Enedis, qui a intensifié ses contrôles anti-fraude au compteur Linky, multiplierait les erreurs. D'après l'UFC-Que Choisir, des particuliers pourtant innocents reçoivent des accusations infondées et des factures de rattrapage de plusieurs millions d'euros.

Des consommateurs équipés d'un compteur Linky ont reçu d'Enedis, ces derniers mois, un courrier postal portant l'objet « contrôle du dispositif de comptage ». Ces derniers sont soupçonnés par le gestionnaire d'électricité d'avoir trafiqué leur petit boîtier jaune, dans le but de réduire le montant de leurs factures. Mais parfois, et c'est ce que nous apprend ce lundi 15 septembre l'UFC-Que Choisir, Enedis se trompe et provoque des erreurs de diagnostic qui touchent d'honnêtes usagers.
Enedis triple ses contrôles face à l'explosion des fraudes Linky
La mission d'Enedis est plutôt délicate, puisque depuis 2022, les arnaques au compteur Linky prolifèrent. Sur les réseaux sociaux, les cas d'escrocs qui proposent ouvertement leurs services pour seulement quelques centaines d'euros en promettant de jolies économies à la clé ne manquent pas. Ils usent et abusent de la technique du « shunt », ce petit dispositif qui détourne astucieusement l'électricité avant qu'elle ne passe par le compteur.
Enedis estime à 100 000 le nombre de compteurs piratés en trois ans, en évoquant un préjudice s'élevant à plusieurs centaines de millions d'euros. « Cette électricité volée est réglée par les non-fraudeurs, via le Tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe), payé par tous les utilisateurs du réseau », rappelle Bertrand Boutteau, le directeur programme Pertes et fraude d'Enedis.
Pour stopper l'hémorragie, le gestionnaire contre-attaque, et on peut dire qu'il ne ménage pas ses efforts. « Déjà cette année, nous avoisinerons les 30 000 contrôles contre 12 000 l'an dernier », annonce Bertrand Boutteau, qui confirme l'accélération de la traque anti-fraude. L'entreprise ne se contente d'ailleurs plus des fraudes dites « certaines » mais traque désormais les cas « quasi-certains » et « probables ». Et c'est toute la différence.
Le technicien Enedis confirme l'innocence d'un retraité, mais la procédure se poursuit
L'UFC-Que Choisir évoque notamment le cas de Sylvain, un homme de 64 ans qui vit à Condé-sur-Vire et qui a découvert avec une certaine amertume cette nouvelle réalité. Le 15 avril dernier, il reçoit l'accusation d'Enedis évoquant « une succession d'événements, dont la baisse anormale de l'énergie comptabilisée, caractéristique d'une situation de fraude au comptage ». Au passage, il n'y a aucune précision sur ces mystérieux « événements ».
« La seule fois où j'ai touché à mon compteur, c'est en appuyant sur les boutons alors que je cherchais à connaître la puissance délivrée à mon domicile », s'explique le Normand. « J'ignorais même qu'on pouvait le trafiquer. » L'homme explique la faible consommation du logement entre 2021 et 2023 par une maison qui était tout simplement inhabitée depuis le décès de sa maman, en 2020. « Je ne m'y suis installé que fin 2023 », ajoute-t-il.
Le 6 juin, un technicien d'Enedis a vérifié sur place et confirmé l'innocence du retraité. Les scellés de 2019 sont intacts, et aucune manipulation ne fut détectée sur le compteur. « Il me dit de ne pas m'inquiéter, je pensais le dossier clos », se souvient Sylvain. Mais le 19 juin, surprise ! Enedis maintient ses accusations et réclame à l'usager de payer l'équivalent de « 6 614 kWh, soit un peu plus de 1 000 euros, plus les frais d'intervention du technicien, d'environ 500 euros ».
Le médiateur de l'énergie confirme l'explosion des litiges
Autre cas remonté par l'association de consommateurs, celui de Jacky Hébert, qui n'est autre que le président de l'UFC-Que Choisir Manche. « Coup sur coup, début juillet, j'ai reçu ainsi trois cas d'accusations invraisemblables de fraude au compteur », fustige-t-il. Les courriers ne laissent selon lui quasi aucune place au débat contradictoire. Le gestionnaire Enedis va même jusqu'à inverser la charge de la preuve, « ce sont aux accusés d'apporter la preuve de leur innocence ».
On poursuit avec les mésaventures d'Odile, retraitée de l'Éducation nationale installée près de Saint-Lô et qui vit, à 76 ans, le même calvaire. Sa consommation a chuté depuis mai 2024, oui. « C'est parce que nous avons arrêté notre pompe à chaleur et nous ne l'avons pas rallumée à l'automne puisqu'il était doux », se justifie-t-elle. Dans le courrier reçu, « Enedis nous menace de poursuites judiciaires, ce n'est pas rien ».
Plus aberrant encore, le cas de Marie-Isabelle et Hervé dans l'Eure. Enedis leur réclame 1 359 euros pour une manipulation du 3 mai 2023. « La date correspond au raccordement au réseau de nos panneaux solaires tout juste installés », s'étonne Marie-Isabelle. Elle explique qu'en réalité, des agents d'Enedis sont intervenus sur leur compteur ce jour-là, sans prendre la peine de le replomber, faute d'avoir « le matériel nécessaire. »
Le médiateur de l'énergie confirme l'explosion des litiges, passés de moins de 100 en 2024 à près de 200 en 2025, alors que l'année est loin d'être finie. Il précise toutefois que « dans la quasi-totalité de ces dossiers, la fraude est avérée ». Les erreurs judiciaires resteraient donc minoritaires, à la décharge d'Enedis, mais elles n'en demeurent pas moins traumatisantes pour les victimes innocentes prises dans l'engrenage d'une justice automatisée.