Ces monstres tropicaux se forment loin au-dessus de l'Atlantique avant de parfois s'intensifier brusquement à l'approche des côtes américaines. Pour les spécialistes, détecter les prémices d'un ouragan reste l'une des tâches les plus ardues de la météorologie tropicale. C'est à ce stade, celui de la prévision, que l'IA peut devenir une formidable alliée ; c'est ce qu'a compris un doctorant américain, qui a conçu un modèle d'IA spécialement pour cela.

 Entre 1980 et 2019, les revenus perdus à cause des ouragans aux États-Unis seraient passés de 15 000 milliards de dollars à 40 000 milliards de dollars. © Triff / Shutterstock
Entre 1980 et 2019, les revenus perdus à cause des ouragans aux États-Unis seraient passés de 15 000 milliards de dollars à 40 000 milliards de dollars. © Triff / Shutterstock

Certains modèles d'IA parviennent déjà à prévoir la trajectoire des ouragans, mais, comme expliqué plus haut, le plus complexe reste de détecter précocement leur émergence. Dans le bassin Atlantique, la majorité des tempêtes tropicales trouvent leur origine dans des structures appelées ondes tropicales ou vagues de l'est. Celles-ci traversent l'océan depuis les côtes africaines, mais savoir si une onde restera « tranquille » ou se transformera plus tard en ouragan est encore très complexe.

L'IA, par l'analyse d'immenses ensembles de données climatiques, est tout à fait apte à reconnaître des motifs récurrents qui passeraient sous les radars des modèles prévisionnels classiques. C'est ce qu'a réussi à faire Will Downs, doctorant à l’Université de Miami, en concevant un modèle d’IA spécifiquement entraîné à identifier ces perturbations atmosphériques. Son système les détecte, peut les suivre et anticiper leur potentiel à déclencher un ouragan. Une première, saluée par les chercheurs du National Hurricane Center (NHC), qui l’utilisent désormais en phase de test.

Quand l'IA apprend à lire les prémices des tempêtes

Dans l’Atlantique, près de 70 % des ouragans prennent naissance à partir des vagues de l'est. Ce sont de vastes amas de vent et d’humidité qui se déplacent d’est en ouest, principalement en été et en l’automne. Seule une minorité d’entre elles deviendra plus tard un ouragan, mais ce sont précisément celles-là qu’il faut apprendre à repérer tôt.

Jusqu'à aujourd'hui, l'analyse de ces vagues potentiellement délétères s'établissait principalement sur l'expertise humaine. Les analystes du TAFB (Tropical Analysis and Forecast Branch) du NHC les identifiaient manuellement à partir d’images satellites et de diagnostics météorologiques. Un travail de fourmi, non automatisé, aidé tout de même par des modèles de prévisions climatiques basés sur la physique. Même conjointement, ces deux méthodes peinaient à suivre correctement le suivi de ces perturbations.

Will Downs, pour s'affranchir de cette limite, a entraîné son modèle sur les nombreux rapports édités par le TAFB, qui consignent depuis plusieurs décennies les positions et caractéristiques de ces ondes. Il a ensuite intégré ces données à des réanalyses climatiques, fournissant au modèle les conditions environnementales réelles dans lesquelles chaque onde s’est déplacée.

« Mon modèle d’IA est plus flexible, car il peut détecter différents motifs, ainsi que différentes intensités et types de vagues tropicales, grâce à ses nombreuses couches intégrées [NDLR : les « couches » désignent ici les différentes strates du réseau de neurones profonds utilisées par le modèle. Chacune d’elles traite un aspect particulier des données : pression, humidité, dynamique des vents, etc.] », explique-t-il.

Le modèle de Downs détecte aussi d'autres structures essentielles à la dynamique cyclonique, comme la zone de convergence intertropicale ou le thalweg de mousson dans l’Atlantique tropical. Ces zones de basse pression, où l’humidité s’accumule et favorise les mouvements verticaux de l’air, jouent un rôle clé dans la genèse de ces gigantesques tempêtes. En deux ans, Downs a peaufiné son système jusqu’à atteindre une fiabilité suffisante pour une utilisation en conditions réelles.

 Maisons inondées après le passage de l'ouragan Debby (2024), à Sarasota en Floride.  © Bilanol / Shutterstock
Maisons inondées après le passage de l'ouragan Debby (2024), à Sarasota en Floride. © Bilanol / Shutterstock

Un algorithme prêt pour la réalité du terrain

Pour la saison cyclonique actuelle, le National Hurricane Center dispose d’un accès interne au modèle de Downs. Les premiers retours sont très encourageants. « Il a capturé les vagues là où elles semblent se diriger, et il ne génère pas beaucoup de faux positifs », souligne Sharan Majumdar, directeur de thèse de Downs à la Rosenstiel School. C’est un aspect déterminant : en contexte opérationnel, un modèle qui génère trop de faux positifs (détection à tort d'ondes potentiellement dangereuses) complique inutilement le travail des prévisionnistes, en brouillant les signaux réellement pertinents.

En plus d’aider les prévisionnistes, le modèle pourra produire une nouvelle base de données sur le comportement des ondes tropicales. Celle-ci, à l'avenir, permettra de suivre leur évolution, d’analyser les transitions entre une onde inoffensive et un système dangereux, et donc de mieux cerner les conditions de la cyclogenèse.

Pour autant, pas question de remplacer les modèles physiques par l'IA, elle est un outil complémentaire. « Les modèles d'IA fonctionnent bien sur certains indicateurs comme la trajectoire des cyclones », explique Majumdar. « Mais pour des phénomènes comme l’intensité ou les orages violents, les modèles fondés sur la physique restent dominants. Il faut combiner les deux approches. »

Les ouragans étant des systèmes météorologiques très instables, ils sont impossibles à prévoir comme on prédirait le temps qu'il fait demain. Là est la valeur ajoutée du modèle de Downs : il est incapable de pronostiquer s'il y aura un ouragan, mais il peut analyser les conditions passées qui ont conduit à sa naissance. S’il venait à être réellement intégré dans les protocoles de surveillance côtière, il permettrait d’anticiper plus tôt les évacuations, de limiter les pertes humaines et économiques.