C'était la promesse d'AN0M : une forteresse numérique pour le crime organisé, si sûre que les criminels du monde entier se l'arrachaient. En réalité, une gigantesque opération d'infiltration du FBI, qui, quatre ans plus tard, continue de remplir les prisons.

Tout commence en 2018, quand la chute de Phantom Secure laisse un vide béant dans l'écosystème des communications criminelles. Le FBI, flairant la bonne affaire, décide de ne pas laisser le marché à d'autres. En tandem avec la police australienne, ils concoctent un plan audacieux : créer leur propre service de messagerie chiffrée. Un service avec une petite particularité, bien sûr : une porte dérobée qui transmet chaque conversation directement aux autorités.
Le comble du cynisme : un modèle économique financé par les suspects
Sur des téléphones modifiés, vendus à prix d'or sur le marché noir, l'application AN0M est la vedette. Pour un abonnement mensuel, les criminels s'offrent le luxe d'une confidentialité qu'ils croient totale, finançant sans le savoir l'opération qui causera leur perte.
La diffusion est un chef-d'œuvre de manipulation. Les forces de l'ordre recrutent des informateurs et s'appuient, sans qu'ils le sachent, sur des barons du crime pour en faire la promotion. Le piège se referme en juin 2021 : plus de 800 arrestations dans 16 pays, des tonnes de drogues et des millions en liquide saisis. Le bilan de l'opération, baptisée Trojan Shield, est spectaculaire.
Un rebondissement judiciaire et des arrestations en cascade
L'affaire aurait pu s'arrêter là, mais un grain de sable juridique a failli tout enrayer. Des avocats australiens ont plaidé l'illégalité des écoutes, arguant que le dispositif violait la loi sur la surveillance. Un argument qui a semé le doute pendant de longs mois et suspendu le sort de centaines de procédures.

Coup de théâtre en octobre 2024 : la Cour suprême australienne valide l'ensemble du dispositif, jugeant que le système fermé d'AN0M n'était pas un service de télécommunication public. Galvanisée par cette victoire, la police a lancé fin octobre 2025 une nouvelle vague de perquisitions, ajoutant 55 noms à un tableau de chasse déjà bien rempli, grâce à l'analyse de millions de messages patiemment collectés.
L'opération AN0M est devenue un cas d'école, mais aussi un sujet de débat. En se muant en fournisseur de services pour ceux qu'elle traque, la police a brouillé les lignes. Et lorsque les autorités appellent aujourd'hui à un « chiffrement responsable », on ne peut s'empêcher de sourire, en songeant à ce cheval de Troie numérique qu'elles ont elles-mêmes bâti.
Source : The Register