Rappelez-vous, le 28 avril dernier, à 12 h 33, l’Espagne et le Portugal ont basculé dans le noir. En quelques secondes, l’ensemble de la péninsule ibérique a été paralysé par une coupure d’électricité sans précédent. Réseaux mobiles inaccessibles, transports à l’arrêt, hôpitaux sur générateurs… Le chaos a duré près de douze heures.

Après le black-out ibérique, une question se pose : le réseau électrique européen est-il vulnérable ? © SuxxesPhoto
Après le black-out ibérique, une question se pose : le réseau électrique européen est-il vulnérable ? © SuxxesPhoto

Cinq mois plus tard, le rapport préliminaire publié par les experts européens mandatés par Bruxelles ne laisse place à aucun doute : l’Europe a connu un phénomène jamais observé auparavant, une “surtension en cascade”, dont les origines exactes restent mystérieuses.

Un phénomène inédit en Europe… et dans le monde !

« C’est un black-out dû à une surtension, le premier incident de ce genre. Cela n’était jamais arrivé avant en Europe, ni dans le reste du monde », a résumé Damian Cortinas, président du conseil de l’ENTSO-E, le réseau européen des gestionnaires de transport d’électricité.

L’organisation, qui coordonne les réseaux électriques du continent, parle de “territoire inconnu”. Son rapport d’étape, publié début octobre, dresse une chronologie minutieuse des événements : les premières anomalies sont apparues dans le sud de l’Espagne, du côté de Grenade, Séville et Badajoz, avant de s’étendre à toute la péninsule. L’incident aurait débuté par une fluctuation d’environ 500 mégawatts, a priori mineure, qui a rapidement échappé à tout contrôle.

Deux épisodes d’oscillations de puissance et de tension avaient été détectés avant la panne générale. Le troisième, plus violent, a provoqué une déconnexion en chaîne des centrales électriques, entraînant une perte de production massive, pour finir sur une chute brutale de la stabilité du réseau, puis un effondrement total du système.

Des causes encore floues, mais un signal d’alarme très clair

Si le rapport préliminaire décrit l’enchaînement des faits, il ne répond toutefois pas à la question fatidique, à savoir pourquoi le réseau espagnol n’a-t-il pas résisté à une variation pourtant contenue ?

Les experts européens évoquent une combinaison d’erreurs humaines, de seuils de sécurité mal calibrés et de défaillances dans les mécanismes de protection. En Espagne, les premières conclusions nationales publiées avant l’été avaient déjà pointé des erreurs de prévision de la part de l’opérateur du réseau REE, ainsi que des manquements de certaines compagnies électriques et la non-disponibilité de centrales thermiques censées stabiliser la tension en temps normal.

Certaines centrales à gaz ou hydrauliques, selon les protocoles habituels, auraient pourtant dû absorber les surtensions. Or, elles n’ont pas réagi comme prévu. Plus grave encore : plusieurs arrêts de production n’auraient pas été signalés au gestionnaire du réseau, ce qui complique aujourd’hui l’analyse.
Les experts reconnaissent par ailleurs que la collecte de données espagnoles a été “complexe”, certaines informations restant inaccessibles pour des raisons administratives.

Une vulnérabilité européenne mise en lumière

L’incident ibérique ne concerne pas que l’Espagne ou le Portugal. Il expose la fragilité d’un système électrique européen interconnecté et du tour d'équilibriste entre production et consommation. Avec l'arrivée des énergies renouvelables (plus variables par nature), le réseau devient plus flexible, mais aussi plus sensible aux phénomènes de désynchronisation.

Contrairement à certaines spéculations avancées dans les jours qui ont suivi la panne, l’ENTSO-E exclut désormais toute responsabilité directe des renouvelables. Selon le centre d’analyse Ember, la panne n’a pas été causée par une dépendance excessive à l’éolien ou au solaire, mais par “une série d’événements en cascade aggravés par plusieurs défaillances dans le système”.

Ce que révèle surtout ce black-out, c’est la difficulté croissante à anticiper les interactions entre technologies, opérateurs et algorithmes dans un réseau aussi complexe que celui de l’Europe. La moindre anomalie, mal compensée ou mal détectée, peut potentiellement avoir un effet domino à l’échelle continentale.

Renforcer le système énergétique européen

Le rapport final est attendu pour le premier trimestre 2026 et devra proposer des recommandations concrètes pour renforcer la résilience du système européen.
Parmi les pistes évoquées, les experts parlent déjà d'une harmonisation des seuils de sécurité entre États, d'une meilleure transparence dans le partage des données entre opérateurs, ou encore d'un recours plus systématique à l’intelligence artificielle pour détecter les déséquilibres en amont.

Pour les habitants de Madrid, Lisbonne ou Valence, cette journée restera gravée dans les mémoires : douze heures sans électricité, sans internet, sans réseau mobile. Ce black-out n’a pas seulement paralysé des infrastructures : il a mis en lumière la dépendance totale de nos sociétés à une continuité électrique invisible mais vitale.

Et surtout, en Europe, cette panne pourrait bien marquer un tournant. Elle rappelle que la "transition énergétique", si tant est qu'il s'agisse bien d'une transition, ne peut se faire sans repenser la stabilité des réseaux et la coopération entre États.

Et si le 28 avril 2025 avait été un simple avertissement, avant un choc plus large à venir ?