Fabriquer une fausse décision de justice pour effacer des avis négatifs, voilà l'arnaque sophistiquée déjouée par la plateforme Signal-Arnaques, qui dévoile comment les escrocs détournent l'autorité judiciaire.

Des malfrats ont fabriqué une fausse décision de tribunal pour effacer leurs arnaques. © Latest_Designer / Shutterstock
Des malfrats ont fabriqué une fausse décision de tribunal pour effacer leurs arnaques. © Latest_Designer / Shutterstock

Il y a quelques jours, Anthony Legros, responsable de la plateforme Signal-Arnaques, a reçu une ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Marseille. Le document exige alors la suppression immédiate d'avis négatifs contre l'entreprise Success STO. Sauf que cette décision n'existe tout simplement pas. Il s'agit d'un faux, le tout orchestré depuis Dubaï.

Une décision de justice qui ne soulève aucun soupçon au premier regard

Le 8 décembre au matin, un homme se présentant comme avocat marseillais contacte Signal-Arnaques. Il transmet une ordonnance du tribunal de Marseille datée du 5 décembre. Le document ordonne la suppression d'avis négatifs publiés contre l'entreprise Success STO sur plusieurs plateformes. Il liste précisément des dizaines de liens internet concernés. Références juridiques, tampons officiels, signatures… Tout semble authentique.

Anthony Legros, le responsable de la plateforme, se réjouit presque de la simplicité inhabituelle du dossier. « C'est plutôt cool, pour une fois, pas besoin de se faire des nœuds au cerveau avec illicite, pas illicite, peut-être bien que oui, peut-être bien que non… Un juge a fait le job ! » Les contenus visés disparaissent rapidement, et un commentaire explique publiquement la censure aux internautes, décision judiciaire à l'appui. Tout est transparent.

Signal-Arnaques informe l'avocat que tout est supprimé. C'est là, que les choses deviennent encore plus surprenantes. Le juriste est agressif, réclame la censure de pages complètes, s'emporte contre de nouveaux commentaires, et refuse que la décision judiciaire soit visible. Pourtant, l'ordonnance n'exige rien de tout cela. Cette virulence est étrange pour quelqu'un qui vient d'obtenir satisfaction. L'équipe flaire le problème.

© Anthony Legros / Signal-Arnaques
© Anthony Legros / Signal-Arnaques

Des aberrations dans l'ordonnance qui finissent par trahir la supercherie

La relecture minutieuse du document fait rapidement grimacer les juristes. La première anomalie, c'est que Success STO a obtenu la suppression des avis, donc l'entreprise a gagné. Pourtant, le document la condamne à payer les frais de justice. Autre aberration, l'entreprise doit se verser 2 000 euros à elle-même en dommages-intérêts. Aucun juge français ne commettrait de telles erreurs.

L'avocat adverse, dont le nom figure pourtant dans la décision, tombe des nues au téléphone. Cette affaire ? Il n'en a jamais entendu parler. Peut-être une erreur du greffe, suggère-t-il prudemment, au pire un faux. Les tentatives répétées pour joindre le prétendu avocat demandeur à l'aide de l'annuaire officiel du barreau échouent systématiquement. L'usurpation d'identité devient alors l'hypothèse privilégiée.

Anthony Legros vérifie alors d'où l'avocat a envoyé ses messages. Surprise, ils proviennent de Dubaï, aux Émirats arabes unis. Certes, un avocat peut voyager, mais avec toutes ces incohérences, le doute n'est plus permis. L'équipe contacte alors directement le tribunal judiciaire de Marseille. La réponse tombe : « Cette décision n'a jamais été rendue par notre juridiction. » Le faux est confirmé.

Une sophistication inquiétante dans la fabrication de faux documents

Avant, les escrocs créaient de faux sites marchands ou usurpaient des identités. Maintenant, ils vont plus loin et fabriquent carrément de fausses décisions de justice pour faire disparaître les avis de leurs victimes. Voilà le moyen le plus efficace pour effacer toutes les preuves de leurs arnaques, et recommencer ailleurs ou plus tard.

Au-delà de la manipulation, la sophistication technique du faux document impressionne. Les arnaqueurs ont méticuleusement compilé de véritables avis négatifs existants, reproduit à la perfection les codes graphiques d'une ordonnance officielle, et parfaitement maîtrisé le jargon juridique français. Ils ont même usurpé l'identité complète d'avocats marseillais bien réels.

Anthony Legros, très transparent dans sa communication sur LinkedIn, appelle à la plus grande attention. « Les fausses décisions de justice existent, la vigilance n'est plus une option », indique-t-il à juste titre. Les plateformes de signalement, quotidiennement confrontées à des demandes légitimes de suppression, peuvent facilement tomber dans le piège d'un faux suffisamment bien imité. Même l'autorité judiciaire elle-même n'est désormais plus à l'abri d'être contrefaite.