La décision est passée presque inaperçue hors du Japon, mais elle fait trembler une partie de l’industrie numérique. Un tribunal de Tokyo a estimé que Cloudflare devait être tenue responsable du piratage commis par certains de ses utilisateurs, en particulier des sites diffusant illégalement des mangas.

Cloudflare responsable du piratage de mangas ?Au Japon, ce jugement relance le débat.  © Spatuletail / Shutterstock
Cloudflare responsable du piratage de mangas ?Au Japon, ce jugement relance le débat. © Spatuletail / Shutterstock

Cloudflare est-elle responsable des agissements de ses utilisateurs ? Selon la justice nippone, c'est bien le cas ! De son côté, l'entreprise américaine, condamnée à une lourde amende, y voit un dangereux précédent pour l’ensemble des intermédiaires techniques.

Un possible effet domino ?

Cloudflare, dont les services améliorent la vitesse et la sécurité de millions de sites, accueille n’importe quel utilisateur en quelques minutes grâce à une inscription simple. C’est précisément ce point que les éditeurs japonais — Shueisha, Kodansha, Kadokawa et Shogakukan — ont attaqué. Ils reprochent au groupe de permettre aux sites pirates de rester anonymes et d’échapper plus facilement aux sanctions. Pour le tribunal, l’entreprise aurait dû suspendre ses services dès lors que les plaintes étaient répétées et que les contenus illégaux étaient évidents.

Condamné à verser l’équivalent de 3,2 millions de dollars, Cloudflare conteste vigoureusement. L’entreprise rappelle qu’un CDN ne fait qu’acheminer des données hébergées ailleurs : enlever son service ne supprimerait pas les contenus piratés. Mais au-delà de l’amende, elle s’inquiète d’un effet domino. Si un intermédiaire peut être jugé responsable de contenus qu’il ne stocke pas, prévient-elle, c’est tout le fonctionnement d’Internet qui pourrait être remis en cause.

Une décision locale aux répercussions mondiales ?

En effet, Cloudflare estime que cette décision ouvre la voie à des dérives, où une simple notification pourrait suffire à exiger la fermeture d’un service sans décision judiciaire. Elle va jusqu’à évoquer un risque pour l’innovation technologique au Japon, un argument que les éditeurs réfutent catégoriquement.

Pour leur avocat, Yuki Hirai, Cloudflare « déforme l’essence » du jugement, ce dernier explique que « ce jugement concerne la responsabilité liée à l’anonymat et à l’ignorance des notifications d’infraction, non pas la fourniture du service lui-même ». Selon lui, l’affaire ne concerne ni l’existence des services CDN, ni une quelconque menace pour l’Internet mondial. Le véritable sujet serait bien plus simple : Cloudflare aurait ignoré des notifications d’infraction parfaitement claires, révélant des URL de sites dont le caractère pirate était évident. L’objectif des éditeurs n’est pas de restreindre l’accès aux services de Cloudflare, mais de s’assurer qu’une fois avertie, l’entreprise cesse de protéger des sites manifestement illégaux et mette en place une vérification d’identité pour éviter les récidives.

Pour Cloudflare, qui compte mener cette bataille en appel, il 'sagit de défendre une vision essentielle, celle d’un Internet où les intermédiaires techniques ne sont pas assimilés aux hébergeurs. Pour les éditeurs, au contraire, la décision japonaise ne fait qu’imposer à l’entreprise un principe élémentaire : ne pas aider, même involontairement, à maintenir en ligne des activités criminelles.

Reste à savoir si la justice japonaise a ouvert une brèche locale ou un véritable précédent mondial. Cloudflare en est convaincu. Les éditeurs, eux, n’y voient qu’un retour au bon sens.

Source : Torrent Freak