodigieux. Ce pathogène était idéal comme première cible : toutes les bactéries infectant ces huîtres étaient très similaires, contrairement à d'autres espèces comme Escherichia coli, beaucoup plus diversifiées et complexes à traiter.

Aujourd'hui, l'échelle est différente. Plus de 500 000 poulets ont déjà été traités dans de vrais élevages français. « Nous, on a choisi l'élevage animal puisque plus des deux tiers des antibiotiques sont utilisés dans l'élevage animal », justifie la CTO. En agissant là où les antibiotiques sont le plus consommés, Phagos maximise son impact sur l'antibiorésistance globale, problème qui touche autant les animaux que les humains.

L'exploit réglementaire mérite d'être souligné. « En créant Phagos, tout le monde nous a dit que réglementairement ça prendrait des années, et nous ça fait que quatre ans qu'on existe et on a déjà cette autorisation », s'enthousiasme Adèle James. Cette première permet à la start-up de commercialiser ses médicaments vétérinaires personnalisés en France, et de les faire évoluer sans revalidation complète à chaque fois.

Phagos travaille avec des vétérinaires, sur différents animaux. © Phagos

Objectif 2030 : passer des applications vétérinaires aux traitements humains contre les superbactéries

Le fait que Phagos ait déjà obtenu certaines autorisations montre à quel point on s'attend à ce que ses solutions bouleversent les standards de l'industrie pharmaceutique. « Utiliser les bactériophages et l'IA nous permet de développer une nouvelle cure en deux mois depuis zéro », contre dix ans minimum pour un antibiotique traditionnel. « C'est une amélioration de 100 fois par rapport au développement d'antibiotiques traditionnels », insiste Adèle James, dont l'objectif à court terme est de descendre à un mois, puis une semaine une fois la bibliothèque de phages complète.

L'application humaine, c'est pour quand ? Phagos mise sur 2030. « Ce qui est bien, c'est qu'en fait la plupart des genres bactériens qui infectent les poulets ou les porcs ou les vaches sont aussi les genres bactériens qui infectent les hommes », explique Adèle James. La collection de phages constituée en élevage sera directement réutilisable. « Techniquement, c'est carrément faisable », assure-t-elle. Le seul frein reste d'obtenir les autorisations réglementaires pour l'humain.

L'équipe de Phagos, une cinquantaine personnes aujourd'hui, veut continuer de solliciter les solutions AWS pour poursuivre son développement. « On a eu accès à l'accélérateur Generative AI (GAIA) d'Amazon Web Services, qui nous a permis d'avoir des crédits bien sûr, mais aussi du soutien sur notre infrastructure, l'optimisation des coûts, l'optimisation de son fonctionnement », détaille la patronne technique de la jeune société.

20% de l'effectif travaillent désormais sur la data et l'IA. Une levée de série A de 25 millions d'euros (dont 15 millions d'euros en dilutif) a offert deux ans de visibilité à l'entreprise pour industrialiser la production et préparer l'expansion. Une seconde levée pour accélérer la vente sur d'autres marchés et l'arrivée sur le secteur de l'humain sera prochainement envisagée.