Sur la plupart des téléviseurs modernes, les films ne ressemblent pas toujours à ce qu'ils devraient être… du cinéma ! Image trop fluide, trop nette, parfois presque artificielle, autant d'éléments qui dénaturent le rendu. Sur le banc des accusés, un réglage et un seul, la plupart du temps activé par défaut et censé "améliorer" la fluidité.

L’activation du Motion Smoothing, ou moteur de compensation de mouvement, accentue artificiellement la fluidité de l'image. © Matthieu Legouge
L’activation du Motion Smoothing, ou moteur de compensation de mouvement, accentue artificiellement la fluidité de l'image. © Matthieu Legouge

Les ingénieurs l’ont conçu pour rendre l’image plus fluide, les vendeurs l’activent pour séduire dans les rayons, et les spectateurs, souvent, n’en soupçonnent même pas l’existence. Pourtant, ce simple réglage modifie la perception même du mouvement, au point de transformer un film en téléfilm. Ce que certains appellent “effet caméscope”, d’autres “soap opera”, n’est autre que le résultat d’une bonne intention… souvent poussée un peu trop loin !

L’effet "soap opera", c'est quoi au juste ?

Ce phénomène porte un nom bien connu des professionnels : le soap opera effect, ou “effet feuilleton” dans la langue de Molière ! Il résulte du Motion Smoothing, une option présente sur quasiment tous les téléviseurs récents, quels que soient le fabricant ou la gamme et que l'on retrouve souvent dissimulée sous d’autres appellations (TruMotion, MotionFlow, Auto Motion Plus, etc.).

Le principe à l'œuvre est on ne peut plus simple à comprendre. Traditionnellement, les films de cinéma sont tournés ou diffusés à 24 images par seconde, une cadence héritée de l’époque de la pellicule. Ce rythme, adopté à la fin des années 1920 pour synchroniser l’image et le son tout en limitant la quantité de film utilisée, a fini par définir la texture même du cinéma, ce à quoi il ressemble. Cette manière d'aborder le mouvement participe pleinement à la signature visuelle du septième art, par habitude de visionnage peut-être, mais sans doute aussi car elle apporte une touche de réalisme poétique, où chaque mouvement conserve une part d’imperfection, presque organique. Une approche que l’essor du cinéma numérique, plus lisse et plus “parfait”, a peu à peu fait disparaître… mais c’est un autre sujet.

En accentuant artificiellement le mouvement, les téléviseurs modernes offrent une image d’une fluidité presque parfaite… mais au détriment du rythme propre à l'image cinématographique. © Matthieu Legouge
En accentuant artificiellement le mouvement, les téléviseurs modernes offrent une image d’une fluidité presque parfaite… mais au détriment du rythme propre à l'image cinématographique. © Matthieu Legouge

Bien sûr, tout n'est pas figé et l'ère numérique a déjà vu de nouvelles approches apparaitre. Certaines productions plus récentes, comme Le Hobbit de Peter Jackson, ont tenté le 48 images par seconde pour plus de réalisme, mais ce rendu très fluide a souvent dérouté le public. On peut également citer Avatar: The Way of Water, qui alterne entre 24 et 48 images par seconde, ou de nombreux documentaires IMAX tournés à 60 ips. Plus récemment encore, Gemini Man et Billy Lynn’s Long Halftime Walk d’Ang Lee ont poussé l’expérience encore plus loin, jusqu’à 120 images par seconde, explorant une autre forme d’immersion… au risque de diviser profondément les spectateurs.

Les téléviseurs modernes, eux, ne partagent pas tout à fait cette philosophie. Conçus pour offrir une image plus nette et plus fluide, ils fonctionnent généralement à 60 Hz, soit 60 images affichées chaque seconde. Pour combler l’écart avec la cadence d’un film, le Motion Smoothing, ou interpolation, calcule le déplacement des objets entre deux images et “invente” des trames intermédiaires. Sur le papier, le principe semble logique : il vise à éliminer les saccades et à rendre le mouvement plus régulier.

Mais à l’écran, le résultat est tout autre. Cette fluidité artificielle donne aux films un aspect trop lisse où chaque mouvement paraît surjoué. L'aspect et le rendu cinématographique disparaît, remplacée par une impression de vidéo, comme si l’on assistait à une captation de plateau plutôt qu’à une œuvre du septième art.

Ce procédé, pensé à l’origine (notamment) pour les retransmissions sportives ou les émissions télévisées, s’accorde bien avec des images tournées à haute cadence. Mais appliqué à un film, il bouleverse son rythme, sa perception du mouvement et la relation émotionnelle qu’il instaure avec le spectateur. C’est précisément cette étrangeté, à la fois trop réelle et étrangement fausse, que l’on appelle l'effet soap opera.

Ce qu'en pensent les réalisateurs

Les cinéastes ne sont pas restés indifférents à cette évolution. Depuis plusieurs années, de grands noms d’Hollywood alertent sur les effets du Motion Smoothing et sur la manière dont il transforme la perception de leurs films.

Christopher Nolan, connu pour son attachement à la pellicule et au rendu d’origine, rappelle régulièrement que chaque plan est tourné et calibré pour une cadence précise. Modifier ce rythme, explique-t-il, revient à altérer la mise en scène elle-même. Martin Scorsese tient un discours similaire : selon lui, l’interpolation uniformise le rendu, au point de donner au film une apparence de production télévisuelle.

"Aujourd’hui, la plupart des gens regardent ces œuvres chez eux plutôt qu’en salle, ce qui rend le Filmmaker Mode particulièrement important pour leur présentation."

Martin Scorsese lors d'une déclaration pour l'UHD Alliance.

Leur inquiétude est partagée par d’autres réalisateurs, comme Patty Jenkins ou Ryan Coogler, qui dénoncent une forme d’ingérence technologique dans la vision artistique des œuvres. Pour eux, le Motion Smoothing dénature le travail de composition, la perception du mouvement et, plus largement, le rapport émotionnel que le spectateur entretient avec l’image.

C’est à partir de ce constat qu’est née l’idée d’un mode de lecture respectueux de l’intention des réalisateurs : le Filmmaker Mode, développé en collaboration avec la UHD Alliance et soutenu par plusieurs grands studios.

Le Filmmaker Mode, ou le retour à l’intention des créateurs

Né de cette prise de conscience collective, le Filmmaker Mode a été conçu pour restituer l’image telle qu’elle a été pensée par les réalisateurs. Soutenu par la UHD Alliance, il est aujourd’hui disponible sur un large éventail de téléviseurs, des modèles Samsung, LG, Panasonic ou Philips jusque chez Hisense et a même été adopté par TCL récemment.

Concrètement, ce mode agit comme une remise à zéro des traitements vidéo. En un seul réglage, il désactive le Motion Smoothing, les options de renforcement de la netteté, de contraste dynamique ou encore de réduction de bruit. Il rétablit également le rapport d’image original, la cadence de 24 images par seconde et les paramètres de couleur et de gamma les plus proches de la postproduction cinéma.

Le résultat n’a rien de spectaculaire au premier regard. Mais c’est précisément l’objectif. L’image paraît plus douce, plus naturelle, avec des mouvements qui respirent à nouveau. Ce que certains interprètent comme une “perte de fluidité” n’est autre que le retour à la cadence originale du cinéma, celle qui respecte les intentions de mise en scène et la temporalité du récit.

Comment retrouver le rendu cinéma sur votre téléviseur ?

Bonne nouvelle ! Comme vous l'aurez compris, il n’est pas nécessaire d’être ingénieur pour corriger ce problème puisqu'il suffit, pour les téléviseurs qui le proposent, d'activer le mode Filmmaker. En une fraction de seconde, il est possible de retrouver une image fidèle à l’esprit du cinéma.

En revanche, pour ceux qui ne disposent pas de ce mode, ou qui souhaitent retrouver cette fluidité classique du cinéma (avec quelques saccades parfois !) dans d'autres modes d'images, la première étape consiste à désactiver le Motion Smoothing, souvent activé par défaut.

Le nom du réglage varie selon les marques : TruMotion chez LG, MotionFlow chez Sony, Motion Plus chez Samsung, MEMC (ou Motion Enhancement) chez TCL ou Hisense. Dans les paramètres d'image de votre téléviseur, il suffit de désactiver cette option pour retrouver la cadence naturelle des films à 24 images par seconde.

Certains téléviseurs, et sur certaines applications, détectent même automatiquement le contenu pour basculer d’eux-mêmes dans ce mode. Le rendu peut sembler moins “impressionnant” au premier abord, mais il se rapproche bien davantage du rendu d’une projection en salle.

Au final, il suffit de trois fois rien pour retrouver un rendu propre au cinéma sur son téléviseur, même si, il faut le souligner, tous les modèles ne se valent pas. La qualité du processeur vidéo, le type de dalle et le calibrage d’usine jouent également un rôle majeur dans le réalisme du résultat. Toujours est-il que la désactivation du Motion Smoothing sera déjà un bon début !

Pour aller plus loin

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter nos différents guides qui tentent de vous réconcilier avec votre téléviseur !