Quatre géants de la grande distribution française, à savoir Carrefour, Auchan, Leclerc et Picard, sont assignés en justice pour l'inaccessibilité numérique de leurs sites de courses en ligne. Trois associations veulent du changement.

C'est une première en France qui pourrait bien secouer le secteur de la grande distribution. Les associations ApiDV, Droit Pluriel et Intérêt à Agir ont décidé d'assigner Auchan, Carrefour, E. Leclerc et les surgelés Picard devant le tribunal judiciaire de Paris. Comme elles l'expliquent ce mercredi 12 novembre 2025, elles leur reprochent l'inaccessibilité de leurs plateformes de courses en ligne aux 2 millions de personnes malvoyantes et aveugles, et ce malgré l'obligation légale en vigueur depuis le mois de juin. Une discrimination numérique dont elles ne veulent plus.
Une action inédite en France contre les sites de courses en ligne inaccessibles
C'est le 7 juillet dernier que les associations ApiDV et Droit Pluriel ont décidé de mettre les pieds dans le plat. Elles ont envoyé une mise en demeure à Auchan, Carrefour, E. Leclerc et Picard Surgelés. Le motif était que leurs plateformes de courses en ligne restent inaccessibles aux personnes en situation de handicap visuel, malgré une loi pourtant claire depuis le 28 juin 2025.
Carrefour, E. Leclerc et Picard ont bien daigné échanger avec les associations. Auchan, de son côté, a préféré le silence radio. Mais dans tous les cas, aucune action concrète n'a été menée pour rendre ces services accessibles. Lassée de ce qu'elles considèrent comme de l'indifférence, les associations ont décidé de frapper fort en assignant les quatre entreprises en référé en novembre.
C'est une première en France. Jamais des entreprises de cette taille n'avaient été poursuivies pour « inaccessibilité numérique ». Soutenues par le collectif de juristes Intérêt à Agir, ApiDV et Droit Pluriel veulent obtenir une chose simple : que la loi soit respectée et que chacun puisse faire ses courses en ligne, quel que soit son handicap.

Une obligation légale claire mais systématiquement ignorée par les enseignes
Pourtant, ce n'est pas comme si la législation était tombée du ciel hier. Depuis 2016, les grandes entreprises ont l'obligation légale de rendre leurs services en ligne accessibles. En 2023, le code de la consommation a même été musclé pour étendre cette obligation à presque toutes les entreprises. La directive européenne 2019/882, dite Acte européen sur l'accessibilité, a été transposée avec un délai suffisant pour se mettre en conformité. Et le dispositif est entré en vigueur de façon définitive cette année.
En France, 12 millions de personnes sont directement concernées par l'accessibilité numérique, dont 2 millions souffrent de handicap visuel. Et selon l'Observatoire de la Fédération des aveugles et amblyopes, seulement 3,4 % des sites internet des grandes entreprises respectent vraiment les normes d'accessibilité. Un chiffre qui n'enchante évidemment pas les associations.
Les associations ne réclament pas la lune. Elles demandent simplement que les sites soient conçus pour être utilisables avec un lecteur d'écran et des commandes vocales. Que les éléments soient activables au clavier, que la navigation soit fluide et logique. Des mesures techniques connues, et parfaitement réalisables. Comme le dit l'avocate Haben Girma, « l'information numérique, ce ne sont que des uns et des zéros (...) Elle peut être convertie en tout type de format. »
Les obstacles concrets qui bloquent les personnes malvoyantes sur les sites
Le cas d'E. Leclerc est assez révélateur. Au moment de la mise en demeure de juillet 2025, le site affichait une déclaration d'accessibilité inchangée depuis mai 2023, avec à peine 32% des critères du RGAA (le référentiel général d'amélioration de l'accessibilité) respectés. Suite à un audit réalisé le 28 août 2025, la déclaration a été mise à jour et affiche désormais 50%. Une amélioration, certes, mais qui reste très loin du compte et hors-la-loi.
Ces pourcentages cachent des problèmes bien concrets. Parmi les 31 non-conformités listées, les associations pointent du doigt des contrastes insuffisants, l'absence d'alternatives textuelles pour les images, des liens non explicites, une structuration défaillante du contenu, ou des composants interactifs inaccessibles au clavier. Autant d'obstacles qui empêchent purement et simplement de finaliser une commande en ligne. Un comité de test composé de personnes malvoyantes et aveugles, expertes en informatique, a d'ailleurs confirmé ces dysfonctionnements.
Pierre, utilisateur aveugle, résume la situation à sa manière. « Quand on est aveugle ou malvoyant, et qu'on ne peut pas faire ses courses seul dans un magasin, la seule façon d'être autonome, c'est de faire ses courses en ligne. L'inaccessibilité des sites nous prive de la possibilité d'être autonome et nous rend dépendant d'un proche ou d'un vendeur », explique-t-il. Cette action en justice repose sur une victoire juridique obtenue le 21 mai 2024, quand le Tribunal administratif de Paris avait condamné l'État pour l'inaccessibilité des logiciels de l'Éducation nationale. Un motif d'espoir, pour les requérants et les personnes qu'ils représentent.