Sur le marché des moteurs de recherche, Google domine inlassablement depuis des décennies. Et parmi les alternatives, certaines se font connaître plus que d'autres. À force d'acharnement, DuckDuckGo grandit, et pour l'entreprise américaine, tout semble au beau fixe.

Interview DuckDuckGo : "nous atteindrons 50 milliards de requêtes par an d'ici 2028"
Interview DuckDuckGo : "nous atteindrons 50 milliards de requêtes par an d'ici 2028"

Pour grignoter des parts de marché à Google, certains s'acharnent. Comme Microsoft avec MSN Search, Live Search, Bing… L'entreprise de Redmond ne perd pas une seule occasion pour configurer son moteur par défaut, que ce soit dans Windows, ou dans Edge. Mais pour l'internaute, la promesse n'est pas tellement différente. L'objectif est le même : analyser les requêtes pour traquer les utilisateurs et leur retourner des publicités ciblées. Alors, à quoi bon ?

Et puis, il y a ceux qui tiennent une approche plus singulière. C'est le cas de DuckDuckGo, Qwant, Ecosia ou Brave. Souvent, c'est la perspective d'une meilleure confidentialité qui est mise en avant. Mais pendant des années, cet élément a été largement ignoré par la majorité des internautes. Alors pour ces acteurs secondaires, il faut s'armer de patience. Et doucement, les choses changent.

Le boom des moteurs dopés à l'IA n'y est certainement pas étranger. D'un côté, l'usage intensif des données personnelles est pointé de toute part, de l'autre, Perplexity, ChatGPT et cie défient directement Google et son éternel monopole. Dans ce virage, DuckDuckGo a plusieurs cartes à jouer et l'entreprise profite d'une belle croissance.

Beah Burger-Lenehan, vice-présidente de la division Produit chez DuckDuckGo et anciennement responsable produit chez Google, a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Beah Burger-Lenehan, vice-présidente de la division Produit chez DuckDuckGo
Beah Burger-Lenehan, vice-présidente de la division Produit chez DuckDuckGo

Avec 36 milliards de requêtes annuelles, et un plafond de 100 millions de recherches quotidiennes depuis 2021, comment envisagez-vous de relancer la croissance ?

Ces deux dernières années, nous avons vraiment travaillé l'intégration de l'IA dans notre expérience de recherche et de navigation. Duck.ai et Search Assist (très bientôt disponible en France, d'abord en anglais) nous permettent d'établir de nouveaux records quotidiens. La croissance a été robuste, et honnêtement, nous pensons sincèrement atteindre les 50 milliards de requêtes annuelles dans les trois prochaines années.

Beaucoup d'internautes affirment que vous dépendez de l'API Bing. N'est-ce pas contradictoire avec votre promesse d'indépendance ?

C'est une caricature grossière de dire que nous dépendons simplement de Bing. Depuis plus de quinze ans, nous développons notre propre technologie de recherche et une expérience utilisateur différenciée. On a même commencé avant que l'API Bing existe, et on l'utilise de plus en plus.

Toutes nos réponses IA, la recherche locale et notre graphe des connaissances ne s'appuient pas sur Bing. Et tout cela représente une grande partie de la page des résultats. Ce que vous voyez, c'est une combinaison de notre propre indexation et du meilleur contenu que nous sourçons anonymement auprès de partenaires - Bing, Apple, TripAdvisor et autres. Nous tissons tout cela ensemble pour vous offrir les meilleurs résultats.

Et puis, il n'existe pas qu'un seul index. Il y en a des dizaines. Par exemple, la recherche locale a son propre index. Nos efforts en IA ont considérablement étendu notre index web général, et nous voulons vraiment l'utiliser davantage dans les résultats traditionnels dans les années qui viennent.

Comment pouvez-vous vous différencier face aux autres moteurs alternatifs comme Brave Search ou Ecosia ?

Le potentiel de marché pour les services respectueux de la vie privée dépasse en fait largement la taille actuelle des petits moteurs de recherche. Le défi réel, c'est de surmonter les positions par défaut de Google pour atteindre les personnes intéressées par un produit qui ne demande aucun sacrifice lors du changement.

C'est pourquoi nous nous concentrons sur une expérience utilisateur fluide : une interface de classe mondiale, des résultats de recherche pertinents et des protections de navigation qui ne cassent pas le web.

Depuis 2023, on a l'impression que votre part de marché mondiale est restée stable à 0,54%, en baisse par rapport aux 0,65% de 2022. Y a-t-il une forme de stagnation ?

En réalité, notre part de marché a considérablement augmenté pendant cette période. Cloudflare dispose des données les plus précises sur ce sujet. À l'échelle mondiale, nous dépassons maintenant le 1%, même s'il y a de grandes régions sur lesquelles nous ne nous concentrons pas - nous sommes bannis en Chine, par exemple.

Aux États-Unis, nous dépassons les 3%. En France, nous sommes au-delà du 1% et en troisième place. Nous sommes plus importants aux États-Unis parce qu'on s'y développe de manière plus active. On commence à faire la même chose ailleurs - le Royaume-Uni d'abord, puis d'autres pays comme la France.

Le DMA a-t-il vraiment bénéficié à DuckDuckGo ?

Oui, quand les écrans de choix ont été affichés à tous les utilisateurs de Google - par exemple sur Chrome - nous avons observé un vrai impact : le trafic a doublé. Cela dit, Google a pas mal contourné les dispositions du DMA. Sur Android, le déploiement a été lent et inégal, et plusieurs points d'accès restent verrouillés. Sur Android comme sur Chrome, le changement du moteur de recherche par défaut est toujours aussi peu intuitif.

Mais voilà le plus intéressant : les gens qui ont choisi DuckDuckGo via cet écran sont bien plus fidèles et l'utilisent davantage. Ça prouve vraiment la valeur d'être défini comme moteur par défaut.

Moteur de recherche - Parts de marché en France selon Cloudflare

Vous avez entre 335 à 400 employés, c'est à la fois beaucoup mais très peu face à un géant comme Google.

Nous avons un processus de recrutement unique qui nous permet d'attirer des talents de haut niveau à travers le monde dans une entreprise portée par une mission. Ensemble, nous faisons bien plus que notre taille ne le laisserait supposer.

Comment monétisez-vous Duck.ai puisque les modèles de base sont gratuits ?

Ces modèles gratuits font partie de nos investissements pour améliorer continuellement l'expérience globale. Mais on a un vrai modèle freemium : notre abonnement DuckDuckGo offre des modèles plus avancés — GPT-5, GPT-4o, Sonnet 4 et Llama Maverick.

L'IA dans 20% des résultats, n'est-ce pas risqué pour la neutralité ?

Dans une étude de Pew Research récemment publiée auprès d'adultes américains, environ six personnes sur dix ont déclaré vouloir plus de contrôle sur la façon dont l'IA est utilisée. Notre approche, c'est de rendre l'IA privée, utile et optionnelle. Nous croyons sincèrement que cela stimule l'utilisation globale et l'adoption des fonctionnalités elles-mêmes.

Nous construisons ces fonctionnalités IA aux côtés de nos protections de la vie privée au sein de notre navigateur, en créant des flux de travail qui s'étendent entre la recherche, le chat et la navigation. Vous pouvez passer du chat à la recherche et vice versa. Récemment, on a introduit une approche innovante : les utilisateurs peuvent maintenant démarrer un chat dans notre navigateur aussi facilement qu'une recherche, et même décider du mode en cours d'utilisation.

  • Anonymat et confidentialité
  • Protection contre les traqueurs
  • Extension et intégration facile
7 / 10

Ces fonctionnalités génèrent les scores de satisfaction les plus élevés qu'on ait jamais vus. Search Assist, notre réponse à Google AI Overviews, est actuellement notre fonctionnalité la mieux notée et apparaît sur près de 25% des requêtes en anglais aux États-Unis, tout en restant complètement optionnelle. Nous donnons également aux éditeurs plus de contrôle, par exemple en respectant les exclusions d'éditeurs via robots.txt et en offrant la possibilité d'exclure les fonctionnalités IA uniquement.

Et comment se porte Duck.ai ?

Duck.ai a enregistré une croissance de plus de 70% au cours des six derniers mois. Rien qu'en septembre, nous avons affiché une hausse mensuelle de 20%. 30% du trafic est direct, ce qui signifie que les gens tapent le nom de domaine pour y accéder. Avec nos différents actifs (navigateur, part de marché en recherche, équipe) et notre approche unique de l'IA (privée, optionnelle, accès gratuit à la plupart des LLM majeurs), DuckDuckGo est bien positionné pour réussir en IA et sortir victorieux de la bataille des navigateurs IA.

Comment votre navigateur influence-t-il votre part de marché ?

Nous avons commencé avec un moteur de recherche, qui est maintenant numéro 2 en recherche mobile en France. Mais notre expérience phare, c'est notre navigateur — il intègre notre moteur de recherche et nos protections de navigation. Une grande partie de notre trafic de recherche provient désormais de notre navigateur. On peut dire que DuckDuckGo est essentiellement devenu un éditeur de navigateur.

On compte près de 100 millions de téléchargements par an, en augmentation par rapport aux 50 millions d'il y a quelques années. Plus de 40% du trafic vers notre moteur provient de notre propre navigateur. Nos navigateurs de bureau sont beaucoup plus récents et affichent les taux de croissance les plus élevés. Sur Android aux États-Unis, nous sommes maintenant au-delà de 3%.

Vous n'avez levé que 113 millions depuis 2008. Comment financez-vous ? Où en sont vos revenus publicitaires en 2025 ?

Nous sommes rentables depuis 2014 et avons pu financer suffisamment l'entreprise en recyclant les bénéfices. C'est vraiment un choix stratégique.

Nos revenus s'élèvent maintenant à des centaines de millions par an, et oui nous sommes toujours rentables.

Si vous atteigniez 5% de part de marché, votre modèle tiendrait-il ?

Nous ne nous concentrons pas actuellement sur la part de marché mondiale, mais notre modèle économique resterait certainement viable à cette échelle. Cela dit, nous avons déjà diversifié avec l'introduction de l'abonnement DuckDuckGo.

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