La start-up française Alice & Bob intègre ses ordinateurs quantiques dans SLURM, le système qui gère 60% des supercalculateurs mondiaux. Une première pour les qubits chats qui change la donne pour l'accès au calcul quantique.

La start-up française Alice & Bob connecte ses qubits chats au système SLURM. © Germanru / Shutterstock
La start-up française Alice & Bob connecte ses qubits chats au système SLURM. © Germanru / Shutterstock

Pouvoir réserver un processeur quantique aussi simplement qu'une carte graphique, beaucoup en rêvent. C'est désormais possible grâce à Alice & Bob, annonce ce jeudi 6 novembre intégrer ses futurs QPU, les unités de traitement quantique, dans SLURM, le logiciel qui fait tourner la majorité des centres de calcul haute performance. Cette avancée, développée avec le centre britannique Hartree, permet enfin d'orchestrer calcul classique et quantique dans un workflow unifié. Une révolution d'usage qui rapproche le quantique des pratiques quotidiennes des chercheurs.

Quand les processeurs quantiques deviennent aussi simples qu'un GPU

Alice & Bob franchit une étape cruciale en rendant ses QPU compatibles avec SLURM, l'infrastructure de gestion de ressources informatiques qui fait référence dans l'écosystème HPC (calcul haute performance). Cette intégration, qui est le fruit d'une collaboration avec le STFC Hartree Centre, marque la première fois qu'un matériel à qubits chats devient planifiable nativement dans un environnement de supercalcul standard.

Jusqu'à présent, accéder à un ordinateur quantique imposait certaines acrobaties techniques. Les chercheurs devaient naviguer entre leur infrastructure locale, via des scripts de cluster, puis basculer vers les portails cloud propriétaires type IBM Q ou AWS Braket, pour soumettre leurs circuits quantiques. Récupérer et intégrer les résultats nécessitait ensuite des transferts manuels fastidieux.

L'intégration SLURM change la donne. Le QPU devient une ressource native au même titre qu'un CPU (un processeur) ou un GPU (un processeur graphique). Un seul script suffit désormais pour orchestrer pré-traitement classique, calcul quantique et analyse finale dans une allocation unifiée. « Cette approche transforme les processeurs quantiques de dispositifs distants spéciaux en ressources de cluster planifiables », résume l'équipe d'Alice & Bob.

La promesse des qubits chats face aux géants

Mais alors qu'est-ce qui distingue Alice & Bob de Google ou IBM ? Le type même de qubit utilisé. Là où les géants de la tech emploient des qubits supraconducteurs classiques, Alice & Bob a misé sur les « qubits chats ». Ce nom fait référence au célèbre chat de Schrödinger, cette expérience de pensée où un chat est simultanément vivant et mort. Ici, l'information quantique est encodée d'une manière qui rappelle cette superposition d'états contradictoires.

Cette approche présente un atout majeur, puisqu'elle crée un biais de bruit où les erreurs de bit-flip sont drastiquement réduites, laissant principalement des erreurs de phase à gérer. La correction d'erreurs devient alors beaucoup plus efficace. Là où les architectures concurrentes nécessitent des centaines de qubits physiques pour créer un qubit logique fiable, Alice & Bob estime pouvoir diviser ce ratio par 200.

Cette réduction massive se traduit par des machines potentiellement plus compactes, moins gourmandes en énergie et surtout plus rapides à développer. « Seuls quelques développeurs de matériel quantique au monde ont annoncé une intégration SLURM », souligne Philippe Muller, d'Alice & Bob. « Notre collaboration avec le Hartree Centre nous démarque en ciblant les environnements HPC réels », ajoute-t-il.

2030, peut-être l'année du calcul quantique tolérant aux pannes

D'ici la fin de la décennie, Alice & Bob veut pouvoir disposer enfin d'ordinateurs quantiques suffisamment fiables pour être vraiment utiles. On parle de machines capables d'aligner des centaines de qubits qui fonctionnent correctement, avec un taux d'erreur assez faible pour exécuter des calculs reproductibles. Pas encore de l'informatique quantique universelle, mais des machines capables d'accélérer certaines tâches précises au sein des supercalculateurs classiques.

Les cas d'usage se dessinent déjà. La chimie quantique pour simuler batteries, catalyseurs ou candidats médicaments. L'optimisation pour la logistique, la finance ou la conception moléculaire. Et l'accélération potentielle de certains calculs climatiques ou météorologiques. Stefano Mensa du Hartree Centre le confirme, « permettre aux processeurs quantiques d'être planifiés comme n'importe quelle ressource HPC est un pilier fondamental d'une intégration hybride quantique-classique impactante. »

Pour le grand public, les bénéfices resteront d'abord indirects : matériaux plus performants, découverte de médicaments accélérée, optimisation des chaînes d'approvisionnement. L'intégration SLURM n'augmente pas la puissance brute des QPU qui restent rares. Mais elle élimine les barrières d'accès et transforme le quantique en outil pratique plutôt qu'en curiosité de laboratoire. C'est peut-être ça, la vraie révolution.